Que feriez-vous si vous étiez un androïde ? Suivriez-vous les ordres qui vous sont donnés ? Ou lanceriez-vous une rébellion contre le système ? C’est le dilemme auquel vous soumet Detroit : Become Human, dernier jeu vidéo futuriste du studio français Quantic Dream. Née de l’esprit du directeur créatif David Cage (Heavy Rain, Beyond : Two Souls), cette "aventure émotionnelle" offre une immersion sans pareil dans la tête des androïdes. Europe 1 a pu tester ce jeu avant sa sortie vendredi (sur PS4).
Pour la sortie de Detroit : Become Human, David Cage était l'invité de la Matinale d'Europe 1 vendredi à 9h. Il s'est confié sur le développement du jeu et sur sa philosophie. Il revient également sur ce qui l'a poussé à se lancer dans les jeux vidéo. Une interview à retrouver sur europe1.fr.
Une histoire très riche
L’action de Detroit… se déroule en 2038, dans la ville américaine du même nom. Les androïdes ont investi les rues et les foyers américains depuis dix ans, pour le meilleur (forte croissance économique, emplois harassants délégués…) et pour le pire (chômage de 37%, ségrégation entre humains et machines…). Dans cette ville de Detroit, le joueur est amené à prendre en main le destin de trois androïdes : Connor, prototype de robot policier ; Kara, modèle de maison qui veille sur la petite Alice ; et Markus, aide à domicile d’un vieux peintre dont le destin bascule après un accident.
Les trois protagonistes vont vivre chacun à leur façon l’émergence des "déviants", des androïdes victimes de défaillances comparables à la naissance d’une conscience, avec les troubles que cela peut engendrer. Detroit… aborde ainsi la question de la singularité technologique, thème maintes fois évoqué avant lui. Difficile d’en dire plus sans révéler les méandres de l’intrigue mais on ajoutera simplement que sans torturer l’esprit des joueurs, elle réserve son lot de surprises.
Tout à tour, on incarne l’un des androïdes dans un chapitre qui permet de faire avancer sa trame scénaristique. Il faut interagir avec les personnages, explorer l’environnement et surtout faire des choix, lourds de conséquences puisqu’il n’est pas possible de revenir en arrière. Partant de ce fonctionnement, Detroit… déploie des centaines de "branches" contenant des événements et des fins différentes. Ainsi, là où un joueur peut accomplir sa mission dans une séquence, un autre pourra très bien échouer voire mourir, changeant ainsi leur perception du jeu. Sans oublier le fameux effet papillon : un simple coup d’œil dans une pièce pourrait bien vous sauver la vie plus tard…
Dessine-moi un androïde
"Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?", se demandait l’écrivain phare de la science-fiction Philip K. Dick. Detroit… ne répond pas à sa question mais aborde frontalement celle de l’identité de ces duplicata d’humains faits de métal et de plastique. Clairement, l’objectif principal du jeu est d’inviter le joueur à réfléchir aux implications philosophiques de l’arrivée future des androïdes. Art, sport, sexualité, travail : sans être intrusif, le rapport entre les humains et les machines sur toutes ces thématiques s’invite à de nombreuses reprises dans l’histoire.
A ce titre, la scène d’introduction de l’androïde Kara est très forte : dans un magasin spécialisé, nous incarnons l’androïde en train de se faire inspecter par les potentiels acheteurs, à la première personne avec seulement la possibilité de regarder à droite et à gauche. Court, efficace et profondément marquant. De manière générale, les dilemmes moraux auxquels sont confrontés chacun des trois androïdes impliquent réellement le joueur (voler un magasin ou non, dénoncer un androïde criminel, prendre tel ou tel risque…).
Un futur sombre mais splendide
On ne cessera jamais de le dire : le savoir-faire français en matière de jeux vidéo est l’un des meilleurs au monde. Les décors de Detroit… sont magnifiques, très minutieux. On se plonge avec délectation dans cette ville du futur, des greniers de maisons délabrées aux rues du centre-ville où pullulent écrans géants et véhicules autonomes. L’univers du jeu est riche et on se laisse happer par l’atmosphère qui s’en dégage. Mais c’est en grattant sous la surface de la ville que Detroit… offre ses plus belles séquences, celles qui révèlent un avenir très sombre, presque effrayant.
De même, la modélisation des personnages est d’un réalisme troublant. La précision apportée au grain de peau et au regard donne parfois l’impression de regarder un film. Sentiment renforcé par le choix de Quantic Dream d’avoir recours à des acteurs et actrices de cinéma pour incarner les héros. Les plus cinéphiles reconnaîtront ainsi Jesse Williams (Grey’s Anatomy), Valorie Curry (Twilight) ou encore Clancy Brown (Les Évadés). Le travail en motion capture rend les animations des androïdes et des humains extrêmement fluide et permet de s’identifier à eux dès le début du jeu.
Une narration très fluide
Le gros point fort de Detroit…, c’est sa narration. Dans certaines scènes, des dizaines de choix et embranchements sont possibles mais jamais la machine ne surchauffe : pas le moindre temps de chargement après un choix, avec au final une fluidité extrêmement immersive. C’est notamment le cas dans les enquêtes de Connor, très bien rythmées, dans les séquences chronométrées où il faut prendre des décisions très vite ou encore lors des courses-poursuites menées durant lesquelles il vaut mieux ne pas rater une action.
Au cours de notre test, il nous est ainsi arrivé de mourir à plusieurs reprises avec différents personnages. Mais ici pas de retour en arrière, de sauvegarde et très peu de nouvelles chances. La mort d’un héros n’entraîne pas immédiatement un "game over" mais elle aiguille l’histoire vers de nouvelles branches, avec de vraies conséquences. Résultat, on finit par s’attacher aux androïdes et on réfléchit de longues secondes avant de faire un choix.
Gameplay frustrant
Dans la lignée de Heavy Rain et Beyond : Two Souls, les précédents jeux de Quantic Dream, Detroit… est très dirigiste. En plus des environnements restreints, l’action se fait uniquement par le biais de QTE, c’est-à-dire des enchaînements de touches sur lesquelles il faut appuyer au bon moment et des mouvements du joystick droit à réaliser face à certains objets ou personnages. C’est assez simple à suivre mais à la longue, le procédé est lassant et donne le sentiment de jouer un interminable tutoriel. On passe beaucoup de temps à regarder son écran pour suivre les instructions, ce qui finit par nuire à l’immersion visée.
La frustration de l’action est renforcée par le choix de Quantic Dream d’opter pour des séquences scénarisées, calibrées sur la narration et offrant donc peu de libertés en termes d’exploration. Allez un peu trop loin de votre objectif et une cinématique vous fera rebrousser chemin. Concrètement, vous ne pouvez suivre que les chemins balisés et ouvrir les portes programmées pour s’ouvrir. Dommage, tant on aimerait explorer cette version futuriste de Detroit à la façon d’un jeu en monde ouvert (dans le genre futuriste, Watch Dogs a pu combler les joueurs sur ce point). Hélas il faut se contenter de petits bouts de rues et de lieux clos.
Verdict : que vaut Detroit : Become Human ?
Pour faire court, Detroit… est un très bon jeu. Sur le fond, on est en terrain connu. Dans un univers fourmillant d’idées, David Cage recycle de vieux concepts fondateurs de la SF, de la conscience des intelligences artificielles à la révolte des machines. Classique mais diablement efficace grâce à la narration tentaculaire qui rend le moindre choix capital. On se sent lié aux trois androïdes au point de ressentir de véritables émotions pour eux. On pourrait ainsi passer des dizaines d’heure scotché devant leur histoire s’il n’y avait ce gameplay très strict et un poil rébarbatif. Mais si vous aimez la SF, foncez !