La nouvelle était attendue mais a été officialisée mercredi : le spécialiste français du nucléaire Areva va mal et a enregistré 4,83 milliards d’euros de pertes nettes en 2014. Embarrassant pour une société censée valoir 3,7 milliards d’euros en Bourse et dont le chiffre d’affaires s’est établi à 8,34 milliards d’euros en 2014. Comment une entreprise présentée comme un champion national a-t-elle pu en arriver là ? Et surtout, comment compte-t-elle rebondir ?
Areva, champion national du nucléaire. Employant un peu plus de 45.000 personnes dans le monde, Areva n’est pas une entreprise comme les autres : détenue à 87% par des capitaux publics, elle est née de la fusion en 2001 de plusieurs sociétés existantes. En rassemblant la Cogema, Framatome, CEA-Industie et Technicatome, l’idée était alors simple : créer un champion national du nucléaire qui dispose de tous les compétences, de l’extraction de l’uranium à l’exploitation d’une centrale nucléaire, en passant par le traitement de déchets. Sous la houlette d’Anne Lauvergeon, l’entreprise est alors parée pour vanter le nucléaire made in France et partir à la conquête de nouveaux marchés.
Pourquoi l’entreprise est-elle dans le rouge ? Il y a d’abord le contexte post-Fukushima, pas vraiment favorable au secteur nucléaire : depuis 2011, de nombreux pays ont mis entre parenthèses leurs projets de construction de centrales, quand ils n’y ont pas purement et simplement renoncé. Déjà fragilisée par un carnet de commande devenu très mince, Areva a d’autant plus de mal à conquérir de nouveaux marchés que les différents acteurs de la filière nucléaire française se tirent dans les pattes : l’exemple le plus criant reste le contrat raté avec Abu Dabi en 2009, faute de coordination entre Areva et Edf. Pire, l’électricien français, sous l'impulsion de son PDG Henri Proglio, réussit dans la foulée à convaincre l’Elysée d’être érigé en chef de file du secteur, au détriment d’Areva.
Dernier handicap, et pas des moindres : les ratés de l’EPR, la nouvelle génération de centrales nucléaires sur laquelle la France a beaucoup misé. Avant Fukushima, Areva prévoyait d'en vendre une cinquantaine, seul quatre EPR sont actuellement nen chantier. Car si cette technologie est convaincante sur le papier, sa réalisation ressemble à un chemin de croix : les deux premiers chantiers, à Flamanville et en Finlande, sont un fiasco financier, en raison d’une explosion des coûts (multipliés par deux et demi) et de retards qui s’accumulent. Un surcoût que l’entreprise doit assumer, en plus d’un autre handicap : Areva a acheté des mines d’uranium au moment où son cours était au plus haut, avant de chuter. L’acquisition de la société UraMin, décidée sous Anne Lauvergeon, a par exemple fait perdre 1,9 milliard d’euros.
Et comme si cela ne suffisait pas, l’entreprise a été un peu plus affaiblie par le départ précipité de son PDG. Luc Oursel, nommé mi 2011, s’est mis en retrait de la direction en octobre 2014 pour combattre un cancer. La maladie l’a emporté deux mois plus tard. Il a depuis été remplacé par Philippe Knoche.
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Comment Areva peut-elle rebondir ? L’entreprise va devoir agir sur plusieurs niveaux. A court terme, elle risque d’être contrainte de vendre certains actifs pour récupérer rapidement de l’argent frais : la vente de mines d'uranium ou de l'activité de démantèlement de sites nucléaires est régulièrement évoquée. Autre solution, trouver de nouveaux investisseurs via une augmentation de capital.
A moyen terme, Areva va devoir réduire ses coûts et veut économiser 1 milliard d’euros d’ici 2017. Une cure d’austérité que redoutent ses quelques 28.000 salariés en France, d’autant que l’entreprise n’a jamais procédé à des suppressions de postes. Les syndicats d'Areva disent déjà redouter un "impact social sans précédent" et déplorent que les salariés fassent les frais d'un "naufrage" dans lequel ils estiment n'avoir "aucune responsabilité". Plusieurs milliers d'emplois seraient menacés selon les syndicats.
Le dernier chantier, et probablement le plus compliqué, reste celui d’une réorganisation de la filière nucléaire française pour mettre fin aux conflits et présenter un front uni à l’étranger. Et pour cela, le ministre de l’Economie Emmanuel Macron a sa petite idée : "il faut une convergence entre Areva et EDF, (…) une intégration stratégique et opérationnelle très forte", a-t-il estimé dans un entretien accordé mercredi au Figaro. Avant d’aller encore plus loin : "Ce peut être une plus grande coopération industrielle, ou aller jusqu’à un rapprochement, y compris capitalistique". En clair, EDF deviendrait l'architecte de ce type de projet à l'exportation. François Hollande, a d'ailleurs lui même annoncé mercredi soir à Madrid qu'il avait demandé aux dirigeants d'Areva et d'EDF de travailler à un "rapprochement" des deux groupes. Le dossier du leadership au sein de la filière nucléaire française est rouvert.