Les plus grosses entreprises cotées ont actuellement tendance à raisonner à trop court terme et à gaspiller leur argent pour faire plaisir à leurs actionnaires, au détriment de leur propre avenir. L’auteur de cette sortie n’est pas forcément celui qu’on pense : cette critique est signé Larry Fink, qui est accessoirement le directeur général de BlackRock, le plus gros fonds d’investissement au monde chargé de gérer plus de 4.000 milliards d’euros. Ou quand une star de la finance dénonce les excès du capitalisme financier, et ce n'est pas la première fois.
Une lettre d’avertissement aux patrons. Pour faire passer son message, le patron de BlackRock n’y est pas allé par quatre chemins : il a envoyé une lettre aux dirigeants des 500 plus grandes sociétés cotées des Etats-Unis, missive qui s’est évidemment rapidement retrouvée dans la presse. Larry Fink y invite les entreprises du S&P 500 à ne pas succomber aux pressions de plus en plus fortes des actionnaires activistes.
"Il est essentiel (...) de comprendre que le devoir d'attention et de loyauté des dirigeants d'entreprise ne concerne pas tous les investisseurs ou les traders qui détiennent des actions de leur entreprise à un instant donné, mais l'entreprise et ses détenteurs à long terme", écrit Larry Fink, avant de prévenir : les entreprises qui raisonnent à long terme "peuvent compter sur notre soutien". Pour les autres, la menace est claire : BlackRock pourrait se retirer de ces sociétés, quitte à malmener le cours boursier de leurs actions.
Dividendes, investissement, etc. Pour mieux comprendre cette sortie, revenons aux fondamentaux. Lorsqu’une entreprise gagne de l’argent, elle a plusieurs possibilités : le réinvestir pour se moderniser ou développer de nouveaux projets, l’utiliser pour embaucher ou remercier ses salariés (augmentations, intéressement, participation) et enfin le rendre aux actionnaires sous forme de dividende ou de rachat d’action (afin de faire remonter le cours de l’action).
La répartition entre ces trois postes a évidemment évolué au cours de l’histoire. Au cours des années 1950, les dividendes représentaient en moyenne 20% des bénéfices (au sens de l’excédent brut d’exploitation), avant d’osciller entre 10 et 15% au cours des années 1970 et 1980. Depuis les années 1990, cette proportion a sensiblement augmenté pour friser les 30% depuis 2009. Les actionnaires récupèrent donc une part croissante de la valeur ajoutée, et les chefs d’entreprises sont incités à jouer le jeu : ils sont de plus en plus souvent rémunérés en actions et ont donc intérêt à ce que le cours en bourse et le dividende soient élevés. Avec le risque que leur intérêt personnel soit aligné sur celui des actionnaires et non sur ceux de l’entreprise qu’il dirige.
Ces dividendes qui divisent. C’est justement l’évolution de cette répartition qui inquiète le patron de BlackRock, qui souligne dans son texte que les dividendes et les rachats d'actions aux Etats-Unis ont atteint en 2014 un montant sans précédent de 900 milliards de dollars. Et ces sommes rendues aux actionnaires, c’est autant d’argent en moins pour l’investissement ou les salariés, si bien que les entreprises prennent le risque d’hypothéquer leur futur et de casser la paix sociale en interne.
Privilégier le court terme plutôt que le moyen et long terme : c’est précisément ce que redoute Larry Fink, qui souligne que cette générosité avec les actionnaires n’est actuellement même pas une nécessité. Les banques centrales des grandes puissances faisant tourner la planche à billet, le coût de l’argent et très faible si bien que les entreprises ont plus intérêt à emprunter auprès des banques que sur les marchés.
Larry Fink n’est pourtant pas un ennemi de la finance ou un partisan d’une plus grande réglementation, il est avant tout pragmatique : son travail consiste à gérer l’argent des épargnants pour leur retraite, il raisonne donc à long terme. "Les effets des phénomènes de court terme sont inquiétants, à la fois pour ceux qui cherchent à économiser pour des objectifs de long terme comme la retraite et pour l'économie dans son ensemble", écrit-il.
Vivendi, dernier exemple en date ? Une entreprise française vient d’ailleurs d’être confrontée à cette problématique : Vivendi, propriétaire de Canal+ et d’Universal. Ce groupe a entamé une profonde mutation et vendu une bonne partie de ses entreprises (SFR, Activision- Blizzard, Maroc Telecom, etc.). Résultat, Vivendi a accumulé 15 milliards d’euros dans ses caisses, une somme qui devrait logiquement être réinvestie dans de nouveaux projets.
Mais Vivendi a tardé à dévoiler ses futurs projets, au risque de laisser dormir cet argent dans sa trésorerie. L’un des actionnaires du groupe, le fonds américain PSAM a donc entamé un bras-de-fer avec la direction pour qu’elle verse 9 de ces 15 milliards d’euros aux actionnaires, au risque d’empêcher le groupe de se redéployer. Finalement, ils n’obtiendront "que" 6,75 milliards, voire plus si Vivendi n’a toujours pas utilisé cet argent d’ici deux ans.
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