Dans une semaine, Air France n’aura peut-être plus de patron. Et ce sont les salariés de la compagnie qui ont le pouvoir d’en décider. Après deux mois de conflit et onze jours de grève qui ont coûté 200 millions à la compagnie, une consultation s'ouvre jeudi matin à 10 heures. Un vote sur Internet pour ou contre la proposition d'augmentation des salaires proposée par la direction, et que la majorité des syndicats rejettent.
Or, un vote contre pourrait déboucher sur le départ du PDG du groupe, Jean-Marc Janaillac, qui a prévenu qu'il ne "voyait pas comment [il] pourrait rester à la tête d'Air France" en cas de victoire du non. L'enjeu est donc double, et tous les salariés en sont bien conscients.
La direction encourage le vote pour. Chaque partie est donc en campagne pendant les neuf jours que dure la consultation. L'accord proposé par la direction prévoit une augmentation salariale de 7% étalée sur quatre ans, conditionnée à de bons résultats financiers. Loin des revendications des syndicats, qui réclament une hausse immédiate de 5%. Mais dans un document envoyé à toute la compagnie, la direction explique très clairement ne pas avoir les moyens pour procéder à cette augmentation.
Ces onze pages d'explication pour le vote sont d'ailleurs un plaidoyer en faveur de l'accord : l'augmentation de 7% proposée est présentée comme "favorable pour les salariés et réaliste pour l'avenir" et un petit slogan, "je fais entendre ma voix, je vote pour l'avenir d'Air France", est inscrit en bas de chaque page. Sans compter que la question posée pour la consultation elle-même est assez orientée : "pour permettre une issue positive au conflit en cours, êtes-vous favorable à l'accord salarial proposé le 11 avril 2018 ?"
Pour la CFDT, "le conflit est trop dur pour l'enjeu". Côté syndicats, certains sont sensibles aux arguments de la direction. C'est le cas de la CFDT, qui devrait bien voter pour l'accord, à l'image de l'un de ses élus, Christophe Dewatine. "Maintenant, il faut que ça s'arrête, ça suffit. On est dans une spirale qui n'est pas bonne en terme d'image et de résultats pour l'entreprise", plaide celui-ci. "Les salariés qui répondent aux clients au téléphone tous les jours n'en peuvent plus. Ils se font hurler dessus pour un certain nombre d'entre eux. Ça va trop loin, le conflit est trop dur pour l'enjeu."
CGT et FO contre l'accord. Le son de cloche est bien différent à la CGT. Vincent Salles, l'un des délégués, regrette surtout que Jean-Marc Janaillac ait mis sa démission dans la balance. "Clairement, c'est une crise d'autoritarisme. Il dit 'vous n'êtes pas gentil, vous n'êtes pas sympa, votez pour moi sinon je m'en vais'. C'est un peu infantile. Peu importe, si on n'a pas Monsieur Janaillac, on aura un clone. La politique menée sera la même".
Force Ouvrière non plus ne compte pas voter l'accord. "On espère que ce sera le non qui l'emportera", confirme l'un des élus, Christophe Malloggi. "Notre travail est sur le terrain, où nos délégués de proximité vont voir les salariés, parler, s'entendre avec eux, leur expliquer quels sont les risques d'un tel accord..." Mais ce que le représentant syndical craint le plus, c'est que "la consultation laisse des cicatrices très fortes", avec des tensions entre pro et anti-accord.
Et cela ne fait que commencer... Au total, 46.771 salariés doivent se prononcer. Le vote, secret, est ouvert à tous les salariés qu'ils soient en CDD ou en CDI, pilote de ligne ou agent au sol. Un numéro de téléphone gratuit ouvert 24h/24 et 7j/7 a même été ouvert pour permettre aux étourdis de retrouver leurs codes d'accès pour voter. Pour autant, rien ne sera résolu dans neuf jours. Si le vote est négatif, Air France devra se trouver un nouveau PDG. Et s'il est positif, la guerre de position se poursuivra forcément... car il ne s'agit là que d'une consultation, et la signature des syndicats reste indispensable pour valider l'accord salarial.