Pour le gouvernement, le dossier Alstom est en train d’être refermé. L’Etat s'est activé dans cette affaire pour permettre au site de Belfort d’avoir du travail et un avenir. "Le site d'Alstom de Belfort est sauvé !", a résumé mardi Manuel Valls. Mais à y regarder de plus près, ce sauvetage pose plusieurs questions.
L’Etat a-t-il le droit d’acheter lui-même des trains ? La nouvelle peut surprendre : outre la SNCF, l’Etat a annoncé qu’il allait lui-même passer commande de 15 TGV, pour un montant d’environ 450 millions d’euros. Ce qui amène deux questions : l’Etat a-t-il le droit de faire ces achats et, surtout, l’Union européenne ne risque-t-elle pas d’y voir une subvention publique, et donc une aide d’Etat illégale ? Sur la faisabilité de cette opération, le gouvernement a planché sur le sujet et estime qu’il en a le droit, un avis partagé par la SNCF. En revanche, le risque d’une sanction européenne est, lui, élevé, comme l'ont montré les récents déboires de la compagnie maritime SNCM.
Acheter des TGV pour le réseau Intercités, un gâchis ? Les 15 TGV achetés par l’Etat vont rouler sur les lignes Bordeaux-Marseille et Montpellier-Perpignan. Sauf que ces tronçons sont conçus pour des trains classiques, et ne sont pas des Lignes grande vitesse (LGV) conçues exprès pour les TGV : les futurs trains devront donc rouler entre 160 et 220 km/h, alors qu’ils peuvent dépasser les 300 km/h. Ce qui revient à faire rouler des F1 sur une route départementale. Ce choix laisse sceptique quand on connait les difficultés financières de l’Etat. Mais le gouvernement l’assure, cette anomalie n’est que temporaire puisque ces deux tronçons seront bientôt modernisés. Reste à savoir quand ces lignes seront prêtes et rien n’indique qu’elles seront compatibles avec les TGV : entre Montpellier et Perpignan, une nouvelle ligne "NLMP" est prévue mais il ne s’agit pas d’une LGV. Et sur l’axe Bordeaux-Marseille, seule la portion entre la capitale aquitaine et Toulouse sera adaptée dans un premier temps.
Au-delà de cette question d’agenda, le fait d’utiliser des TGV sur de telles lignes va également générer des coûts supplémentaires : qu’il s’agisse de l’entretien, des pièces ou de la formation des équipes, un TGV récent coûte plus cher à entretenir qu’un Intercités. Le choix d’acheter des TGV soulève donc des questions financières, ce dont le réseau Intercités n’a vraiment pas besoin : il devrait perdre cette année environ 400 millions d’euros.
Appeler la SNCF à la rescousse, n’est-ce pas la fragiliser un peu plus ? Au-delà des 15 TGV commandés par l’Etat, c’est surtout pour la SNCF que l’ardoise va être lourde : elle a commandé 6 TGV, 30 rames Intercités et 20 locomotives de manoeuvre. Cette fois-ci, il ne s’agit pas de nouvelles commandes mais de contrats en cours de négociation et dont la signature va être accélérée. Mais la santé financière de la SNCF est fragile, avec une dette d’environ 44 milliards d’euros et une rentabilité en baisse. Cette accélération de l’agenda pourrait l'affaiblir, ce que n’ont pas manqué de souligner certains cheminots.
"Le gouvernement, par le biais du PDG de la SNCF aux ordres, va une fois de plus faire payer la ‘note’ aux travailleurs du rail", a regretté mardi SUD-Rail, troisième syndicat à la SNCF, qui dénonce des "décisions politiques électoralistes prises dans l'urgence". Le syndicat estime que la SNCF dispose déjà de trains en trop grand nombre et ne voit pas l’utilité d’en acheter de nouveaux.
Un avis partagé par l'ancien Premier ministre François Fillon : "On creuse un trou pour en boucher un autre. La question elle est simple, c'est 'est-ce que la SNCF a besoin de ces trains ou pas?'. Si elle avait besoin de ces trains on se demande pourquoi ils n'ont pas été commandés plus tôt. Si elle n'en a pas besoin, ça veut dire que la SNCF qui est déjà dans une situation financière absolument ingérable va encore voir son déficit s'aggraver", a-t-il déclaré mardi sur iTÉLÉ.