Paris veut une pause. Après un premier signal envoyé mardi matin par son secrétaire d’Etat Matthias Fekl, François Hollande a confirmé que les négociations sur le traité transatlantique Tafta étaient mal engagées. "Les discussions en ce moment-même sur le traité entre l'Europe et les États-Unis ne pourront pas aboutir à un accord d'ici la fin de l'année. (…) La France préfère regarder les choses en face et ne pas cultiver l'illusion qui serait celle de conclure un accord avant la fin du mandat du président des États-Unis", a déclaré le président de la République devant la conférence des ambassadeurs à l'Élysée. Les nombreux opposants à ce texte n’ont pas tardé à se réjouir et à espérer que le Tafta soit enterré. Mais le traité transatlantique est-il vraiment mort ?
Qu’est-ce que le Tafta ? Le Tafta, également surnommé TTIP, désigne le traité de libre-échange que sont en train de négocier l'Europe et les Etats-Unis depuis 2013. Ce document est censé permettre de renforcer les relations commerciales entre ces deux régions en supprimant la majorité des barrières qui limitent le commerce : les droits de douane ou encore les normes. Les Etats-Unis et l’UE tentent par exemple d’unifier leurs normes sanitaires et de sécurité pour qu’une entreprise américaine puisse vendre plus facilement sa production en Europe, et vice versa.
Il s’agit donc de créer une vaste zone de libre-échange, à l’image du marché unique qui a permis aux Européens de commercer plus facilement entre eux. Sur le papier, cet accord est donc censé favoriser l’activité économique et rapprocher les deux continents. Reste à savoir si chaque partie fait un pas vers l’autre ou si l’une impose ses vues à l’autre.
Pourquoi ce projet de traité est-il contesté ? Le principal reproche concerne justement le rapport de force entre l’UE et les Etats-Unis, jugé déséquilibré. Les opposants au Tafta reprochent à la Commission européenne, qui mène les négociations au nom de l’UE, de faire trop de concessions alors que Washington n’en ferait pas assez. "Les Américains ne donnent rien ou alors des miettes (...), ce n'est pas comme ça qu'entre alliés on doit négocier", a déclaré mardi le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur Matthias Fekl. Un point de vue partagé par le ministre de l’économie allemand et vice-chancelier, Sigmar Gabriel.
Résultat, la France comme une partie du gouvernement allemand réclament la suspension des négociations, et ils ne sont pas seuls : la Tafta est très contesté en Autriche et en Belgique notamment. Les gouvernements ne font que suivre leur opinion publique, très sensible à certains sujets. Outre la crainte d’une dérégulation excessive, deux inquiétudes sont particulièrement vives : que les produits bénéficiant d’une Appellations d’origine contrôlée (AOC) soient moins protégés et que les OGM s’invitent dans les assiettes des Européens. Autre reproche récurrent, les conflits entre une entreprise et un Etat pourraient ne plus être jugés que par un tribunal arbitral, réduisant de facto le pouvoir des Etats.
Le Tafta est-il compromis ? "Les négociations n'ont pas échoué", a souligné mardi la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström. Ces dernières ont néanmoins du plomb dans l’aile, outre le veto formulé mardi par la France. Premier handicap, et pas des moindres : l’opacité des négociations empêche les citoyens européens de se tenir informés et alimente toutes les peurs. Il est peu probable que l’opinion publique comme les ONG les plus investies sur le sujet changent d’avis. D’autant plus qu’en terme de transparence, la Commission européenne s’est tiré une balle dans le pied : au nom de l’efficacité, son président Jean-Claude Juncker souhaite que les parlements nationaux ne se prononcent pas sur le texte, seul l’avis du Parlement européen suffisant.
L’agenda politique des deux côtés de l’Atlantique est également à prendre en compte. Le retard pris dans les négociations ne va pas permettre de boucler les négociations avant la fin 2016, comme prévu initialement. Or, passé ce cap, les négociations pourraient devenir impossibles : les Etats-Unis auront changé de président, tandis que l’Allemagne, la France seront en pleine campagne électorale. Et pour ne rien arranger, le président du conseil italien joue son poste lors d’un référendum en octobre et l’Espagne n’a toujours pas de gouvernement stable. Il n’est donc pas sûr que les Européens soient tous sur la même longueur d’onde en 2017, tandis que les deux candidats américains multiplient les critiques à l’égard du Tafta. Sans oublier que les Européens pourraient réclamer que le texte soit validé par leur parlement respectif, compromettant un peu plus son adoption.
Le traité est-il pour autant enterré ? Malgré ces nombreux nuages, le Tafta n’est pas pour autant mort. D’abord parce que les Etats-Unis et l’Europe entretiennent de tels échanges économiques qu’ils ont intérêt à faciliter le commerce transatlantique. Les Etats-Unis restent le premier partenaire commercial de l’UE et absorbent 21% des exportations européennes. De même, l’Europe représente environ 15% des exportations étasuniennes. Les grandes entreprises l’ont bien compris et mènent un intense lobbying à Bruxelles comme à Washington pour que les négociations aboutissent.
De plus, si les Etats européens les plus sceptiques ont demandé de faire une pause, ils ne réclament pas pour autant l’abandon des négociations. Matthias Fekl a ainsi déclaré mardi vouloir stopper les discussions pour "repartir sur de bonnes bases". En Allemagne, si une partie du gouvernement dénonce le Tafta, Angela Merkel continue de le défendre. Enfin, la Commission européenne tient mordicus à ces négociations qui sont devenues sa priorité numéro 1 depuis que son président a promis de "réglementer moins mais mieux" au sein de l’UE. Bien que critiqué et malmené, le Tafta pourrait donc bien voir le jour, tôt ou tard.