Si la France est la sixième puissance économique mondiale, elle n’est que 23e du dernier Corruption Perceptions Index élaboré par l’ONG Transparence Internationale. François Hollande a donc confié il y a un an à Michel Sapin la mission de rédiger un projet de loi pour la transparence dans la vie économique. Cette loi, baptisée "Sapin 2", est quasiment bouclée : le texte doit être transmis au Conseil d’Etat en fin de semaine, avant d’être présenté en conseil des ministres le 23 mars. Comment la France peut-elle mieux lutter contre la corruption et les jeux d’influence ? Tour d’horizon des principales dispositions de la loi Sapin 2.
Vers une agence nationale de lutte contre la corruption. La lutte contre la corruption en France repose principalement sur la loi Sapin 1 de 1993. Mais à l’époque, ce texte se concentrait surtout sur la corruption sur le territoire national et faisait l’impasse sur la mondialisation de l’économie. Une lacune que la loi Sapin 2 doit combler en instaurant une agence nationale de prévention et de détection de la corruption, sur les bases de l’actuelle Service central de prévention de la corruption.
Sa mission sera notamment de vérifier que les entreprises s’adaptent à la création d’un nouveau délit : le délit de corruption d’un agent public à l’étranger. Les sociétés ayant des activités à l’étranger devront donc mettre en place un règlement interne pour prévenir de telles dérives et la future agence sera chargée de vérifier la pertinence de ces codes de conduite. Et les entreprises qui n’en disposent pas pourront se voir contraindre d’en créer.
Le texte prévoit par ailleurs l'instauration d'une procédure de "transaction pénale", sur le modèle du Deferred Prosecution Agreement (DPA) américain. Ce dispositif permettra aux entreprises mises en cause dans des affaires de corruption à l'étranger de mettre fin aux poursuites pénales en payant une lourde amende et en se soumettant à un programme de contrôle judiciaire.
Obliger les lobbys à jouer cartes sur table. Entreprises, fédérations professionnelles, associations, ONG : les lobbys ont toujours tenté d’influer sur l’élaboration de nouvelles lois. Depuis 2013, ces groupes d’influence sont déjà obligés de se déclarer dans un registre pour pouvoir intervenir à l’Assemblée nationale ou au Sénat, mais la loi Sapin 2 souhaite aller plus loin : tous ces registres seront centralisés par la Haute autorité pour la transparence la vie publique (HATVP). Et les agents publics ne pourront accepter d’entrer en contact avec un lobbyiste si ce dernier n’est pas inscrit dans le registre.
Les groupes d’influence vont en outre devoir s’adapter à une nouvelle donne. Les cadeaux qu’ils font à leurs interlocuteurs, qu’il s’agisse de cadeaux en nature, de voyages ou d’invitations au restaurant, seront désormais strictement encadrés, voire interdits. De plus, tout chiffre utilisé pour appuyer leurs arguments devra être justifié et pourra être contrôlé : si les chiffres avancés par un lobby se révèlent être faux, ce dernier sera sanctionné d’une amende.
Protéger les lanceurs d’alerte. Les révélations sur les pratiques des banques HSBC, UBS ou encore Crédit mutuel – CIC n’auraient probablement pas été possibles sans l’action d’employés communément appelés aujourd’hui "lanceurs d’alerte". Sauf qu’aucune la loi ne les protège, ce qui n’incite pas à briser la loi du silence. La loi Sapin 2 prévoit donc de créer un guichet unique vers lequel les lanceurs d’alerte pourront se tourner : l’agence nationale de prévention et de détection de la corruption sera chargée de faire le tri parmi les personnes qui la contactent. Elle pourra également les conseiller et surtout leur apporter une protection juridique, notamment en prenant en charge les frais d’avocats.
Aider Pôle Emploi à lutter contre la fraude. Bien que la fraude aux allocations chômage soit limitée - une soixantaine de millions d’euros par an sur un volume total d’environ 30 milliards d’euros -, cette dernière est de moins en moins tolérée, surtout en période de chômage de masse. Avec la loi Sapin 2, les agents de Pôle emploi chargés de vérifier les cas suspects auront désormais le droit de demander des informations complémentaires aux banques, entreprises et autres organismes publics.
Fraude fiscale : la rémunération des informateurs abandonnée. La plupart des affaires de fraude fiscale éclatent suite à une dénonciation. Pour accompagner le mouvement, il a donc été envisagé de rémunérer ces informateurs, mais cette disposition a finalement été abandonnée. Du côté de Bercy, on redoutait une confusion avec les mesures prévues pour aider les lanceurs d’alerte.
Un peu de Macron dans la loi Sapin 2. Emmanuel Macron prépare depuis plusieurs mois une nouvelle série de réformes mais le calendrier parlementaire très chargé a incité le gouvernement à ne pas présenter de loi à part. Résultat, sur les 50 mesures de la loi Sapin 2, entre 7 et 8 seront en fait issues du cabinet du ministre de l’Economie.
Les autoentrepreneurs pourraient ainsi bénéficier d’un coup de pouce : le chiffre d’affaires maximum qu’ils peuvent réaliser par an pourrait être revu à la hausse pour leur permettre de se développer. Sauf que les artisans voient d’un mauvais œil cette réforme qui accentuerait ce qui est déjà à leurs yeux une concurrence déloyale. En outre, la qualification nécessaire pour exercer certains métiers pourrait être supprimée ou allégée, le cas le plus fréquemment cité étant le métier de coiffeur. Mais ce chapitre Macron de la loi Sapin 2 fait encore l’objet d’arbitrages.
La publicité pour le trading en ligne interdite. Pour les mêmes raisons d’agenda, cette mesure se retrouve dans la loi Sapin 2. Malgré les alertes de l’Autorité des marchés financiers, les Français continuent de succomber aux sirènes des sites internet promettant de gagner de l’argent facilement en s’improvisant trader. Puisqu’il est impossible d’interdire cette activité, la loi Sapin 2 privilégie un autre biais en interdisant la publicité pour de tels sites.