Emmanuel Macron a-t-il raison de s’attaquer à la taxe d’habitation ?

Emmanuel Macron souhaite exonérer de taxe d’habitation les ménages présentant un revenu inférieur à 20.000 euros annuels par part fiscale
Emmanuel Macron souhaite exonérer de taxe d’habitation les ménages présentant un revenu inférieur à 20.000 euros annuels par part fiscale © PASCAL LACHENAUD / AFP
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Clément Lesaffre , modifié à
Emmanuel Macron promet, s’il est élu, d’exonérer de taxe d'habitation les ménages présentant un revenu inférieur à 20.000 euros annuels par part fiscale.

C’est un cadeau qu’Emmanuel Macron projette d’offrir aux Français s’il venait à s’installer à l’Élysée en mai. Le candidat à la présidentielle souhaite exonérer de taxe d’habitation les ménages présentant un revenu inférieur à 20.000 euros annuels par part fiscale (soit, pour un couple avec deux enfants, des revenus mensuels de 5.000 euros). Une mesure qui soulagerait de ce poids 80% des ménages qui payent actuellement cette taxe locale, d’ici à 2020.

La taxe d’habitation dépend des caractéristiques du bien immobilier occupé et des taux d’impositions votés par les collectivités. Il est pondéré en fonction de la composition du foyer fiscal et des revenus perçus par les occupants (pour déterminer si un ménage peut bénéficier d’une exonération ou d’un allègement).

10 milliards en moins pour les collectivités. Objectif de cette mesure : donner un coup de pouce aux "Français de classe populaire et de classe moyenne". Une telle exonération devrait coûter 10 milliards d’euros aux collectivités, compensés par l’État, sur un total de 22 milliards perçus. Les maires grognent déjà face à une mesure qu’ils jugent inutilement coûteuse. 

  • Une taxe injuste ?

Vendredi sur RMC, Emmanuel Macron a qualifié la taxe d’habitation d’"impôt injuste". Une critique corroborée par un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires rendu public en 2011. Il indique notamment le taux d’effort des ménages pour payer la taxe d’habitation en faisant le lien entre revenu fiscal et montant à payer. En résulte la courbe ci-dessous, divisée en deux phases. Pour la moitié de la population la moins aisée financièrement, la taxe d’habitation augmente avec le revenu. Mais, passé ce seuil, l’impôt devient dégressif : plus vous gagnez, moins la taxe d’habitation pèse lourd dans votre budget.

CPO

Effort inéquitable. De là part le constat d’Emmanuel Macron quant à l’injustice de la taxe d’habitation. La courbe montre clairement deux faits. D’abord, ce sont les classes moyennes qui font le plus d’effort pour payer la taxe d’habitation. Ensuite, les personnes situées dans les deuxième et troisième tranches de revenus font le même effort financier, proportionnellement, que les 20% les plus riches en France. D’où la volonté du candidat d’En Marche ! de supprimer la taxe d’habitation pour 80% des personnes concernées et de ne laisser que les 20% les plus riches la payer.

Inégalités géographiques. En réalité, la taxe d’habitation est inéquitable pour d’autres raisons, à commencer par les disparités géographiques. Dans les grandes villes qui tirent leur revenu de sources variées (logement, entreprises, consommation), pas besoin de taxer fortement les habitations. Ainsi, la taxe d’habitation n’est que de 13% à Paris en moyenne, contre environ 20% dans la proche banlieue est de la capitale.

Calcul obscur. Plus globalement, c’est tout le calcul de la taxe d’habitation qui est régulièrement critiqué. Il est basé sur des estimations des valeurs locatives cadastrales, établies dans les années 1970 et révisées uniquement de manière forfaitaire depuis lors. De plus, des éléments complémentaires sont comptés comme des mètres carrés : cave, garage mais aussi cote du quartier ou eau courante. Résultat, de nombreux biens ont une valeur surestimée dans le calcul de la taxe d’habitation, tandis que d’autres sont largement sous-estimés.

  • Macron prend le risque de se mettre les maires à dos

La taxe d’habitation est peut-être une taxe injuste mais elle constitue un des piliers des recettes des collectivités territoriales, avec la taxe foncière. Emmanuel Macron a promis que l’État compenserait les 10 milliards perdus par les collectivités locales à cause de l’exonération de 80% des ménages. Pas suffisant pour rassurer l’Association des maires de France (AMF) qui s’est inquiétée dans un communiqué de voir disparaître "36% de l’ensemble des ressources propres des communes et intercommunalités".

Colère des maires. L’association présidée par François Baroin met en garde contre une "mesure attentatoire aux libertés locales". "En privant de manière autoritaire les communes et leurs intercommunalités d'un tel montant de ressources propres, l'État remettrait en cause leur libre administration et leur capacité d'assurer les services publics essentiels attendus par la population, de l'école à la solidarité", prévient l'AMF. Autrement dit, les communes veulent conserver leur part d’indépendance financière et non dépendre encore plus de l’État central pour constituer leurs budgets.

L’association dénonce par ailleurs une exonération massive inutile. "Existent déjà de nombreux dispositifs d'allègement, de dégrèvement, d'exonération ou de plafonnement de la taxe d’habitation dont bénéficient les habitants" "Ainsi, aujourd'hui, 42% des foyers en bénéficient, soit 13 millions de foyers environ", souligne l'AMF. Le ton du communiqué est ferme et sonne comme un avertissement pour Emmanuel Macron. Lui qui n’est rattaché à aucun parti traditionnel prend, avec cette mesure, le risque de voir certains maires encartés au PS ou au centre et qui auraient pu être tentés par sa candidature, se détacher de lui.

  • Une mesure difficilement réformable

L’exonération massive promise par Emmanuel Macron pose aussi la question de la faisabilité. Un tel changement pourrait-il réellement être appliqué ? La question se pose après la double tentative de François Hollande de réformer la taxe d’habitation au cours de son quinquennat. En 2013, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait envisagé d’inclure le revenu directement dans le calcul de la taxe, et non plus uniquement comme facteur d’éligibilité à un allègement ou une exonération. L’objectif était alors d’en faire un impôt entièrement progressif. Mais la réforme, prévue pour une application à la fin du mandat présidentiel, a finalement été enterrée.

Réformes inabouties. Pourtant, en 2014, le secrétaire d’État chargé du budget Christian Eckert avait ravivé la flamme en évoquant la possibilité de mettre en place "des aménagements sur l'entrée dans la taxe d'habitation" afin d’aider les personnes avec les revenus les plus faibles. Là encore, rien n’avait été mis en place concrètement. Et fin 2015, plus de 900.000 Français aux revenus modestes avaient eu la désagréable surprise de découvrir une hausse de leur taxe d’habitation, voire l’obligation de la payer alors qu’ils en étaient auparavant exonérés.