Plus de 130 défilés dans 99 villes françaises : c’est une mobilisation exceptionnelle à laquelle sont appelés les fonctionnaires mardi. Pour la première fois depuis dix ans, tous les syndicats de la fonction publique se sont mis d’accord pour organiser un rassemblement unitaire. En faisant cause commune, ils espèrent faire plier le gouvernement, qui prévoit, entre autres, un gel du point d’indice en 2018 et 120.000 suppressions de poste dans la fonction publique en cinq ans. Surtout, après l’échec relatif des manifestations contre la réforme du code du travail, les centrales syndicales veulent rappeler leur importance dans le débat public.
Mobilisation désunie. En effet, ces derniers temps, on a plus parlé des syndicats comme un front social fracturé que comme une véritable force d’opposition à la politique du gouvernement. Les manifestations des 12 et 21 septembre contre la réforme du travail, menées par une CGT bien isolée, ont montré les limites de la contestation syndicale contre Emmanuel Macron et son gouvernement. Interrogé lundi sur franceinfo à propos des cortèges clairsemés, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, l’a avoué à demi-mot : Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, a-t-il, par son absence, pénalisé la mobilisation ? "C’est une façon de le voir", a répondu Philippe Martinez.
Les syndicats se taclent les uns les autres. Se tirer dans les pattes, c’est le jeu auquel s’adonnent la CGT, FO et la CFDT depuis quelques semaines. "La loi travail est promulguée, ça ne se joue plus principalement dans la rue. Donc c’est dans les entreprises et dans les branches que nous devons nous mobiliser pour faire en sorte que le dialogue social soit efficient", a taclé lundi matin Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, sur RTL. Le leader du premier syndicat du privé, qui n’avait pas appelé à manifester en septembre, a également prévenu son homologue de la CGT. "Le syndicalisme n’a pas à se lancer dans un baroud d’honneur, ce serait dramatique. D’ailleurs, je pense que le gouvernement n’attend que ça : un syndicalisme qui se marginalise en faisant croire qu’il est simplement dans un rôle de contestation. Je préfère être dans un rôle de proposition", a lâché Laurent Berger.
Un rôle constructif qui a visiblement plu au gouvernement. Début septembre, le Canard enchaîné a révélé que Macron avait reçu au cours de l’été, en secret et en marge des réunions hebdomadaires officielles, Laurent Berger et Jean-Claude Mailly. Une mise à l’écart que Philippe Martinez a visiblement du mal à digérer. "Il faut que les règles soient les mêmes pour tout le monde. Nous sommes toujours disponibles pour parler du monde du travail, à condition d’être traités à égalité avec les autres", a glissé sur franceinfo, le leader de la CGT, à trois jours d’une rencontre avec le président pour évoquer les réformes à venir de l’assurance chômage et de la formation professionnelle.
Divergences persistantes. Pour tenter d’accorder leurs violons, l’ensemble des syndicats ont répondu présent à l’appel de la CGT, qui organise lundi soir une rencontre pour évoquer l’avenir de la mobilisation sociale. Objectif : mettre sur pied une journée d’action unitaire contre la réforme du code du travail. Pas évident au vu des divergences affichées par les trois principaux leaders syndicaux lundi. Alors que Philippe Martinez continue de croire que "non ce n’est pas trop tard", pour manifester - "regardez les routiers", Laurent Berger a déjà tourné la page : "nous irons à la réunion intersyndicale pour regarder comment nous pouvons peser sur l’application des ordonnances dans les entreprises. La CFDT essaye de peser sur le réel".
Quant à Jean-Claude Mailly, s’il concède qu’une journée unitaire serait "pas mal", le leader de FO prévient ses homologues : "J'ai un mandat pour une journée de mobilisation avant la ratification (des ordonnances). Il y a certains points qu'on n'accepte pas dans les ordonnances, mais je n'ai pas un mandat pour le retrait global des ordonnances", a-t-il tempéré sur RMC, à quelques heures de cette réunion. "On verra la discussion ce soir. Je ne réponds pas aux convocations", a-t-il conclu, questionné sur le "19 ou le 20 octobre", dates déjà avancées par la CGT.
Les fonctionnaires, pour se refaire. En attendant un éventuel accord, les syndicats espèrent redorer leur image quelque peu écornée avec la mobilisation des fonctionnaires. "Cette mobilisation exceptionnelle correspond à une attente. C’est suffisamment rare que toutes les organisations syndicales appellent à la mobilisation, pour être souligné", a affirmé Philippe Martinez à la veille des rassemblements. Si tout le monde se lance dans la bataille pour le service public, c’est aussi parce que les chances d’obtenir des avancées sont réelles. "Mardi, il y a des débouchés possibles", assure Laurent Berger. "Nous demandons une discussion sur les missions du service public, la richesse que constituent les fonctionnaires et un rendez-vous salarial qui aboutisse à un gain de pouvoir d’achat."
Même si les 120.000 postes de fonctionnaires en moins font partie des engagements de campagne d’Emmanuel Macron et que le gel du point d’indice en 2018 est inscrit dans le budget, Philippe Martinez y croit : "Bien sûr que le gouvernement peut bouger. Quand les fonctionnaires se mobilisent, les gouvernement réfléchissent et changent d’avis. D’autant plus que dans l’opinion publique, en général les fonctionnaires sont reconnus et appréciés. Les citoyens sont solidaires des fonctionnaires."
Philippe fait un geste. Preuve que les syndicats ont de la marge de manœuvre, Édouard Philippe, invité d’Europe 1 lundi matin, a tenu à apaiser les tensions avec les fonctionnaires. "Je ne les déconsidère en aucune façon. Je sais le rôle nécessaire qu’ils jouent dans le lien social", a assuré le Premier ministre. Il a rassuré les fonctionnaires inquiets de la hausse de la CSG, précisant qu’elle serait "neutralisée", "d'abord en diminuant les cotisations des contributions qui sont représentatives des cotisations salariales, et ensuite par un versement de primes". "Par ailleurs, il y aura l'augmentation normale de la masse salariale dans la fonction publique, ce qui veut dire une augmentation de pouvoir d'achat annuelle d'environ 2% au global", a assuré Édouard Philippe.
Les syndicats au rebond. Pour être sûrs d’obtenir gain de cause, les syndicats de la fonction publique (où la CGT est majoritaire) devraient mobiliser massivement mardi, d’autant plus que les fonctionnaires répondent généralement présent lors de ces rassemblements. En cas de succès, la mobilisation pourrait servir de tremplin à l’avenir de la contestation contre la réforme du travail. "Pourquoi ça va bien marcher demain ? Parce que tous les syndicats appellent à manifester. On est plus efficaces quand on est unis que quand on est divisés", rappelle Philippe Martinez. "Si nous voulons peser ensemble sur les réformes de la formation professionnelle et de l’assurance-chômage, je crois que nous avons intérêt à parler d’une seule voix", renchérit même Laurent Berger. Rendez-vous est pris.