Les marchés sont fébriles. Les principaux indices boursiers sont tous passés dans le rouge mardi et ont continué à chuter mercredi. Ainsi, le CAC 40, après avoir perdu 1,86% mardi, reculait de près de 3,40% mercredi soir. Des signes d’inquiétude également palpables à Wall Street, à Francfort, à Tokyo ou encore sur les marchés de matières premières. Pour comprendre cette phase de spleen, il faut aller jusqu’en Chine. En effet, c’est la décision de Pékin de procéder à deux dévaluations de sa monnaie, le yuan, qui a provoqué cette déprime des marchés. Et qui pourrait avoir bien d’autres conséquences encore.
Mise à jour du 14/08/2015 : La Chine a procédé jeudi à une nouvelle baisse de plus de 1% le taux de référence du yuan face au dollar, la troisième "dévaluation" en trois jours. Vendredi, la banque centrale chinoise a en revanche relevé ce taux de 0,05%.
A l’origine, une double dévaluation. Tout est parti de la décision de la banque centrale chinoise (PBOC) de modifier mardi matin le taux de référence du yuan par rapport au dollar, avant de faire de même mercredi matin. Un terme technique qui désigne en fait une dévaluation, même si les autorités chinoises refusent d’utiliser le terme.
Pour rappel, dévaluer une monnaie consiste à modifier sa valeur par rapport à d’autres monnaies ou auparavant à des métaux servant de référence. En clair, alors que dimanche dernier 100 yuans valaient 16 dollars, ces 100 yuan permettent d’obtenir seulement 15,7 dollars mercredi, soit une dévaluation de 3,5% en deux jours.
Pourquoi cette décision des autorités chinoises ? Rendre sa monnaie moins forte par rapport aux autres peut sembler illogique, mais la Chine a ses raisons. Car si Pékin a entamé au début des années 2010 une transition pour doper la consommation intérieure, l’économie chinoise reste encore très tournée vers l’exportation. Mais le made in China, basé sur des tarifs très bas, n’est plus ce qu’il était : la hausse du niveau de vie et la grogne sociale ont conduit les entreprises chinoises à augmenter sensiblement les salaires, ce qui a renchéri les produits chinois. Résultat, des exportations en baisse (-8,3% en juillet par rapport à l’année précédente) et des entreprises qui délocalisent vers le Vietnam, le Cambodge ou le Bangladesh pour y trouver des coûts de main d’œuvre moins élevés. Cet exode, entamé par les entreprises du textile, concerne désormais aussi les entreprises assemblant des produits électroniques.
Une situation intenable pour la Chine, habituée à une croissance à deux chiffres pendant les années 2000 et qui en a besoin pour fournir du travail à une population active avoisinant les 800 millions de personnes. Faute de quoi, les mouvements sociaux pourraient se multiplier et saper la légitimité du parti communiste, qui achète la paix sociale en promettant aux Chinois un accroissement de leur niveau de vie.
Qu’est-ce que ça change pour la Chine ? Rendre le yuan moins fort par rapport à l’euro ou au dollar revient à rendre moins chère la production chinoise pour le consommateur européen ou américain. L’objectif est donc de relancer les exportations pour que les usines du pays continuent à tourner, en attendant - à moyen et long terme - que la consommation intérieure soit suffisante pour permettre de faire tourner l’économie chinoise. Si cette décision doit doper les exportations, elle risque aussi de freiner les importations en Chine : tout produit venant de l’étranger va désormais coûter plus de yuans.
Les importations en Chine risquent donc de reculer, ce qui explique en grande partie la fébrilité des marchés : l’Empire du milieu étant le premier consommateur de pétrole, de cuivre, de fer, etc. au monde, le recul de la demande chinoise devrait faire baisser les cours. De même, un yuan moins fort devrait faire reculer les importations de machines-outils, de berlines allemandes ou encore de produits de luxe français.
Quelles conséquences pour le reste du monde ? Tout l’inverse de ce qui devrait se passer en Chine. Les importations venant de Chine devraient repartir à la hausse et les exportations vers ce pays se tasser. De même, les touristes chinois ayant perdu en pouvoir d’achat lorsqu’ils sont à l’étranger, ces derniers risquent de se montrer moins dépensiers lors de leurs voyages.
Autre source d’inquiétude : que d’autres pays réagissent en procédant à leur tour à une dévaluation de leur monnaie pour regagner en compétitivité. Une guerre des monnaies dont l’euro pourrait être le grand perdant, alors que la baisse de ce dernier depuis le début de l’année a permis de relancer les exportations européennes.
Cette double dévaluation pourrait cependant avoir une autre conséquence plus positive : une normalisation du yuan, dont le cours pourrait ne plus être fixé selon des objectifs politiques mais en fonction de l’offre et de la demande pour cette monnaie. Une condition indispensable pour en faire une monnaie internationale de référence et donc convertible. De quoi asseoir le statut de puissance mondiale de la Chine mais aussi l’obliger à respecter les mêmes règles que les autres zones monétaires. Une mini révolution pour un Etat dont le modèle économique est basé sur le dirigisme et qui n’embrasse l’économie de marché que lorsqu’elle y gagne.