Jusqu’où descendra le bitcoin ? Depuis qu’elle a tutoyé les 17.000 euros pour une unité (un "jeton") fin décembre, la plus connue des monnaies virtuelles n’en finit plus de chuter. Mercredi, un bitcoin s’échangeait contre "seulement" 6.200 euros, au plus bas depuis novembre, juste avant l’envolée du cours. Une mauvaise passe pour les possesseurs de cryptomonnaies (le bitcoin sert de référence aux autres monnaies virtuelles) mais une bonne nouvelle pour… la planète. En effet, derrière le rêve de fortune numérique se cache une pratique extrêmement énergivore.
Plus énergivore que le Danemark. Précisément, en 2017, la production de bitcoin a nécessité 36 TWh d’électricité, plus que la consommation électrique annuelle de petits pays développés comme l’Islande (25 TWh), le Danemark (32TWh) ou le Qatar (34 TWh). Actuellement, une seule transaction en bitcoin consomme 100kWh, une quantité d'électricité équivalente à celle d’une ampoule classique allumée pendant trois mois ou d’un radiateur électrique allumé pendant quatre jours. L’envol des transactions a donc fait exploser le bilan énergétique du bitcoin et des autres monnaies virtuelles, lié à leur production virtuelle : le minage.
Une compétition d’ordinateurs. Pour faire simple, le minage consiste à résoudre des algorithmes par le biais d’ordinateurs connectés en réseau. Les calculs sont tellement complexes que pour obtenir la bonne réponse (presque aléatoire à ce niveau-là), ils doivent tenter énormément de solutions. Toutes les dix minutes, le programme qui fait tourner le bitcoin sélectionne les ordinateurs ayant résolu les opérations de l’algorithme et procède à un tirage au sort. Le gagnant reçoit 12,5 bitcoins, soit environ 82.000 euros au cours actuel. Pour gagner cette compétition virtuelle (et la fortune qui va avec), la meilleure option est donc de tenter plus de réponses que la concurrence. Or, chaque tentative pour deviner la clé de l’algorithme consomme de l’électricité.
Pour maximiser leurs chances, les "mineurs" s’équipent avec les ordinateurs les plus puissants et donc les plus énergivores. Le New York Times rappelle qu’au début, quand le bitcoin était encore confidentiel, il était possible de créer du bitcoin avec un simple ordinateur portable. Mais le fonctionnement en réseau a créé un cercle vicieux : plus il y a d’ordinateurs qui font du minage, plus l’algorithme est complexe, plus il faut des machines à la pointe pour créer du bitcoin. L’objectif initial est d’empêcher qu’un acteur puisse prendre le contrôle de la création des monnaies virtuelles. Avec une conséquence très concrète pour la planète : la consommation énergétique des cryptomonnaies a explosé.
Des fermes de minage. Il y a tout juste un an, quand le bitcoin valait autour de 1.000 euros, sa production nécessitait l’équivalent de 9,5 TWh par an. Désormais, il faut compter 47,6 TWh, selon le site Digiconomist. On est encore loin de la consommation d’un pays comme la France (483 TWh en 2016) mais pour de simples transactions financières, c’est astronomique. Cette dépense énergétique exponentielle est imputable aux "fermes à bitcoin". Pour se donner les meilleures chances de créer du bitcoin, certains ont en effet "professionnalisé" le minage en installant dans des hangars des rangées de super-ordinateurs reliés en réseau et uniquement dédiés à la résolution des algorithmes. L’une des plus grosses du monde se trouve en Mongolie mais on en trouve aussi en Islande, en Russie et surtout en Chine, paradis de ces fermes 2.0.
Alex de Vries, économiste du site Digiconomist spécialiste des cryptomonnaies, a fait ses calculs : aujourd’hui, chaque transaction de bitcoin requiert 80.000 fois plus d’électricité que pour un paiement par carte bancaire Visa. "Si vous n’avez pas confiance dans le système financier, la gestion centralisée de Visa peut vous paraître moins attractive que le bitcoin. Mais est-ce que cela justifie le coût énergétique supplémentaire ? Je pense que pour la plupart des gens la réponse est non", affirme-t-il au "NYT".
Débat et prise de conscience. Les partisans du bitcoin répondent avec deux arguments. La complexité de l’algorithme est nécessaire au fonctionnement libre du bitcoin et des autres monnaies et le bilan énergétique est surestimé puisque d’eux-mêmes, les "gérants" installent leurs fermes près de sources d’électricité peu chères (la géothermie en Islande, l’hydroélectrique à Washington). Une prise de conscience semble en effet naître chez certains acteurs du monde si volatile de l’argent virtuel. "Je me sentirais personnellement très malheureux si ma principale contribution au monde ajoutait l’équivalent de la consommation d’électricité de Chypre au réchauffement climatique", disait récemment Vitalik Buterin, l’inventeur russo-canadien de l’ethereum, la seconde monnaie virtuelle en valeur.
Conscient de l’impact très négatif de son activité, l’entrepreneur travaille sur une manière de fabriquer des "jetons" d’ethereum moins gourmande en énergie. Au lieu de distribuer des jetons à ceux qui s’efforcent de résoudre les algorithmes comme c’est le cas aujourd’hui ("preuve du travail"), le processus "preuve de participation" les attribueraient aux personnes capables de prouver qu’ils possèdent déjà des jetons. Une nouvelle règle qui permettrait de restreindre la course par ordinateur puisqu’il faudrait comme condition préalable posséder du bitcoin pour en créer, obligation qui n’existe pas actuellement.
Par ailleurs, la volonté de certains pays de réguler le bitcoin pourrait mettre fin à la surenchère énergétique. C'est notamment le cas de la Chine, qui veut mettre fin au minage sur son territoire. Quand on sait qu'environ 70% du volume de minage de bitcoin actuel se fait en Chine et que l’électricité chinoise provient principalement du charbon, cette interdiction offrirait un bol d’air à la planète.