La lutte contre l’organisation Etat islamique passe d’abord par le renseignement et l’action militaire, deux moyens d’actions que le gouvernement a récemment renforcés avec l’adoption en juin de la loi sur le renseignement, puis l’annonce mi-novembre de 8.500 embauches supplémentaires au sein des forces de sécurité. Mais ces deux leviers resteront insuffisants si les Etats ne s’attaquent pas aux ressources financières qui permettent à Daech de se renouveler et de se développer. Le ministre des Finances a donc dévoilé lundi une série de mesures pour mieux traquer et assécher les finances des organisations terroristes. Ces dernières pourraient entrer en application dès début 2016.
S’attaquer aux cartes de paiement anonymes. Selon les premiers éléments de l’enquête, les auteurs des attentats de Paris n’ont pas seulement utilisé de l’argent liquide mais aussi des cartes bancaires pour mener leurs actions. Sauf qu’il ne s’agissait pas de n’importe quel type de carte : des cartes bancaires prépayées pour lesquelles la vérification d'identité n’est pas obligatoire. Les assaillants ont ainsi pu disposer d’un moyen de paiement pratique et quasi-anonyme, puisqu’il est possible de les créditer à hauteur de 2.500 euros par an sans vérification d’identité. Le ministère des Finances prépare donc un décret durcissant les règles pour ce moyen de paiement afin de revoir à la baisse les plafonds et de renforcer les contrôles d’identité lors des recharges.
De même, le plan du ministère des Finances prévoit de rendre obligatoire la prise d'identité pour toute opération de change d'un montant supérieur à 1.000 euros.
Améliorer le renseignement économique. "Lutter contre le terrorisme, c’est d’abord assurer que l’information circule de manière parfaitement fluide entre les services de l’Etat", a déclaré Michel Sapin lundi. La meilleure coordination entre le service de renseignement de Bercy, Trafcin, et les autres entités du renseignement français a d’ailleurs permis d’accélérer l’enquête sur les attentats du 13 novembre, dixit le ministre.
Bercy préconise donc une réforme pour multiplier les ponts entre les différents services de renseignement. L’objectif est que les agents de Tracfin puissent avoir accès automatiquement aux ressources suivantes :
- le fichier de Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ), qui a remplacé les contestés fichiers Stic et Judex
- le fichier des personnes recherchées (FPR) - qui font l’objet d’un suivi des autorités -
- et surtout les fameuses "fiches S" – pour les personnes qui font l’objet d’un soupçon. Aujourd’hui, lorsque les agents de Tracfin veulent savoir si un suspect fait l’objet d’une telle fiche, ils doivent passer par un "officier de liaison", ce qui ralentit les enquêtes. La réforme proposée doit également faciliter les échanges dans l’autre sens : que la police judiciaire puisse consulter le fichier des comptes bancaires (Ficoba), géré par le ministère des Finances.
En outre, Tracfin serait autorisé à pouvoir alerter un établissement bancaire lorsqu’il juge suspect un de ses clients. La banque serait alors invitée à se montrer plus vigilante et à tirer la sonnette d’alarme si elle remarque des mouvements suspects.
Renforcer les sanctions contre les suspects. Le ministère des Finances propose d’élargir un système qui a déjà fait ses preuves avec le grand banditisme et le trafic de stupéfiant : le gel des biens et des avoirs. En clair, mettre sous séquestre les biens et le patrimoine des personnes physiques ou morales qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme. Depuis une loi de 2006, il est possible de geler les comptes bancaires, l’objectif est de pouvoir bientôt faire de même avec les biens immobiliers, les véhicules mais aussi certaines prestations sociales.
Et améliorer la coordination internationale. Si les précédentes mesures doivent permettre d’améliorer le renseignement à l’intérieur de l’Hexagone, elles ne sont cependant pas suffisantes pour faire face à des organisations qui se jouent des frontières. Michel Sapin a donc plaidé pour renforcer les échanges d’informations entre Etats.
D’abord en accélérant la mise en oeuvre de la dernière directive européenne anti-blanchiment, jusqu'ici prévue pour 2017 et que certains Etats rechignent à faire passer. Ensuite en mettant davantage la pression sur les Etats "non coopératifs" dans la lutte contre le blanchiment : en clair, les paradis fiscaux et autres zones grises de la finance internationale. Or il reste beaucoup de chemin à parcourir : la "liste noire" du groupe d'action financière (Gafi), consacré à la lutte contre le blanchiment et le terrorisme, ne comprend actuellement que deux Etats, l'Iran et la Corée du Nord.
Enfin, le ministre des Finances a plaidé pour que les Européens puissent avoir accès à une mine d’informations que gardent jalousement les Etats-Unis : les données sur les transactions SWIFT, système par lequel passent plus de 90% des transferts de fonds internationaux.