Nouveau scandale sanitaire et éthique dans un élevage de poules. L’association L214 a publié lundi une vidéo tournée dans une exploitation de poules pondeuses : on y découvre des volatiles entassés les uns sur les autres dans des cages, déplumés, vivant au milieu de leurs congénères morts, présence de poux et de parasites… Les images proviennent d’un élevage en batterie de Chauché, en Vendée, propriété des Œufs Geslin, qui fournirait des ovoproduits (œufs transformés en liquide, en poudre, etc.), entre autres clients, à Lustucru Sélection (groupe Panzani). Une information démentie par l’industriel dans la foulée.
"Cas isolé" ou "loin d’être exceptionnel" ? Une situation "totalement inacceptable, mais malheureusement loin d’être exceptionnelle", regrette auprès du Monde Johanne Mielcarek, chargée de la campagne œufs à L214. Il y a un an, L214 avait mis au ban un élevage géant de poules pondeuses de l'Ain, conduisant Matines, la première marque française d'œufs, à cesser de s'y approvisionner. "On est les premiers à dire que cette vidéo est horrible et l’élevage condamnable", assure Maxime Chaumet, secrétaire général du Comité national de promotion de l’œuf (CNPO). "Mais c’est un cas isolé, il ne faut pas mettre toute la profession dans le même sac. La production évolue vers plus d’éthique, mais cela prend du temps", ajoute-t-il.
Deux poules sur trois vivent en cage. Avec 14,7 milliards d’œufs pondus en 2015, la France est le premier producteur européen. Ces œufs proviennent à 68% de poules élevées en cage, à 25% en plein air (dont 8% de bio) et à 7% au sol sans accès au plein air, selon les chiffres du Comité national pour la promotion de l’œuf (CNPO). Depuis plusieurs années, la filière avicole française s’est engagée dans une transformation de sa production, avec une part de plus en plus importante des élevages alternatifs (plein air, sol et bio). En 2009, la part des élevages en cage représentait 80% du total de la production d’œufs de consommation.
Les industriels s’engagent. Mais scandale après scandale, l’élevage en cage a vu son image se dégrader. Une évolution des pratiques est réclamée à grand bruit, à la fois par les consommateurs et par les marques. De plus en plus d’enseignes se sont déjà engagées ou ont fixé une date butoir pour l’arrêt de la distribution d’œufs de poules élevées en batterie : Monoprix, Carrefour, Leclerc, Casino, Lidl, Picard, Sodexo, les hôtels Hilton ou Accor, McDonald’s, Michel & Augustin, Barilla… La liste est longue.
Selon les calculs de L214, les engagements de la seule grande distribution entraîneront une "sortie des cages" de sept des 47 millions de poules pondeuses de France. "S’il reste du travail sur les produits élaborés et la restauration commerciale, c’est la première fois que l’on obtient une avancée aussi importante du marché sur le bien-être animal", rappelle la porte-parole Johanne Mielcarek, dans Le Monde.
Prendre le temps du changement. Malgré l’attitude volontariste des grandes marques agroalimentaires, le CNPO regrette un manque de réflexion. "C’est un peu la course à l’échalote. Il n’y a pas de concertation, c’est à qui paraîtra le plus éthique le plus vite. La plupart des grands distributeurs se sont engagés à bannir les œufs en batterie à partir de 2020 sous leur marque propre et 2025 pour la totalité du rayon œufs. Des échéances qui ne prennent pas en compte les contraintes techniques et économiques qui pèsent sur les éleveurs", explique le secrétaire général de l’interprofession.
En effet, la mise en conformité avec la directive européenne de 2012 des élevages en cage a coûté "un milliard d’euros" aux éleveurs avicoles (il a fallu agrandir les bâtiments pour que chaque poule dispose de 750 cm2, un peu moins qu’une feuille A4). "Les remboursements prennent dix ou quinze ans et sont donc toujours en cours. Les éleveurs ne peuvent pas se permettre d’investir à nouveau dans le foncier et le bâtiment pour changer complètement leur modèle de production", plaide Maxime Chaumet.
500 millions d’investissements sur cinq ans. Pour répondre aux attentes des consommateurs, la filière française des poules pondeuses s’est fixée son propre objectif, "plus réaliste" : faire baisser l'élevage en cage en atteignant 50% d'élevage bio ou en plein air d'ici 2022 (contre 25% aujourd’hui). Les investissements se monteraient à 500 millions d’euros sur cinq ans. Pour Maxime Chaumet, ce plan est déjà suffisant : "Les ménages, qui représentent 47% de la consommation totale d’œufs, achètent toujours 52% d’œufs de poules en cage. L’étiquetage est clair, cela reflète donc un choix de leur part". Estimant que les éleveurs ne peuvent assumer seuls ce changement radical de production des œufs, le CNPO demande à l’État et aux entreprises engagées dans cette démarche éthique de contribuer au financement du plan.
France/Allemagne : deux modèles différents
Le modèle français n’est pas unique parmi les grands producteurs européens. En 2014, 93% des poules pondeuses d’Espagne étaient élevées en cage, 87,5% en Pologne et 65,1% en Italie. L’Allemagne (10% de poules en cage) et les Pays-Bas (16%) ont fait le choix de privilégier l’élevage au sol (un peu plus de 60%). Mais la part du plein air dans ces deux pays (18% et 16%) est comparable à celle de la France (17%).
La différence entre les modèles allemand et français est une question de choix : "L’Allemagne a fait le choix de délaisser progressivement l’élevage en cage plus tôt que nous. En 2012, la directive européenne relative à la protection des poules pondeuses a entraîné une divergence : les Allemands ont profité de l’instauration de normes plus strictes pour changer de modèle de production alors qu’en France, les distributeurs ont demandé à conserver les poules en batterie en faisant la mise aux normes", détaille Maxime Chaumet, du CNPO. Par ailleurs, l’élevage au sol est également critiqué par les associations car il n’empêche pas l’entassement des volailles.