Les passagers du vol Air France reliant vendredi Barcelone à Roissy-Charles-de-Gaulle ont frôlé la catastrophe : alors que l’Airbus A320 qui les transportait approchait de l’aéroport parisien, le copilote a détecté la présence d’un drone sur la trajectoire de l’avion, l’obligeant à effectuer une manœuvre en urgence pour éviter une collision. Le commandant de bord, qui a pu observer le drone, "estime qu'il est passé environ cinq mètres en dessous de l'aile gauche de l'avion", précise le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA), qui qualifie l'incident de "grave". La menace est d’autant plus sérieuse que de tels évènements risquent de devenir de plus en plus fréquents vu le succès grandissant que rencontrent les drones auprès du grand public. Les autorités planchent sur le sujet pour éviter que de tels incidents deviennent des accidents.
Quel risque représente un drone pour un avion ? Un drone grand public pèse en moyenne moins de deux kilos, ce qui ne fait pas beaucoup en comparaison des 77 tonnes d’un A320. Mais malgré ce poids plume, une collision peut avoir des conséquences très graves sur l’avion : "un drone peut fissurer un pare-brise, pénétrer dans un moteur ou endommager des volets, c'est potentiellement assez dangereux", a précisé Philippe Evin, président du syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) d'Air France, vendredi sur Europe 1.
Le risque est encore plus élevé aux alentours des aéroports, lorsque les avions sont dans la délicate phase de décollage ou d’atterrissage. De plus, la plupart des drones sont indétectable par les radars et peuvent provoquer des interférences sur les fréquences radio. Le secteur aérien prend donc la menace très au sérieux, d’autant que des drones de plus en plus grands et lourds sont désormais disponibles. Le danger est encore plus grand pour les avions de loisir, plus légers, qui volent plus bas et ont donc encore plus de chances de croiser la route d’un drone.
Un drone a-t-il déjà provoqué un accident ? Pas encore, c’est pourquoi les autorités aériennes parlent d’"incidents" et non d’"accidents". En France, seuls trois incidents sur les aéroports parisiens d’Orly et Roissy ont été recensés en 2015 par la Direction générale de l'aviation civile (DGAC). Mais "c’est la première fois que le BEA est amené à enquêter sur un tel évènement. Ce sont des évènements peu fréquents en France, et peut-être que certains n’ont pas été signalés", a souligné l’ancien directeur du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) Jean-Paul Troadec, vendredi sur Europe 1. Avant de poursuivre : "par contre, on en a eu beaucoup aux Etats-Unis, il y a eu un certain nombre d’enquêtes sur des risques de collision avec des drones civiles ou militaires qui n’ont jamais donné lieu à des accidents, mais on est passé pas loin".
En effet, les chiffres fournis par l’administration fédérale aérienne sont inquiétant : elle a recensé plus de 650 incidents entre janvier et août 2015, c’est-à-dire trois fois plus que pour toute l’année 2014. Et à 36 reprises, la collision a été évitée de justesse, selon un décompte effectué entre décembre 2013 et septembre 2015 par Centre d'étude des drones à l'université américaine de Bard.
Ces chiffres doivent néanmoins être pris avec des pincettes. De nombreux drones n’ont pas été détectés et d’autres ont été considérés comme tel à tort. Le 9 mai 2015, un pilote américain a ainsi assuré avoir percuté un drone le long de la côte californienne. L’analyse de la carlingue montrera qu’il s’agissait en fait d’un oiseau.
" La question n’est pas de savoir si cela arrivera, mais plutôt quand cela arrivera "
Un accident n’est qu’une question de temps. Si le chiffrage sur les incidents impliquant des drones reste difficile, il n’en demeure pas moins que la menace est réelle. Et de plus en plus précise, comme l’a résumé de manière un peu crue le pilote américain qui avait réussi à faire amerrir en urgence un avion sur le fleuve Hudson à New York : "la question n’est pas de savoir si cela arrivera, mais plutôt quand cela arrivera", a déclaré Chesley Sullenberger en août 2015.
S’il le dit de manière plus diplomate, le président de l’Association internationale du transport aérien (IATA) est du même avis. Les drones "sont là pour durer. Mais nous ne pouvons pas les laisser devenir un obstacle ou une menace pour la sécurité de l’aviation commerciale", a-t-il prévenu lors du Airshow Aviation Leadership Summit de Singapour. Et ce dernier d’ajouter : "il est indéniable que cela représente une menace réelle et grandissante pour la sécurité de l’aviation civile. Il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine. (…) Ce problème est réel".
Comment éviter un accident ? Les Etats ont chacun commencé à se pencher sur la question, mais en ordre dispersé. Plusieurs mesures font consensus et ont été adoptées en France comme aux Etats-Unis : il est interdit aux drones de voler au-dessus d’une certaine altitude (150 mètres en général) ou d’approcher certaines zones (centrales nucléaires et électriques, prison, zones militaire, etc.). Les aéroports font bien évidemment l’objet d’un traitement particulier : en France, un drone ne peut pas voler à proximité d’un aérodrome ou d’un aéroport. L’appareil doit se tenir à une distance variable selon les lieux, le plus souvent entre 5 et 10 km. Aux Etats-Unis, la distance minimale a été fixée à 8 km.
Mais face à une technologie encore très évolutive, la législation ne cesse de s’adapter : depuis le 19 février 2016, les possesseurs d’un drone aux Etats-Unis doivent s’enregistrer auprès des autorités, tandis que la France a adopté une nouvelle réglementation le 1er janvier 2016. Les Etats sont néanmoins conscients qu’une législation nationale a ses limites dans une économie mondialisée. Le Parlement européen a donc adopté une résolution le 29 octobre 2015 pour poser les bases d’une future réglementation européenne et l’IATA planche sur "une approche commune" au niveau international. Parmi les pistes de réflexion sur la table : rendre les drones identifiables et géolocalisables en les équipant d’un transpondeur. Mais certains Etats veulent aller plus loin : les Américains envisagent ainsi de brider les drones de loisir pour les empêcher de voler à plus de 150 mètres d'altitude.
Priorité à l’éducation. En attendant d’avoir fixé des règles claires et communes, les Etats font principalement de la pédagogie. Les Etats-Unis ont notamment mis en place un programme baptisé "Know before you fly" : ce que vous devez savoir avant de voler. Un site internet dédié a également été lancé pour proposer des informations et des conseils aux amateurs de drone, mais aussi leur apprendre ce que prévoit la loi. Et parce que l’effort de sensibilisation commence dès le plus jeune âge, une vidéo recourt même aux services d’un ventriloque dont la marionnette explique qu’un drone est bien plus qu’un simple jouet.
Si la France n’est pas encore allée jusqu’à s’adresser aux enfants, le ministère de l’Environnement a mis en place une rubrique spéciale sur son site et a élaboré une affiche résumant les principales règles à respecter. Un document qu’il faudra probablement mettre à jour régulièrement.
Au fait, quelles sont les règles en France ?
La première règle concerne les zones qu’il est interdit de survoler, sauf dérogation : les agglomérations, les foules et de manière générale toute personne n’ayant pas été prévenue de la présence d’un drone. Certains sites sont également interdits de survol : les centrales nucléaires, les terrains militaires, les monuments historiques, les réserves naturelles, les parcs nationaux et bien évidemment les aéroports et aérodromes. Pour pouvoir voler en zone urbaine, il faut avoir suivi une formation spéciale et demander une autorisation à la préfecture.
En outre, un drone ne peut pas voler la nuit, même équipé de signaux lumineux, et dépasser une altitude de 150 mètres. Quand au pilote, il doit toujours être capable de suivre son appareil à l’œil nu, à moins d’être accompagné par une personne pour l’y aider. Enfin, la législation est très stricte en ce qui concerne les photos et vidéos que peuvent prendre les drones : une personne ne peut être filmée sans son autorisation explicite, tout comme certains bâtiments et monuments.
En cas de violation des règles de sécurité et notamment de deux arrêtés du 17 décembre 2015, les dispositions pénales du code des transports s'appliquent: peine maximale de un an d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende.
Ce résumé peut néanmoins ne plus être valable dans quelques mois, tant la loi ne cesse d’évoluer. Ainsi, depuis le 1er janvier 2016, il faut une autorisation de vol pour les drones pesant plus de 25 kg.