Le projet de loi El Khomri ne pourra pas se concrétiser sans le soutien d'un nombre minimum de syndicats, ce qui parait mal engagé : toutes les centrales se sont déclarées opposées au texte, y compris la très réformiste CFDT qui est pourtant souvent sur la même ligne que le gouvernement. Après avoir annoncé lundi un report de deux semaines afin de permettre de nouvelles négociations, le gouvernement va donc devoir faire un minimum d’ajustements pour convaincre les syndicats de le suivre. Et notamment la CFDT, qui est en général la première à signer et peut entrainer d'autres syndicats dans son sillage. Or, il se trouve que le syndicat a listé tous les points de la loi El Khomri qui ne sont pas négociables à ses yeux : il y a donc de fortes chances que ce soient ces aspects du projet de loi qui évoluent.
Europe 1 passe en revue ces points de blocage auxquels le gouvernement va devoir s’attaquer.
- Le plafonnement des indemnités prud’hommales
La loi El Khomri instaure un barème qui fige dans le marbre le montant maximal de dommages et intérêts qu’un salarié peut percevoir si les prudhommes jugent qu’il a été licencié sans justification ou en dehors des règles. Ce barème sera le même quelle que soit la taille de l’entreprise et prendra en compte l’ancienneté du salarié. Résultat, une entreprise saura à l’avance ce qu’elle risque lorsqu’elle licencie un employé sans motif valable, une forme de rationalisation des licenciements illégaux.
"Cette disposition n’est pas acceptable", estime la CFDT, qui demande son retrait pur et simple. Il est pourtant peu probable que le gouvernement revienne sur une disposition très symbolique du projet de loi El Khomri : à la place, le gouvernement pourrait - selon les informations d'Europe 1 - ajouter un nouvel étage à ce barème pour protéger davantage les salariés les plus anciens, qui sont les premiers perdants de ce barème.
- Les nouvelles modalités du licenciement économique
Aujourd’hui, une entreprise ne peut procéder à un licenciement économique que pour deux motifs : une cessation d’activité ou une mutation technologique. Elle peut également invoquer de graves difficultés économiques, mais il faut alors qu’elle le prouve, ce qui donne souvent lieu à une bataille juridique. C’est cette démarche que la loi El Khomri veut simplifier en définissant clairement ce qu’est une difficulté économique.
Si la CFDT juge cette définition trop favorable à l’employeur, il y a un point qui lui pose encore plus problème : le fait qu’une multinationale puisse licencier en démontrant qu’elle est en difficulté en France, et ce même si elle se porte bien à l’étranger. Craignant que les multinationales "organisent" leur mauvaise santé en France pour pouvoir licencier plus facilement, la CFDT demande a minima que cet examen de santé soit fait à l’échelle européenne. Aujourd’hui, cet examen se fait au niveau global.
- Organisation du travail : la liberté accordée à l’employeur
La loi El Khomri change la donne en ce qui concerne le rythme de travail : les astreintes pourraient être comptabilisées comme un temps de repos, les apprentis pourraient travailler plus de 8 heures par jour et les PME pourraient proposer des forfaits-jours à certains de leurs employés. Et surtout, de tels changements pourraient être imposés par l’employeur à ses salariés lors de négociations individuelles.
Négocier à ce niveau est inacceptable pour la CFDT, qui juge le rapport de force inégal et bien trop favorable à l’employeur. Le syndicat souhaite donc que de tels changements ne soient possibles qu’après négociation avec des représentants syndicaux. Et pour les PME qui n’ont aucun représentant syndical, la CFDT rappelle que les organisations de salariés pourraient y envoyer des représentants qui feraient office de négociateurs.
- Les autres points qui posent (moins) problème
Si la CFDT insiste sur ces trois aspects du projet de loi El Khomri, le syndicat conteste bien d’autres points. Il regrette notamment la suppression des obligations d’information et de consultation des salariés, le manque d’encadrement des accords de préservations et de développement de l’emploi, ou encore l’élargissement de la loi Florange aux entreprises de moins de 1.000 salariés. Une liste qui n’est pas exhaustive.
- "La concertation en amont n'a pas été satisfaisante"
"Je crois que le gouvernement a compris que son texte était déséquilibré et faisait beaucoup de mécontentement parmi les salariés et les jeunes, et qu'il était utile de discuter de nouveau. (...) Ce report a lieu, ce qui compte maintenant, c'est le contenu du texte", a réagi le secrétaire général de la CFDT, lundi sur Europe 1. "La concertation en amont de ce texte n'a pas été satisfaisante, c'est évident. Les organisations syndicales l'ont eu en même temps, et peut être même après la presse. Ce n'est pas une manière de faire. Refaisons cette concertation avec chacune des organisations syndicales", a ajouté Laurent Berger, avant de conclure : "j'espère qu'on sera écouté, sinon on sera mobilisé".