Pour la seconde fois en 54 éditions, il n’y aura pas une seule volaille dans les allées du Salon de l’agriculture cette année. Les piaillements, cancans, caquètements, roucoulements des poules, dindes, canards et autres pigeons ne résonneront pas dans la basse-cour (dans le hall 4). A leur place, les visiteurs trouveront des lapins en surnombre : il y en a 600 cette année, presque deux fois plus que l’an passé !
Onze après la première interdiction. La première et dernière fois que les volatiles avaient été interdits de salon, c’était en 2006. A l’époque, les autorités sanitaires craignaient fortement l’apparition du virus H5N1 en France. A raison puisque le 19 février, six jours avant le début du Salon et un mois après l’interdiction préventive des volailles dans les allées, le premier cas de grippe aviaire était détecté sur un canard abattu dans l’Ain. Le début d’une crise majeure qui aboutira à la mort de dizaines de milliers d’oiseaux.
Des centaines de milliers de bêtes abattues. Onze ans plus tard, la psychose est plus présente que jamais. Malgré les vides sanitaires imposés dans plusieurs départements du sud-ouest depuis un an et demi, les autorités ne parviennent pas à enrayer la propagation de l’épizootie. Pire, alors que gros semblait être passé à l’été 2016, la grippe aviaire est repartie en fin d’année, encore plus agressive. Résultat, le gouvernement a opté pour un abattage massif de canards et d’oies. La totalité des 600.000 canards des Landes vont ainsi être abattus, dont la moitié dans les 15 prochains jours.
" Il faut bien qu'on enraye l'épidémie de grippe aviaire "
Un énorme coup dur pour des éleveurs. D’autant plus que tout le monde est touché, même ceux qui confinent leurs volailles au quotidien. C’est le cas de Damien, éleveur landais qui accepte son sort avec soulagement, comme il le confiait sur Europe 1 mercredi : "Il faut qu'on arrête de réfléchir, il faut absolument abattre tout, vider les zones. C'est une libération parce que ça va enfin s'arrêter. Il n'y aura plus aucune chance que le virus tue nos animaux. "
Pas la même ambiance à Paris. Les conséquences économiques se feront sentir dans quelques mois et il y a encore peu de temps, les éleveurs espéraient retrouver un peu de baume au cœur lors du Salon de l’agriculture, une fête pour ceux qui ont la chance de venir à Paris. L’interdiction d’amener le moindre volatile constitue une sorte de double peine pour les éleveurs avicoles. "D’habitude, il y a environ 800 à 1.000 bêtes à plume. Moralement, c’est dur de ne pas en voir une seule", constate avec amertume Johann Coënne, commissaire général du secteur avicole du salon, au micro d’Europe 1. "Ce n’est pas vraiment la joie car il y a beaucoup de gens qu’on ne verra pas cette année. Le salon de Paris est censé être un moment où tout le monde se réunit, c’est le plaisir de tous se retrouver dans la capitale."
Des mois de préparation pour rien. Mais pas cette année. Dans la basse-cour du salon, l’ambiance n’est pas aussi vivante que les années précédentes. Les éleveurs sont venus mais uniquement avec des lapins. Surtout, ce sont des mois de préparation qui sont réduits à néant. "Un éleveur prépare le salon de Paris des mois à l’avance. Il faut sélectionner les bêtes, préparer les petits. C’est très difficile", assure le commissaire général. "Vous ne pouvez pas amener une poule comme ça, il faut la mettre en quarantaine à l’avance pour que le plumage ne s’abîme pas. Donc quand vous apprenez trois semaines avant que vous avez fait tout ça pour rien, forcément vous êtes déçu…"
" Les volailles restent chez nous donc on ne fait pas d'affaires "
Que des amateurs. C’est d’autant plus dur pour les éleveurs que tous ceux qui viennent exposer dans la "plus grande ferme de France" sont des amateurs, des passionnés qui élèvent une dizaine de volailles pour le plaisir, avant de les vendre au meilleur prix. Pour eux, le salon est une vitrine exceptionnelle. "Si on ne peut pas amener de volailles, ça veut dire qu’on ne peut pas en échanger ou en vendre pour payer le grain par exemple. Ça veut dire aussi qu’il faut nourrir plus de bêtes que prévu puisqu’elles restent chez nous, alors qu’on n’a pas la possibilité de faire d’affaires. On perd sur tous les tableaux", regrette sur Europe 1 Yves Desforges, un enseignant de l’Aube qui élève, à côté de son travail, des volatiles de race pure.
Tristesse et déception. Dans les allées de la basse-cour, la plupart des éleveurs acceptent sans colère mais avec tristesse cette situation exceptionnelle. "C’est normal, on doit respecter les interdictions sanitaires. Il faut bien enrayer cette épidémie. Je suis triste mais il faut assumer", concède Patrick, éleveur en Seine-et-Marne. "On ne va pas empoisonner la planète pour un hobby", abonde Yves Desforges. Principal motif de déception : ne pas pouvoir concourir pour les prix du salon. "Obtenir un prix à Paris c’est un vrai plus pour un élevage amateur", explique Johann Coënne.
Conséquences financières. Quant à l’avenir, les éleveurs ne sont guère optimistes. Les amateurs ne vivent que pour les salons où ils échangent et vendent leurs plus beaux spécimens. "Certaines expositions sont annulées deux ans de suite. Cela implique l’arrêt certain de plusieurs sociétés avicoles, des éleveurs qui cessent leur activité et des races qui disparaissent de nos régions", regrette Yves Desforges. Avec la grippe aviaire, les éleveurs qui envisagent de ne pas lancer de reproduction dans les mois à venir ne sont pas rares.