Si la France a maintenu sa balance commerciale agricole dans le vert en 2022, elle le doit beaucoup plus à ses vins et à ses céréales qu'à ses fruits et légumes. Car en la matière, la France importe à tour de bras et affichait un déficit commercial de 744 millions d'euros en 2022 (contre 640 millions en 2021) selon les chiffres publiés par le Haut-Commissariat au plan sur le commerce extérieur. La plupart des tomates, aubergines et courgettes vendues en France provient en effet d'Espagne, du Maroc mais aussi d'Allemagne ou des Pays-Bas. De son côté, l'Hexagone exporte peu et la flambée des coûts de production observée ces derniers mois - conséquence, entre autres, de la guerre en Ukraine - n'est pas de nature à changer la donne.
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Cette augmentation du prix des matières premières touche certes l'ensemble des pays européens mais à des degrés divers. "En Espagne, ils ont des frais inférieurs aux nôtres en France", confirme Enzo Demichelis, producteur de légumes aux Baux-de-Provence dans les Bouches-du-Rhône. Sans compter les différences de normes phytosanitaires qui peuvent exister entre deux pays. Un même produit peut être autorisé au Maroc mais interdit en France, obligeant les exploitants tricolores à s'adapter, moyennant des dépenses plus conséquentes.
Les fruits et légumes étrangers tirent profit de l'inflation
Par ailleurs, l'Espagne profite d'une main d'œuvre bien moins coûteuse, rappelle Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste de la société BDO France. Autant de facteurs qui permettent à la concurrence d'afficher des prix particulièrement attractifs sur les fruits et légumes. Et de séduire les consommateurs français dont le pouvoir d'achat s'est considérablement étiolé en l'espace d'un an au cours duquel les prix de l'alimentaire ont bondi de 16%. "Les gens font de plus en plus attention et se reportent vers les produits espagnols ou marocains qui sont moins chers", confirme Anne-Sophie Alsif. Et tant pis pour les fruits et légumes français, pourtant de meilleure qualité.
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Et les producteurs n'ont d'autres choix que s'accommoder de cette réalité. "Nous ne sommes pas dans une économie administrée. On est dans un marché ouvert donc l'État n'a pas à intervenir dessus. C'est la loi de l'offre et de la demande qui s'opère", souligne Anne-Sophie Alsif. Un rapport de force défavorable à la France qu'Enzo Demichelis attribue également à la crise économique de 2008 au cours de laquelle les producteurs ne parvenaient plus à faire recette. "À l'époque, beaucoup ont arrêté et il n'y a pas eu de relève. La passion n'a pas été transmise. Il y a donc un manque de producteurs en France", estime l'exploitant.
"Le prix des terrains décolle"
Une quinzaine d'années plus tard, c'est le coût de l'installation, devenu prohibitif, qui pose également problème. "Le prix des terrains décolle. Aujourd'hui, c'est quasiment impossible pour un producteur de s'installer sans une grosse aide de l'État. Il faut déjà avoir une famille qui possède des terres", assure Enzo Demichelis. Mais devant ce tableau a priori bien sombre, cet exploitant refuse de tomber dans la complainte. "Il y a beaucoup de Français qui sont au centime près. Donc je comprends qu'ils choisissent une courgette espagnole qui sera moins chère. Je n'ai pas de problème avec ça tant que je m'y retrouve financièrement. Par contre, si un jour je n'y arrive plus à vendre ma marchandise et que je vois des tonnes de courgettes étrangères arriver sans problème en France, là ça n'ira plus", prévient-il.
Une situation qui peut advenir lorsque des aléas climatiques viennent perturber la récolte d'un fruit ou d'un légume en France. Les quantités s'effondrent et ces produits voient alors leurs cours flamber. Les grandes surfaces répercutent ainsi ces frais supplémentaires sur les prix en rayon et les producteurs locaux se trouvent pénalisés par rapport à leurs homologues européens qui n'auraient pas connu les mêmes infortunes météorologiques et qui peuvent ainsi écouler leur marchandise bien plus facilement. "Il y a eu des abus par le passé mais je crois que c'est terminé", juge Enzo Demichelis.