Des éleveurs excédés, au bord de la faillite, des opérations commando contre des hypermarchés… la filière du porc en France traverse une période houleuse. Alors qu'en 2000, l'Hexagone comptait 8.400 élevages de porc, il n'en compte plus que 5.000 en 2015. Et même si des restructurations expliquent en partie cette chute, il n'empêche que de nombreux éleveurs mettent aussi la clé sous la porte. Le prix de cette viande, au kilo, ne suffit en effet plus aujourd'hui à couvrir les frais engagés par les exploitations. Europe 1 vous explique pourquoi la viande de porc est devenue en France un produit bradé.
Un prix low-cost ? Le cours du porc tourne autour d'1,30 euro le kilo si on se fie aux prix des enchères électroniques qui entrent en action deux fois par semaine. Les prix ont même perdu 8% rien que sur l'année 2014. C'est ainsi aujourd'hui une des viandes les moins chères de France.
Même si les éleveurs de bœuf se plaignent aussi des prix proposés, leur viande a profité d'un prix de vente en hausse de 2001 à 2006, puis depuis 2010. Son prix dans les rayons atteignait ainsi 23 euros le kilos, contre 15 euros en 2002. Et le kilo de carcasse payé à l'éleveur se situait autour des 2,70 euros en 2011. Le prix du poulet par contre, avec son 1,1 euro le kilo en 2013, se rapproche des prix du porc.
Des élevages déficitaires. Si le prix d'achat du porc met en colère les éleveurs, c'est qu'il ne leur permet même pas de rentrer dans leur frais. Le prix de revient d'un cochon est en effet de 1,50 euro, soit 20 cents de plus que ce qu'ils reçoivent au bout de neuf mois d'élevage. Pour éviter de se retrouver dans le rouge tous les mois et faire un minimum de bénéfices, les éleveurs réclament par conséquent un cours à 1,60 euro. Aujourd'hui, 200 éleveurs seraient au bord de la faillite en Bretagne, première région productrice de France avec 58% de la production totale.
La grande consommation en cause ? Si la grande consommation est pointée du doigt, c'est qu'elle écoule 85% du porc frais produit en France. Et elle pratique des promotions sur 70% de ces achats, selon la Fédération nationale porcine. Par conséquent, des côtes de porc qui normalement se vendent à 7 euros le kilo se retrouvent couramment à 2 euros le kilos. De quoi convaincre des consommateurs qui ont tendance à moins consommer de viande et notamment moins de porc. Mais de quoi aussi fausser le jugement des consommateurs qui s'habituent à acheter du cochon à un prix cassé. Les éleveurs, eux, ne supportent plus ces prix. "C'est se moquer du produit, deux euros, c'est moins cher que l'aliment pour les animaux de compagnie", s'insurge auprès du Télégramme Michel Bloch, président de l'UGPVB, union des groupements de producteurs.
(MYCHELE DANIAU / AFP)
Une concurrence étrangère féroce. Les cochons allemands et espagnols font de la concurrence à leurs voisins français. Dans ses pays, la filière porcine se porte bien avec une production en hausse de 3% de l'autre côté du Rhin et de 6% en Espagne. Résultat, la balance commerciale du porc, en valeur, est désormais déficitaire en France. Cela veut dire que le pays vend moins de cochons et de produits dérivés de cette viande à l'extérieur qu'il n'en achète à des pays étrangers. Excédentaire de 94 millions d'euros en 2000, elle est aujourd'hui négative à hauteur de 143 millions d'euros en 2012. La France vend moins et achète plus… aux Espagnols qui est son premier fournisseur de porc.
L'Allemagne, elle, fait figure de bulldozer à côté de la France. Troisième producteur de porc au monde derrière les États-Unis et la Chine, ses ventes à l'extérieur de ses frontières sont passées d'un petit 167 millions de dollars en 1993 à 1,57 milliard de dollars en 2011. La raison de cet engouement pour le cochon allemand ? Son prix imbattable grâce à un élevage à échelle industrielle et une main d'oeuvre très bon marché, souvent originaire des pays d'Europe de l'est.
Embargo russe, un marché en moins. Décrété en février 2014, l'embargo russe lié à la crise ukrainienne, n'a pas arrangé les affaires des éleveurs de porcs français. Moscou, qui a utilisé le prétexte de cas de peste porcine découverte en Europe de l'est, pour fermer ses frontières à tout le porc européen a privé les éleveurs de l'Hexagone d'un marché lucratif. Le marché des exportations de cochons en Russie représente en effet 100 millions d'euros. Selon le Comité régional porcin, c'est en moyenne 70.000 euros de pertes par an pour un éleveur moyen.
En plus de cette perte brute, l'embargo a engorgé le marché français. Autrement dit, le porc non vendu en Russie a dû trouver preneur dans l'Hexagone, de quoi faire baisser un peu plus les prix et pousser les grandes enseignes à multiplier les promos pour vendre ces surplus. De quoi motiver Bruxelles à prendre des mesures de soutien, annoncées en février dernier, mais qui n'ont pas encore montré leurs effets. Le Commissaire européen à l'Agriculture a entre autres annoncé le stockage du porc, au frais de l'UE, afin de faire remonter les prix du marché.
Les promotions ? Limitées à deux mois par an a décidé le gouvernement. Face au porc bradé et à des éleveurs qui multiplient les actions coup-de-poing, le gouvernement a décidé de prendre le cochon par la queue. Stéphane Le Foll l'avait annoncé mardi : si les éleveurs ne trouvaient pas d'accord avec les industriels et avec les distributeurs, le gouvernement déciderait de limiter lui-même les promotions. Aussitôt dit, quasiment aussitôt fait. Vendredi a été publié au Journal officiel un arrêté limitant à deux mois par an les fortes promotions sur la viande de porc fraîche. Précisément, en dehors de janvier et septembre, les rabais ne pourront plus proposer des prix inférieurs à 50% du prix moyen.
Les grands distributeurs font un geste. Les distributeurs se mobilisent aussi. Michel-Edouard Leclerc a ainsi promis mardi que ses enseignes achèteraient désormais le porc à 1,40 euro le kilo. Intermarché lui a emboîté le pas en annonçant qu'il verserait 5 cents de plus par kilo acheté.