Pour les salariés concernés, l'annonce a fait l'effet d'un coup de massue. La direction d’Alstom a décidé mercredi d’arrêter de produire des trains sur le site de Belfort, où fut pourtant construite sa première locomotive à vapeur. Invoquant une baisse des commandes, la direction veut transférer la production de trains en Alsace pour ne conserver à Belfort qu’une activité de maintenance. Le coup est dur pour la région mais aussi l’Etat, qui s’était très impliqué dans l’entreprise il y a tout juste deux ans pour défendre l’industrie et l’emploi. Ce dernier exige une "phase de discussion et de négociation" avant toute décision définitive.
Qu’a annoncé Alstom jeudi ? Invoquant "la baisse des commandes et des projets d'investissement", le constructeur ferroviaire a annoncé mercredi qu'il "se devait d'adapter son outil industriel pour ne pas mettre l'ensemble des sites à risque". Traduction concrète : Alstom prévoit l'arrêt de sa production de trains à Belfort d'ici à 2018, qui mobilise entre 400 et 500 emplois. La construction de train sera transférée à Reichshoffen, dans le Bas-Rhin, une décision d’autant plus symbolique que Belfort est le berceau historique du groupe.
Le groupe Alstom a tenu à préciser que cela ne signifiait pas la fermeture du site de Belfort, qui sera dédié à la maintenance. Il n’empêche, l’activité risque d’y être fortement réduite. Quant à l’emploi, Alstom a souligné qu’aucun licenciement n’était prévu : "une proposition de transfert" vers d'autres sites en France sera proposée à chaque employé concerné. Mais si ces derniers ne veulent ou ne peuvent pas déménager, des départs volontaires et négociés auront lieu. "Cette annonce signifie pour nous la fermeture ni plus ni moins de Belfort", a déclaré à l'AFP Olivier Kohler, délégué CFDT du site. Selon lui, sur les 500 salariés actuels, seuls les 50 affectés à la maintenance des trains resteront sur place.
Comment a réagi le gouvernement ? Ni Matignon ni Bercy n’ont commenté dans l'immédiat cette annonce, laissant Ségolène Royal s’emparer du dossier. "Ces annonces brutales sont très étonnantes", a dénoncé jeudi matin la ministre de l’Environnement et de l’Energie. "Le gouvernement est attentif, surtout sur des filières industrielles de toute première importance", a assuré la ministre sur France Inter, avant d’ajouter : "nous regardons de très près ce qui se passe parce que personne n'y comprend plus rien". Pourtant, l’Etat a plus qu’un pied chez Alstom depuis plusieurs mois.
Jeudi en milieu de journée, c'est au tour du nouveau secrétaire d'Etat à l'Industrie de monter au créneau. Christophe Sirugue a annoncé sur Europe 1 que le PDG du groupe serait convoqué "dès cet après-midi" à Bercy. Une entrevue en forme de mise au point : dénonçant "le caractère soudain et non concerté de cette annonce", "les ministres ont demandé à M. Poupart-Lafarge (Pdg d'Alstom, ndlr), avant toute décision définitive, d'engager une phase de discussion et de négociation avec l'Etat, les partenaires sociaux, les élus locaux et l'ensemble des parties prenantes", détaille le communiqué de Bercy. L'affaire Alstom pourrait donc durer.
Le gouvernement n’avait-il pas promis le maintien de l’emploi ? Le dossier du rachat et du démantèlement d’Alstom par GE avait été géré par Arnaud Montebourg, alors ministre de l’Economie, avant qu’Emmanuel Macron ne prenne le relais. Attaché aux questions industrielles et chantre du Made in France, Arnaud Montebourg avait alors fait monter les enchères en sollicitant le concurrent Siemens, puis convaincu François Hollande que l’Etat devait prendre 20% du capital du futur Alstom, désormais recentré sur les transports.
En mai 2015, son successeur Emmanuel Macron avait visité le site de Belfort et multiplié les déclarations rassurantes. "Notre objectif, c’est zéro licenciement chez Alstom Transport", "l’Etat sera au côté d’Alstom Transport", "nous serons présents au conseil d’administration et nous saurons peser", avait martelé celui qui était alors ministre de l’Economie. L’Etat dispose depuis d’un administrateur chez Alstom et est même censé en avoir deux après avoir racheté des actions Alstom à Bouygues, ce qui relativise la surprise de Ségolène Royal et du gouvernement.
Comment réagit la classe politique ? "Consterné par cette décision qui menace directement près de 400 emplois à Belfort à l'horizon de deux ans", le député-maire (LR) de Belfort Damien Meslot a dénoncé un plan qui n'est "pas conforme aux engagements d'Alstom". L’ancien maire et sénateur de Belfort Jean-Pierre Chevènement n’a pas été plus tendre et a ciblé le gouvernement. "Monsieur Macron a pris des engagements solennels devant les salariés d’Alstom à Belfort. Je crois qu’il faut le dire très clairement, le gouvernement doit faire le maximum pour que la société Alstom revoit complètement sa copie", a-t-il souligné mercredi sur Public Sénat.
L’autre réaction attendue était celle d’Arnaud Montebourg, et elle est amère. "Cette fermeture programmée par la direction d'Alstom me paraît inacceptable! D'abord parce que c'est un site emblématique, ce sont des savoir-faire de plus d'un siècle et surtout c'est un site de fabrication de locomotives qui normalement devrait avoir l'avenir devant lui (…)Il faut que Alstom présente un site alternatif. Car on ne peut pas laisser partir un savoir-faire et un site industriel aussi important ", a déclaré l'ancien ministre du Redressement productif sur France 2.
Cette annonce va-t-elle fragiliser Belfort ? Les élus locaux et les employés d’Alstom ont de bonnes raisons de s’inquiéter, à la fois pour l’activité industrielle ou pour l’emploi. L’industrie occupe en effet une place centrale dans la zone de Belfort-Montbéliard-Héricourt : 32% des salariés travaillent dans ce secteur qui ne représente que 13,9% de l’emploi au niveau national, selon les chiffres de l’Insee. Or, ce bassin d’emploi est déjà confronté à un "recul structurel des effectifs industriels" qu’Alstom risque d’accélérer.
Sans oublier qu’au-delà de ses propres salariés, Alstom génère de l’emploi indirectement. En 2009, une étude de l’Insee montrait que 100 emplois industriels dans le bassin de Belfort généraient 75 emplois dans la sous-traitance et la consommation des salariés. 400 postes supprimés chez Alstom, c’est donc potentiellement 300 emplois détruits par ailleurs et autant de chances en moins pour les futurs ex-Alstom de retrouver un emploi dans la région.