C’est l’heure des explications. Après les multiples pannes techniques survenues dans des grandes gares ces six derniers mois, la SNCF est sommée d’apporter des réponses. Guillaume Pepy, PDG de SNCF Mobilités, et Patrick Jeantet, PDG de SNCF Réseau, étaient convoqués lundi par la ministre des Transports Elisabeth Borne. Elle leur a demandé de procéder à un audit technique des grandes gares françaises et la question de la rénovation du réseau ferroviaire était sur la table. L’État prendra sa part dans les investissements mais la marge de manœuvre de la SNCF est restreinte par sa dette colossale.
Plus de 60 milliards d’euros de dette en 2025. L’endettement de SNCF Réseau s’élevait à 46 milliards d’euros mi-2016. Une situation intenable - rendue possible par le statut de l’entreprise, entre public et privé - et qui empire, à raison de trois milliards d’euros par an. Résultat, la dette devrait dépasser 60 milliards d’euros en 2025. Et il s’agit là du meilleur des scénarios : l’autorité de régulation du ferroviaire (l’Arafer) l’a jugé "irréaliste" car trop optimiste, en particulier sur le volet des recettes. Récemment, la ministre des Transports Elisabeth Borne a reconnu la responsabilité de l’État dans l’aggravation de la dette de la SNCF, jugeant que le problème avait été "sous-estimé par le passé".
Le tout-TGV a coûté cher. En effet, la dette de la SNCF a été aggravée ces dernières années par la politique d’expansion du réseau TGV, poussée par Nicolas Sarkozy puis François Hollande : des chantiers pharaoniques et coûteux qui ont doublé l’endettement annuel de 1,5 à 3 milliards d’euros. Ainsi va de la ligne Sud Europe Atlantique, qui relie Paris à Bordeaux. Lors de la conception, Guillaume Pepy estimait que 13 dessertes quotidiennes suffisaient pour cette ligne déjà "déficitaire quoi qu’il arrive". L’État en a finalement imposé 33, aggravant un peu plus le déficit de la ligne. Le problème, c’est que le TGV n’est plus rentable, deux tiers des lignes à grande vitesse sont déficitaires. La Cour des comptes a déjà vivement critiqué la gestion du réseau et le nombre élevé de gares TGV (230).
L’État investit 34 milliards. Ces nouveaux chantiers ont pris le pas sur la rénovation des vieilles lignes, parfois les plus fréquentées. Aujourd’hui, la multiplication des pannes techniques et informatiques apparaît comme le symbole d’un réseau usé jusqu’à la corde, faute d’investissements suffisants. Pour limiter les dégâts, la SNCF a lancé des grands travaux de rénovation, à hauteur de cinq milliards d'euros par an, sur plus de 1.600 chantiers. Mais, à cause de sa dette, elle ne peut assurer seule l’entretien et la modernisation des infrastructures. C’est pourquoi l’État s’est engagé, début 2017, à investir de sa poche 34 milliards d’euros sur 10 ans dans le réseau. Mais il s’agit surtout d’une béquille pour aider la SNCF à redresser la barre, peut-être avant un rachat de la dette…
Toutes les solutions sont sur la table. La possibilité d’une reprise de la dette de la SNCF par l’État est un vieux serpent de mer. Le précédent gouvernement s’y était fermement opposé à cause de ses impératifs budgétaires vis-à-vis de l’Union européenne. Mais la position d’Emmanuel Macron ne serait pas aussi catégorique. "Il faut, d'une part, traiter la dette de la SNCF, en examinant les solutions à l'aune de leur impact progressif sur les finances publiques", avait-il indiqué pendant la campagne présidentielle. "Nous regarderons toutes les solutions", a confirmé Elisabeth Borne au Figaro,en octobre.
Un échange gagnant-gagnant ? Le gouvernement pourrait se servir de la reprise de la dette comme argument de négociation pour une réforme du fonctionnement de la SNCF. "Il faut que la SNCF gagne en performance, ce qui passe par la poursuite des efforts de productivité et par une évolution des règles d'emploi des cheminots", réclamait Emmanuel Macron avant d’être élu. La reprise pourrait aussi être utilisée pour faire passer la réforme des retraites. L’unification des régimes spéciaux, cheminots inclus, est une réforme clé du programme d’Emmanuel Macron. Mais elle sera difficile à faire accepter aux employés de la SNCF. Dans ce cadre, la reprise de la dette serait un argument dans la balance de l’exécutif. D’autant que les syndicats ont déjà alerté sur la nécessité pour la SNCF de tenir ses engagements financiers. Selon nos informations, Guillaume Pepy aurait la confiance du gouvernement pour mener à bien ces réformes.
Le gouvernement et la SNCF ont tout intérêt à s’entendre rapidement car la dette s’autoalimente. C’est le serpent qui se mord la queue : la dette empêche la SNCF de rénover efficacement et rapidement son réseau, d’où les pannes à répétition, ce qui entraîne des retards et donc des pénalités (les malus versés au Stif pour manquement à la ponctualité ont été multipliés par trois entre 2010 et 2014) et des remboursements, qui obligent à lancer des chantiers en urgence, ce qui coûte cher et pèse sur la dette, etc. Un cercle vicieux auquel il faut ajouter les intérêts cumulés sur cette dette colossale.
Une nouvelle panne plonge la gare Montparnasse dans le noir :