Au départ, c'est bien dans une crise diplomatique que sont empêtrés la Turquie et les États-Unis. Mais peu à peu, ces tensions politiques se sont doublées de tiraillements économiques qui menacent lourdement la livre turque. Celle-ci a connu une chute brutale vendredi. Et la violente réaction du président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a appelé à une "lutte nationale" contre la "guerre économique" déclarée par Donald Trump, risque plus d'attiser le feu que de l'éteindre. Europe1.fr fait le point sur la situation.
Une crise diplomatique...
Au cœur de la crise, il y a un homme, Andrew Brunston. Ce pasteur américain est accusé de "terrorisme" et d'"espionnage" par la Turquie, où il était emprisonné depuis octobre 2016. Fin juillet, un tribunal d'Izmir (ouest de la Turquie) a converti sa détention préventive en placement en résidence surveillée. Mais Andrew Brunston, qui risque toujours jusqu'à 35 ans de prison dans le cadre d'un procès ayant commencé au printemps, reste soumis à une stricte interdiction de quitter son domicile et le territoire turc pendant la durée de la procédure judiciaire.
Depuis son arrestation, Washington n'a de cesse d'exiger sa libération. À plusieurs reprises, Donald Trump a même tweeté sur le sujet. "Ils le [Andrew Brunston] qualifient d'espion. Mais je suis plus espion que lui", avait-il notamment écrit, dans l'un de ces courts messages éruptifs dont le président américain a le secret.
...qui s'est muée en crise économique
Le bras de fer s'est subitement durci vendredi, lorsque Donald Trump a annoncé le doublement des taxes douanières sur l'acier et l'aluminium turcs. La Maison Blanche ayant déjà imposé en mars des tarifs douaniers supplémentaires à hauteur de 25% et 10% sur les importations d'acier et d'aluminium du monde entier, cela signifie que ces produits seront désormais taxés à hauteur de respectivement 50% et 20%. S'il était encore besoin de le préciser, Donald Trump a écrit le même jour sur Twitter que les relations des Etats-Unis avec la Turquie "ne sont pas bonnes en ce moment".
I have just authorized a doubling of Tariffs on Steel and Aluminum with respect to Turkey as their currency, the Turkish Lira, slides rapidly downward against our very strong Dollar! Aluminum will now be 20% and Steel 50%. Our relations with Turkey are not good at this time!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 10 août 2018
En réponse, le président turc Recep Tayyip Erdogan a appelé ses concitoyens à prendre part à la "lutte nationale" contre la "guerre économique" déclenchée contre la Turquie. Il leur a demandé de se rendre à leur banque pour défendre la livre turque en apportant les dollars, les euros et même l'or qu'ils possèdent pour les échanger contre la monnaie nationale. Des paroles qui ont eu pour effet de faire plonger un peu plus la livre turque, qui avait perdu vendredi soir 13,7% à la clôture de Wall Street.
Il faut dire que le coup de menton du président turc n'était pas de nature à apaiser la situation. "Les investisseurs internationaux ne sont en aucun cas rassurés par un tel discours", prévient Philippe Waechter, chef économiste d'Ostrum Asset Management, joint par Europe 1. "C'est ce qu'on voit sur les marchés : il y a un risque de baisse supplémentaire de la monnaie turque car plus personne, aucun investisseur, n'aura la volonté de détenir la monnaie turque. Les investisseurs ont besoin de mesures techniques, de facteurs qui vont les rassurer sur ce qui va se passer demain en Turquie. En aucun cas ici Erdogan ne donne des signaux allant dans ce sens-là. Dans ce contexte, la perception qu'on peut avoir c'est que l'investisseurs se disent 'je n'y vais pas' et 'si j'ai [des investissements en Turquie], je sors."
Un contexte difficile pour Erdogan
Cela fait plusieurs années que les Turcs observent l'inexorable dépréciation de leur monnaie face au dollar. Ces six derniers mois, puis ces dix derniers jours, l'hémorragie s'est aggravée. Vendredi, il fallait six livres turques pour obtenir un billet vert. Et ces difficultés sont intrinsèquement liées à la politique d'Erdogan. Celui-ci rechigne en effet à relever les taux d'intérêt, estimant au contraire que leur baisse permet de faire baisser l'inflation. Et la banque centrale turque, censée être indépendante, est en réalité soumise aux pressions du pouvoir et s'exécute.
Après sa victoire aux élections du 24 juin, Recep Tayyip Erdogan a en outre nommé son gendre Berat Albayrak à la tête d'un super-ministère des Finances, écartant certains responsables appréciés des marchés. Ce qui n'a fait qu'entamer un peu plus la confiance des marchés.
Le FMI à la rescousse ?
Comment, alors, la Turquie peut-elle se sortir de la crise ? Pour l'instant, Erdogan semble plutôt décidé à louvoyer en espérant une amélioration des facteurs externes. Mais d'autres leviers pourraient être activés pour faire face, comme des mesures de contrôle de capitaux ou encore un appel à la rescousse du Fonds monétaire international (FMI). Ce qui serait néanmoins difficile à avaler pour le président turc, qui s'enorgueillit d'avoir réglé les dettes de la Turquie.
Reste, enfin, une hausse en urgence des taux de la banque centrale. Erdogan a beau y être opposé, "si la situation continue de se détériorer, il finira par céder", estime Nora Neuteboom, de la banque néerlandaise ABN AMRO, interrogée par l'AFP.