En 1564, le roi de France, Charles IX décide de faire débuter officiellement l'année le 1er janvier. Jusque-là la date n'était pas la même partout dans le royaume. Certaines villes démarraient ainsi l'année le 1er avril. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars vous raconte comment s'est instaurée la tradition des farces le 1er avril.
Depuis des siècles, c'est une tradition. Le 1er avril, de nombreux citoyens s'amusent à faire des blagues, des farces et à diffuser des fausses nouvelles. Mais d'où vient cette habitude ? Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, découvrez l'origine des poissons d'avril.
Nous sommes le 5 décembre 1560. À la mort de son frère François II, le nouveau roi de France est Charles IX. Deuxième fils de Catherine de Médicis et Henri II, il a 10 ans. Bien entendu, sa mère exige d’assurer la régence. Depuis deux ans, la France est déchirée par des tensions et des agressions mortelles entre catholiques et protestants. Ce sont les guerres de religion. Le 19 août 1563, le jeune monarque est déclaré "majeur", autrement dit mûr pour régner. Si, évidemment, sa mère continue de tirer les fils du pouvoir, désormais Charles IX est en première ligne.Pour le faire connaître de ses sujets, un grand tour est organisé dans le royaume. Il s’agit, aussi, de restaurer le prestige de la Couronne. Ce périple royal, qui s’achèvera le 1er mai 1566, représente un parcours de 4.000 km. Il doit permettre de pacifier le pays, d’affermir l’autorité du souverain catholique et de mettre fin aux velléités émancipatrices de certaines provinces. Vaste programme !L’expédition (c’en est une !) se met en marche le 24 janvier 1564. Le cortège s’allonge en un énorme déploiement de soldats, de carrosses, de chariots chargés de bagages, de meubles, de tapisseries, de vêtements et de vaisselles. L’intendance de la Cour est impressionnante ! Elle part pour des mois. Il y a aussi plusieurs jeunes nobles qui caracolent aux portières des litières où se trouvent les dames. En effet, la mère du roi et véritable régente emmène avec elle un escadron volant de demoiselles d’honneur. Catherine de Médicis est prévoyante !En juin, le défilé arrive à Lyon, les fêtes sont splendides. La population est curieuse de voir le roi, âgé de 14 ans. L’ambassadeur de Venise en dresse le portrait suivant : "Il est d’un charmant naturel, d’une grande promptitude d’intelligence, d'une vivacité d’esprit remarquable : il a de l’ardeur, de la générosité, de la bonté. Sa physionomie est belle, ses yeux très beaux : il a de la grâce dans tous ses mouvements, dans ses manières mais, il est faible de tempérament. Il mange et boit fort peu et il a d’autant plus besoin d’être ménagé qu’il aime passionnément le jeu de paume et l’exercice du cheval. La moindre fatigue le condamne à un long repos. L’étude ne lui plaît guère, mais il s’y met pour complaire à sa mère : on attend, on espère beaucoup de lui si Dieu lui en donne le temps".Bien que les réformés soient nombreux dans cette ville, l’accueil est chaleureux. Si Charles IX reçoit une délégation de protestants, il est très empressé dans les églises pour affirmer aussi bien devant l’ambassadeur d'Espagne, qui l’accompagne et représente Charles Quint, que devant les habitants son attachement à la religion catholique. Mais bientôt, la caravane doit fuir rapidement car la peste commence à ravager la région lyonnaise.
Un édit du roi pour unifier enfin la France
L’armada royale se réfugie en Dauphiné, près de Vienne, au château de Roussillon, aujourd’hui dans le département de l’Isère. C’est là, le 9 août 1564, que le Chancelier Michel de l’Hospital remet au roi un texte qu’il va signer. C’est un document essentiel dans notre histoire. Puisque le voyage a pour but d’unifier le royaume, Charles IX veut commencer par mettre de l’ordre dans le calendrier. C’est urgent !En effet, comme il a pu le constater, certaines villes font démarrer l’année à Noël, d’autres au 1er janvier (selon la tradition carolingienne), d’autres encore le 1er mars et certaines le 25 mars, jour de la fête chrétienne de l’Annonciation. À Paris, le Nouvel An est célébré à Pâques, fête dont la date est... mobile : Pâques est fixé au premier dimanche suivant la pleine Lune qui suit l’équinoxe de printemps ! La confusion est totale ! Charles IX a donc entamé sa tournée royale en 1563 alors qu’une bonne partie de la population vivait déjà en 1564 ! Un vrai bazar, une anarchie ! Tout cela nuit gravement à l’unité du royaume de France.Le texte préparé a un avantage politique : le roi se conforme au Concile de Trente, qui s’est achevé, en 1563, sous l’autorité du pape Pie IV. Ainsi, par cette première grande Ordonnance de Justice, le roi prouve que la France, "fille aînée de l’Eglise", reste fidèle à Rome en imposant une religion que les protestants rejettent, comme tout ce qui vient de Rome. Et en décidant que l’année commencerait partout le 1er janvier, Charles IX espère atténuer les antagonismes entre les communautés religieuses. Ainsi, par exemple, à Tarascon, les habitants sont catholiques. En face, à Beaucaire, sur l’autre rive du Rhône, la majorité est protestante. Charles IX espère que sa décision fera cesser les divisions. Lisons ce texte de l’édit royal en tenant compte de l’adaptation au français de notre époque : "Voulons et ordonnons qu’en tous actes, registres, instruments, contrats, ordonnances, édits, lettres patentes et toutes inscriptions, l’année commence dorénavant et soit comptée du premier jour de ce mois de janvier."Toutefois, la mise en application de cette date unique du 1er janvier sera longue. En réalité, l’édit ne sera effectif qu’au 1er janvier 1567, après de longues discussions au Parlement de Paris où les Huguenots faisaient de la résistance. En vertu de ce qu’on appelle, juridiquement, l'Édit de Roussillon, les étrennes furent donc reportées au nouveau Jour de l’An. Officiellement, désormais on pouvait donc se souhaiter une "bonne année" à partir du 1er janvier 1565.Mais beaucoup de gens, majoritairement illettrés, mal informés ou réticents, ont du mal à s’habituer au nouveau calendrier. Ils conservent la tradition du 1er avril pour se moquer de l’autorité royale. Cela les dérange et ils manifestent ainsi une sorte d’indépendance. Mais il faut aussi rappeler qu'en ces temps lointains, beaucoup de gens, ne savent pas lire et habitent dans des endroits isolés. Des villages entiers ne sont, simplement, pas au courant de cette révolution du calendrier. Et on verra vite que la résistance aux décisions du pouvoir central est une solide tradition, parfois la preuve d’une identité !
Pourquoi des "poissons d'avril" ?
Un usage s’installe donc : puisque le 1er avril n’est plus le début de l’année, les esprits rebelles, qu’ils pratiquent une religion ou pas, vont, ce jour-là, offrir des cadeaux sans valeur, annoncer de fausses nouvelles et faire des plaisanteries. Par nostalgie, ignorance ou mauvais esprit. Mais comment expliquer le rôle important des "poissons d’avril" ? Et d’abord, pourquoi des "poissons" sont accrochés dans le dos des gens qu’on a bernés sans qu’ils s’en aperçoivent ?Il y a plusieurs hypothèses, certaines étant controversées. Quelques historiens des religions ont prétendu que le 1er avril tombant souvent dans le Carême, période où les chrétiens, en principe, ne mangent pas de viande mais beaucoup de poisson, qu’il soit de mer ou de rivière, ce serait une manière de souligner et de respecter cet usage. D’autres ont affirmé que le 1er avril étant souvent la date de l’ouverture de la pêche, si celle-ci n’était pas fructueuse, on offrait aux pêcheurs un poisson pour les consoler d’être revenus bredouilles ! Par extension, celui qui donnait ce poisson en offrait un faux ! Donc un faux cadeau !L’explication la plus simple est astrologique. En ce mois d’avril, le soleil quitte le signe zodiacal des Poissons ! Et les spécialistes soulignent que les gens nés sous le signe des Poissons ont du mal à s’adapter à la réalité et aux changements. Une précision intéressante...
Une imagination sans limite
Très rapidement, la tradition des farces s’impose. Parmi les innombrables mystifications inventées pour le 1er avril, un 1er avril qui avait perdu sa signification, qui avait perdu son autorité, mais que beaucoup entendaient réhabiliter, on peut citer deux exemples : Au 17ème siècle, sous le règne de Louis XIV, au soir d’un 31 mars, le comte de Toulouse, fils légitimé du Roi Soleil, se glisse avec quelques complices dans la chambre du marquis de Grammont. Celui-ci, lourdement endormi - il avait beaucoup bu - ronfle comme une forge. Le petit groupe s’empare de tous ses habits : pourpoints, chausses, gilets et vestes. Une équipe de tailleurs se met au travail, dans le plus grand silence. Tout est décousu, rétréci, raccourci et recousu. Le lendemain matin, 1er avril, le marquis s’aperçoit qu’il lui est impossible de s’habiller. Son valet, qui faisait partie des conspirateurs, joue les innocents. On fit croire à son maître qu’il souffrait d’une crise d’hydropisie. Il était affolé ! Il ne comprenait pas : son ventre n’avait pas gonflé ! Un faux médecin, digne de ceux de Molière, lui rédigea une ordonnance en latin lui recommandant de "prendre des ciseaux et de tout découdre" !Et voici la deuxième histoire... Au début du 19ème siècle, un homme particulièrement naïf fut victime d’un canular original. Avec la complicité de son épouse, ses amis firent croire à cet admirateur de Napoléon qu’il avait été nommé précepteur d’un jeune prince russe. Il devrait donc absolument se rendre à Saint-Pétersbourg. Ils lui disent : "Tu dois apprendre le russe avant de partir. Nous allons te trouver un professeur…" Pendant trois mois, il prend une leçon quotidienne. Enfin, il annonce : "Je parle russe ! Je puis partir !"C’est alors qu’on lui révéla qu’il n’avait jamais été nommé précepteur et surtout qu’il venait d’apprendre...le bas-breton !De nombreux pays ont dédié ce jour, le 1er avril, aux fausses nouvelles. Les Britanniques et les habitants de l’Europe du Nord les appellent les "folies d’avril". C’est une façon de saluer la fin d’un long hiver et un rythme de vie un peu ralenti. Au Portugal et au Brésil, on parle du "jour des mensonges". Parmi les gigantesques fausses nouvelles des années 1960, au Danemark, pays où les voitures roulaient à gauche, des plaisantins annoncèrent que dans la nuit du 31 mars au 1er avril, la circulation se ferait désormais à droite ! Ce fut une belle panique chez les automobilistes, cyclistes, conducteurs de bus et de camions !Dans les anciens territoires de l’Empire britannique, il y eut de nombreuses annonces de ce genre, toutes fausses ! Et au Japon, où l’on roule à gauche, des farceurs inventèrent des options de volants à gauche et à droite ! Beaucoup de ces voitures, à, la conduite optionnelle, circulent aujourd’hui à Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie, dans des embouteillages inextricables !
Rire dans le métro
Si, entre les grèves et les incidents techniques, on ne s’amuse pas souvent dans les transports en commun de la région parisienne, il faut rappeler que depuis la fin des années 1960, la direction de la RATP n’a pas hésité à servir à ses clients des poissons d’avril. On le sait peu, c’est l’occasion de le rappeler. Ainsi, en 2015, en pleine nuit, entre la fermeture et l’ouverture des lignes, les plaques des noms des stations furent changées. Les voyageurs se demandaient où ils étaient ! Comment avaient-ils pu se tromper sur un trajet effectué deux fois par jour pour leur travail ?D’autres blagues du 1er avril, toujours dans l’univers de la RATP, des photos géantes, posées en pleine nuit, entouraient le nom de certaines stations pour provoquer un dépaysement. Ainsi, la station Pyramides montrait-elle les Pyramides de Gizeh, près du Caire. La station Rome affichait le Colisée. Sur deux lignes, on vit passer des trains spéciaux avec des hublots proposant "une vue du Ciel imprenable...même dans les tunnels !".Le 1er avril 1982, en direct de la station parisienne Cambronne, ce qui n’était pas un hasard, le journaliste scientifique Michel Chevalet, volontiers farceur, interviewa le patron de la RATP de l’époque, Philippe Essig. Le plus sérieusement du monde, les deux hommes annoncèrent que le tramway, disparu des artères parisiennes depuis les années 1930, allait faire son retour. En France, seules Marseille et Saint-Etienne avaient encore des tramways. À l’appui de leur "fausse" nouvelle, les deux hommes montrèrent une vieille voiture de tramway sortie du dépôt de Saint-Mandé. Tractée sur 10 mètres par un camion, elle donnait aux téléspectateurs l’impression de rouler ! L’illusion était parfaite mais ce n’était qu'une illusion. La fausse nouvelle était une anticipation : dix ans plus tard, en 1992, le tramway réapparaissait dans le paysage francilien.Une seule règle pour les farces du 1er avril : la frontière entre la blague et le mauvais goût ne doit pas être franchie. Charles IX, lui, ne plaisantait pas avec sa monumentale réforme !
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