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SAISON 2021 - 2022, modifié à

En novembre 1347, une terrible épidémie décime la ville de Marseille. En moins de deux semaines, les rues se vident. Tâches grisâtres sur le corps, fièvres hémorragiques et abcès noirs... Pour les médecins, cela ne fait aucun doute, il s’agit de la peste mais celle-ci semble particulièrement dangereuse… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Clémentine Portier-Kaltenbach raconte comment la grande peste noire s’est abattue sur l’Orient puis sur l’Europe.

L'épisode complet est disponible sur YouTube.

Dans le ciel, des paysans affirment avoir vu une comète, entourée de flammes noires. Certains champs, paraît-il, sont couverts d’insectes et de serpents morts. En cet automne 1347, la France s’apprête à vivre une fois de plus une saison anormalement froide et humide. Depuis 1310, le climat semble se dérégler, les récoltes sont de plus en plus mauvaises. La famine fait des ravages, particulièrement dans le nord du pays.

Les épidémies de typhus, de typhoïde et de choléra se succèdent impitoyablement sans qu’on puisse donner un nom à ces maladies. On se contente alors de parler de commodités ardentes. Le deuil était partout et dans les croyances naïves de ces temps de simplicité mystique, chacun disait que le ciel s’était ligué avec la terre contre la race humaine.

Le contexte politique de l’époque n’est guère plus brillant et la guerre contre l’Angleterre apporte régulièrement son lot de défaites. En 1346, la mer du Nord s’est teintée du sang de milliers de soldats massacrés par les armées d’Edouard III. Fin août, la chevalerie française a été réduite à néant par l’artillerie anglaise, la bataille de Crécy va rester dans les annales de l’histoire comme l’une des victoires les plus glorieuses de l’Angleterre et l’une des pires humiliations qu’ait connu la France.

Alors que chaque jour qui passe apporte malgré tout son lot d’espérances, une nouvelle calamité venue d’Orient s’apprête à fondre sur le pays.

Un mal mystérieux qui ravage l'Orient

En septembre 1347, le petit comptoir génois de Caffa, au bord de la mer Noire, a été le théâtre d’une scène lourde de conséquences : la Horde d’or mongole, rompant le traité commercial qui la liait à l’Italie, fait le siège de la ville. Mais le rapport de forces pourtant favorable aux Mongols va brutalement s’inverser : un mal mystérieux décime les rangs de la horde. Ils ne sont bientôt plus qu’une poignée et doivent se résigner à lever le siège. Ivres de rage et de dépit, ils jettent les cadavres des leurs par-dessus les remparts de la cité, comme un sinistre cadeau d’adieu.

Les génois peuvent à présent quitter la ville. Ils embarquent dans leurs galères, destination l’Italie. Mais le mal qui a frappé leur ennemi ne tarde pas à surgir parmi eux. Ils font escale à Constantinople, puis à Alexandrie. Depuis le port, des pêcheurs aperçoivent des galères qui semblent errer sur les flots. On envoie des embarcations à leur rencontre. Le spectacle découvert est terrifiant : les ponts sont jonchés de cadavres.

La flotte génoise, ou ce qu’il en reste, va longer l’Italie et remonter jusqu’à la côte française. Tout le monde ignore encore les ravages déjà opérés par la maladie dans le reste du monde. On ignore qu’en Chine, 30 millions de personnes ont perdu la vie, le quart de la population. A Bagdad et Alep, 500 personnes meurent chaque jour. A Damas, Naplouse ou Jérusalem, on ne peut plus enterrer les morts, les cadavres sont précipités dans les fleuves ou les ravins. A Gaza, 22 000 personnes sont mortes en un mois.

Les contrées de Mésopotamie offrent le spectacle de champs de cadavres sur des kilomètres. En Egypte, le mal se propage à la vitesse de l’éclair et il s’y ajoute une tempête de sable telle qu’on n’en avait pas eue de mémoire d’homme. Elle va doubler le nombre de victimes.

La Grèce quant à elle, va connaître une semblable conjonction de calamités : alors qu’une chaleur étouffante s’abat sur Athènes, le mal qui frappe les habitants s’accompagne d’une invasion de sauterelles et de chenilles qui vont détruire les récoltes en trois jours. La population, frappée de panique, massacre tous les esclaves, craignant une mutinerie. Pour ajouter aux problèmes, un tremblement de terre secoue les fonds marins de la mer Egée, déclenchant un raz-de-marée sur les côtes. Les navires des marchands qui avaient quitté Thessalonique pour Tripoli sont engloutis. Le vent souffle avec fureur, apportant avec lui une pestilence dont on dit qu’elle fait mourir tous ceux qui la respirent.

Les semeurs de mort

Les génois encore vivants accostent en Sicile, où ils sèment la mort une fois de plus. Messine et Syracuse sont réduites au tiers de leurs habitants, tandis que la ville de Trapani est tout bonnement rayée de la carte. La peste qui frappe le monde est déjà désignée par de lugubres synonymes : mortalega grande, la grande mortalité, en Italie, pestis atrocissima, peste épouvantable, angina gia, mort noire, ou plus simplement, la mort.

Dans le ciel, on observe, ou on croit avoir observé d’étranges phénomènes. La comète entourée de flammes noires aperçue par les paysans est attestée par un historien de Florence, Villani. Selon lui, elle est apparue dans la constellation du Taureau sous l’influence funeste de Saturne. Il attribue sa sinistre couleur à la présence d’anthracite dans les contrées où elle a été formée.

D’ailleurs, cette caractéristique ne se retrouve-t-elle pas sur la peau des malades, sous forme de tâches grisâtres, et sur la langue de certains, devenue charbonneuse en quelques heures ? A coup sûr, Saturne y est pour quelque chose.

Les génois interrogés par les astrologues prétendent avoir vu des flammes jaillir de terre, dévorant hommes et bêtes. Ils affirment également avoir observé une pluie de vers noirs pourvus de huit pattes et d’une queue. Frappés d’effroi, les hérétiques se seraient convertis à la foi chrétienne, une pluie de sang aurait englouti la Mecque et les femmes, prises de folie, se seraient entredévorées tandis qu’hommes et bêtes, affirme un médecin allemand, ont été transformés en statues.

En novembre 1347, la flotte génoise accoste à Marseille. La population de la ville ne sait rien de la tragédie qui se joue alors dans le reste du monde. On accueille les marins sans méfiance aucune. Ils ont perdu de l’équipage mais tout cela fait partie des malheurs propres à ces temps anciens, où la mort et la maladie sont des compagnes funestes du quotidien. Pourtant, certains parmi eux sont déjà porteurs du mal qui décime l’Orient, et ils sont terriblement contagieux.

La peste noire se propage en France

Quand les génois repartent, la foudre semble s’abattre sur Marseille. En moins de deux semaines, les rues vont se vider de leurs habitants. Dans l’une d’entre elles, il n’y a plus âme qui vive, au point qu’elle sera débaptisée « Rue rifle rafle ».

Les médecins dépêchés auprès des malades n’arrivent souvent que pour constater le décès. Ils ont observé avec effroi les symptômes de cette maladie : taches grisâtres sur tout le corps, fièvre hémorragique, et pour certains d’entre eux, des abcès noirs à l’aine ou à l’aisselle, de véritables bubons. C’est ce qui vaudra à cette peste le nom de « peste noire » ou « peste bubonique ».

Mais s’ils sont capables d’identifier la peste, celle-ci semble être d’un genre nouveau. Pour commencer, elle se propage très vite, parcourant près de 20 lieues par jour, soit environ 80 kilomètres.

Lorsque la peste parvient à Avignon, où est installée la papauté, Marseille est déjà réduite au tiers de sa population. Le pape Clément VI a été averti de l’arrivée du fléau et il connaît les dispositions prises par le seigneur de Milan. Ce dernier a donné l’ordre de quitter sans délai les villes et les villages et de se réfugier dans les forêts. Seuls les prêtres valides sont sommés de visiter les malades et les mourants et de leur donner l’absolution, sous peine de feu.

Enluminure représentant la peste bubonique

© Domaine public

Le roi de France, Philippe VI, consulte tout ce que la France compte de médecins et de théologiens. Pour beaucoup, il ne fait aucun doute que le mal est un châtiment céleste envoyé par Dieu pour punir les chrétiens de leurs péchés.

" Dieu, dont la justice est toujours prête à punir le crime, permit que l’avarice des chrétiens remportât le digne salaire de leur commerce avec les Sarrazins. La peste, dont il avait frappé les païens, vint de l’Orient, pour punir les crimes de l’Occident. "

Oderic Raynold dans Annales Ecclésiastiques, cité dans Histoire de la peste noire, de A. Phillippe

Les astrologues débattent à n’en plus finir sur les causes réelles de la maladie. Ils invoquent une conjonction des planètes Jupiter et Saturne, responsables d’une infection de l’air, quand d’autres incriminent la Terre, dont les secousses récentes ressenties dans le sud de la France ont pu libérer des vapeurs délétères. Les discussions n’en finissent plus, aussi impuissantes à arrêter le mal que la médecine d’alors.

Les décisions visionnaires de Gui de Chauliac

Pendant ce temps, la peste continue son œuvre de destruction. Des nouvelles terribles arrivent d’Italie. On dit que Florence et Venise ont perdu tous leurs habitants. Les morts se comptent en centaines de milliers. En remontant vers le nord de la France, la peste a dévasté Lyon et Saint-Etienne. Dans cette dernière ville, on a compté 63 000 morts en un mois.

Au début de l’épidémie, on essaye d’enterrer les morts selon les rites habituels, avec une mise en bière, une procession et une mise au tombeau. Au mois de janvier 1348, c’est devenu tout bonnement impossible. Les prêtres dépêchés au chevet des mourants ont été emportés par la maladie et les moines appelés à l’aide ont subi le même sort.

Dans le sud de la France, les monastères ont été vidés de leurs religieux. Les ordres mendiants, dont les frères s’étaient, par vocation, dédiés au secours des malades, sont réduits au dixième de leur contingent…

Le pape Clément VI, lui, est accompagné d’un médecin remarquable, Gui de Chauliac. Loin des querelles d’astrologues, ils vont, d’un commun accord, prendre une série de décisions d’un pragmatisme étonnant dans un Moyen-Âge pétri de superstitions.

Face au nombre de morts qui ne cesse de croître, le Saint-Père achète un grand champ à côté d’Avignon et appelle tous les clercs de bonne volonté à se porter auprès des mourants pour leur donner l’absolution dans le cas où les clercs viendraient à manquer. Il donne l’autorisation à tous les chrétiens, hommes et femmes, de confesser et d’absoudre. Il bénit également le Rhône avant d’y faire jeter tous les cadavres.

Mais il ne s’arrête pas là. Fait nouveau et incroyable pour l’époque, il autorise les autopsies. Il faut comprendre cette maladie, analyser ses symptômes. Gui de Chauliac, de son côté, invente une disposition prophylactique jamais vue auparavant : le confinement. Il ordonne au pape de rester cloîtré le temps que l’épidémie cesse. Son entourage est scandalisé. Comment peut-il croire que la maladie se transmet d’homme à homme, quand tous les savants affirment qu’elle est le simple fait de la pestilence de l’air ?

Mais Chauliac convainc le pape, qui décrète :

" Il faut avoir le plus grand soin d’éloigner les hommes sains de ceux dont la maladie répand une mauvaise odeur car ces maladies sont contagieuses. L’air respiré par les malades sort de leur bouche corrompue et empoisonnée et infecte les assistants. "

Hélas, ces décisions salutaires arrivent trop tard. La mort est partout et à l’horreur succède la folie. Un vent de panique souffle sur l’Europe et les injonctions du pape restent lettre morte. Rapidement, il ne reste plus de héraut pour communiquer les bulles du souverain pontife.

Dans la région d’Avignon, des clercs le voient passer à cheval, au grand galop, pour se porter auprès de ses clercs et les soutenir par sa présence, au grand dam de Gui de Chauliac, qui lui avait enjoint de rester muré dans l’enceinte du palais.

Pour découvrir la suite, retrouvez la deuxième partie de notre épisode consacré à la peste noire.

 

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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Ecriture et présentation : Clémentine Portier-Kaltenbach

Production : Timothée Magot

Réalisation : Oscar Vataire 

Diffusion et édition : Eloïse Bertil

Graphisme : Sidonie Mangin

 

 

Références bibliographiques :

"Autour de la peste noire : famines et épidémies dans l'histoire du XIVe siècle", par Elisabeth Carpentien, dans les Annales. Economies, sociétés, civilisations, 1962 

"Documents inédits sur la grande peste de 1347", par Joseph Michon, éditions Baillères et fils, 1860

"Histoire de la Peste Noire", par le Docteur Phillippe, Direction de la Publicité Médicale, Paris, 1853

"La Peste noire dans l’Occident chrétien et musulman 1346/1347 – 1352/1353" par Stéphane Barry et Norbert Gualde, In : "Épidémies et crises de mortalité du passé", Ausonius Éditions, 2007