Chaque matin, Nicolas Beytout analyse l'actualité politique et nous livre son opinion. Ce mardi, il revient sur l'éviction d'un professeur de Sciences Po Grenoble.
La direction de Sciences Po Grenoble a mis à pied, ce lundi, un de ses enseignants. Qu’est-ce qui lui est reproché ?
D’avoir dit la vérité. Il doit donc avoir la langue coupée. L’histoire démarre en janvier dernier lorsque des murs de Sciences Po Grenoble sont recouverts de graffitis et de tags accusant nommément deux profs de l’Institut d’études politiques d’être islamophobes. Les réseaux sociaux prennent le relais de cette dénonciation, et emballent l’affaire à tel point que l’un des profs visés, qui enseigne depuis 25 ans la civilisation allemande, doit être mis sous protection policière. Au nom d’un délire racialiste, décolonisateur et woke, le tout arrosé d’anti-capitalisme virulent, il est menacé, et doit donc renoncer à faire cours. L’affaire avait fait grand bruit à l’époque…
Est-ce qu’il y a eu des sanctions, depuis cette date ?
Non. Il y a bien eu une enquête de l’Inspection générale de l’Education, qui a remis un rapport accablant contre les auteurs de menaces, mais la Commission de discipline de l’université et Sciences Po Grenoble n’ont pris aucune mesure, aucune sanction. Impunité totale, ce qui est évidemment étrange, et même révoltant pour ce prof d’allemand, qui n’avait pas pu remettre les pieds dans son établissement. Il a fini par s’en plaindre, par rendre publique cette situation scandaleuse, par donner des interviews. Ça n’a pas traîné : il vient, lui, d’être sanctionné.
Autrement dit, c’est la victime de la campagne de calomnies elle-même qui est virée de l’Université.
Oui, dans une parfaite logique stalinienne. D’abord on calomnie l’opposant (en l’occurrence celui qui dénonce une dérive islamo-gauchiste), puis on le menace, pour (acte 3) le faire taire. Et s’il ne comprend pas, on le censure et on l’expulse du système. Ce qui vient de se passer à Sciences Po Grenoble est extrêmement préoccupant. Cette grande école est devenue (c’est le prof sanctionné qui le disait avant qu’on essaye de le faire taire) « un centre de rééducation politique » d’extrême-gauche, un temple des théories woke et des enseignements sur le genre, la race, et toutes ces nouvelles tendances venues du monde Anglo-saxon et qui sont en train de faire vriller une partie des Universités françaises. Car ce qui se passe à Grenoble est la préfiguration de ce que risque de devenir bientôt Sciences Po Paris, cette grande école qui est elle aussi en proie aux même forces de pression. Un de ses principaux dirigeants me disait récemment que le recrutement des profs de cette grande institution séculaire a été pris en main par une petite camarilla d’universitaires ultra, qui ne recrutent que ceux qui leur ressemblent, quitte (le plus souvent) à aller embaucher des chercheurs de 3ème zone. A Paris aussi, la dérive woke et racialiste est en marche.
Et il n’y a pas de réaction du gouvernement ? Ni pour Paris ni pour Grenoble ?
Il y a bien eu une tentative de Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur de saisir le CNRS pour enquêter sur ce phénomène. Oui, le CNRS : un professeur des Universités me disait que c’était comme confier une enquête sur la prohibition à Al Capone. Et bien sûr, ça a fait flop… Et depuis. Alors, attention, on sait que Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education, est très en soutien de ce prof mis à pied à Grenoble, mais ce n’est pas son dossier. Et donc, on attend. Et pendant ce temps, Sciences Po, ce lieu de formation supérieure pour bon nombre de futurs dirigeants du public et du privé, est en train de s’américaniser façon woke, profs et élèves confondus. L’Université a eu sa décennie maoïste et trotskiste, la voici plongée dans le bain racialiste et décolonisateur, celui de la victimisation de toutes les minorités et de la censure. Une étrange culture de l’intolérance.