Gallimard a publié les lettres écrites par François Mitterrand à Anne Pingeot. L'occasion d'en savoir un peu plus sur la relation qui unissait cette dernière à l'ancien président de la République.
W.B. : C'est l'événement politico-littéraire. Gallimard publie deux pavés : "Les lettres à Anne". 1 200 pages, celles que François Mitterrand a écrites, entre 1962 et 1995, à Anne Pingeot, la femme cachée de sa vie. Et "Le journal pour Anne", objet inclassable de lettres et de collages graphiques, qui montre un Mitterrand amoureux. Un éclairage inédit sur l'homme.
CN : Le 26 octobre prochain, François Mitterrand, né et mort au siècle dernier, aurait fêté ses cent ans. Une époque où les portables, les SMS, les mails n'existaient pas. Alors, pour dire son amour, il fallait écrire. Et François Mitterrand, qui a toujours aimé les femmes et la littérature autant que la politique, a beaucoup écrit. Marie-Louise Terrasse, alias Catherine Langeais, speakrine des années 60, que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, rencontrée au bal de Normale Sup en 1938, fut sont grand amour. Ils se fiancèrent. Mais la belle ne l'a pas attendu lorsque François Mitterrand partit à la guerre. Pour lui, un chagrin immense. Mais elle a toujours conservé des milliers de lettres de lui dans des boîtes à chaussures.
W.B. : Mais Anne Pingeot, c'est autre chose...
C.N. : Elle est la fille de Pierre Pingeot, un industriel auvergnat, avec lequel François Mitterrand jouait au golf l'été à Hossegor. Il la remarque là-bas, quand elle a 18 ans, et lui 46. Elle va venir à Paris faire ses études. Pierre Pingeot demande à son ami de jeter un œil sur elle. Il n'en demandait pas tant car François Mitterrand va tomber amoureux très vite. Pendant deux ans, il la suit de près, lui écrit, mais la vouvoie car la relation est chaste.
Le 13 mai 64, elle fête avec lui ses 21 ans, sa majorité à l'époque. Et dès le lendemain, dans ses lettres enflammées, François Mitterrand passe au tutoiement. Vous l'avez compris, ils sont devenus amants. Mais Anne, qui a franchi le rubicond, veut réfléchir, s'éloigne. Et lui est désespéré. "J'ai besoin de vous". Il la supplie. "Faut-il me punir d'avoir, fut-ce un jour, été un homme heureux ?" Et puis Anne revient. Et c'est le bonheur. Dès lors, il va lui écrire chaque jour, pour lui dire son amour, son désir. "Mon amour chéri, mon adorable Nanou." Le style est lyrique, ardent, brûlant...
Pendant des années, la passion ne faiblit pas, et l'amour pour elle jusqu'au bout sera là. Dans sa dernière lettre, datée du 22 septembre 95 : "Tu as été la chance de vie." Et en retour, Anne l'a aimé, comme on entre en religion. Une adoration mystique. Elle a accepté de vivre dans l'ombre et s'est faite couleur de muraille. Belle femme sans maquillage, sans apprêts, que l'on croisait dans la rue vélo à la main, les cheveux longs et grisonnants.
Mais ce ne fut pas sans souffrance, Mitterrand lui ayant dit : "Il n'y a d'amour éternel que contrarié." Une belle phrase d'un grand égoïste.
W.B. : Car François Mitterrand n'a jamais divorcé...
C.N. : Danièle, jeune mariée, découvre vite qu'elle a épousé un homme qui n'est jamais là, refuse que l'on entrave sa liberté. Que fait-il de ses journées ? Il rétorque : "Je ne suis pas marié sous le régime de l'inquisition." Alors elle aussi accepte et se tait. Et puis le couple trouvera son modus vivendi. Danièle imposera dans le logis conjugal son amant, un professeur d'éducation physique de dix ans plus jeune qu'elle, qui y restera jusqu'à l'entrée de François Mitterrand à l'Elysée.
W.B. : Le 18 décembre 1974, Anne Pingeot met au monde une petite fille prénommée Mazarine.
C.N. : Anne Pingeot a 30 ans. Elle a réussi le concours des conservateurs. Elle veut un enfant. Mitterrand désirait une fille. Pendant les vingt années suivantes, elle fut le rayon de soleil de sa vie. Elu Président, il a vécu le soir, Quai Branly, avec sa 2ème famille. Il y avait aussi les week-ends à Souchy-la-Brice. Anne et Mazarine, c'était la famille de l'ombre. Paris Match l'officialisera en 199. Mais les Français n'ont découvert le visage d'Anne Pingeot que lors des obsèques de François Mitterrand, à Jarnac. Une longue jeune femme brune, au visage pâle et coiffé d'un petit chapeau à voilette, un peu suranné, les yeux rougis par les larmes et qui enserrait leur fille dans ses bras. Et puis on ne l'a plus jamais revue.
W.B. : Mais elle revient à travers ces lettres d'amour, qu'elle a voulu publier. Quelle audace ! Quelle impudeur, diront certains...
C.N. : François Mitterrand a aimé Anne Pingeot. Mais il n'a jamais été un homme fidèle. On lui a prêté tant de liaisons. Mais disons qu'avec Anne, il fut constant. Elle fut à coup sûr sa préférence, son point fixe.
Danièle est morte. Il n'y a plus qu'elle. Elle et Mazarine. Et pour la postérité, elle veut faire savoir qu'elle fut en quelque sorte l'unique. C'est sa vérité... et c'est la vérité !