Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous raconte une étrange coutume chinoise qui se pratique encore de nos jours. Dans certaines provinces rurales chinoises, le mariage posthume est pratiqué couramment depuis des lustres. Il s’agit, avant tout, de marier les personnes décédées célibataires, afin d'éviter que leur solitude dans l’au-delà ne pousse leur fantôme à venir hanter les vivants...
En Chine, les « mariages fantôme » ont principalement lieu dans le Shanxi et le Henan, deux provinces à l’est du pays. Là-bas, il est assez courant que deux âmes décédées se marient ou qu’une personne vivante épouse un fantôme.
Une tradition dans les régions minières
En Chine, la croyance en une vie après la mort est très puissante et très forte. En Chine, des parents vivants sont donc tenus de faire des offrandes régulières aux fantômes de leurs ancêtres pour s’assurer qu’ils sont heureux et qu’ils ont tout ce qu’il faut dans l’au-delà. Une pratique plus ou moins proche de l’Egypte antique, durant laquelle un pharaon partait avec tout un matériel post-mortem.
Mais de quoi sont constituées ces offrandes ? D’argent, la plupart du temps, de petites maisons ou de serviteurs en papier que l’on brûle afin de les transférer dans l’au-delà, via une crémation. A certaines périodes de l’année, on peut voir de nombreux chinois se rendre dans les cimetières pour brûler de faux billets de banque.
Mais pourquoi organiser un mariage fantôme ? D’une part, pour assurer un confort matériel au défunt dans l’au-delà mais aussi parce que si un homme ou une femme meurt célibataire et sans descendant, il va être tout seul dans l’au-delà. Or, un esprit seul est un esprit qui s’ennuie et revient hanter les vivants.
Un reportage de la BBC diffusé il y a plusieurs années montrait comment ces mariages fantômes étaient extrêmement populaires dans le Shanxi. Cette région minière vit de l’industrie charbonnière et se trouve souvent être le théâtre d’incidents miniers ou d’explosions de grisou. Les hommes peuvent y mourir très jeunes et pour les consoler, on leur trouve une épouse post-mortem.
Honorer la mémoire des êtres décédés est très important pour les vivants, en Chine, parce qu’un esprit malheureux revient non seulement hanter ses proches mais peut aussi être la source de maladies. Si un parent tombe malade peu de temps après les obsèques d’un jeune homme célibataire, c’est sans aucun doute le fantôme du défunt qui attend qu’on lui trouve une épouse.
La question des enfants et héritiers
Un enfant peut-il naître d’un mariage fantôme ? La question est importante car ce sont les descendants qui doivent honorer la mémoire des ancêtres, à l’aide de tablettes spirituelles, de petites tablettes de bois sur lesquelles sont gravés les noms des défunts et à côté desquelles on brûle de l’encens, dépose de la nourriture, des boissons, brûle des billets…
Le cas de figure de l’enfant est bien sûr pris en compte dans la tradition chinoise : la famille vivante peut adopter un héritier pour le défunt. Ces mariages avec des fantômes sont pensés (et c’est souvent le cas) pour pouvoir contracter des alliances entre familles et arranger des héritages.
Si le défunt est mort célibataire, c’est souvent son frère qui désigne l’un de ses propres enfants comme héritier. Un contrat est établi, placé sous la tablette spirituelle, et l’enfant devient l’héritier des biens du défunt, ainsi que de l’obligation d’honorer sa mémoire.
Cette tradition est d’autant plus importante que dans certaines parties rurales de la Chine, les personnes qui meurent célibataires ne peuvent pas être enterrées avec leur famille. C’est d’autant plus vrai pour les femmes, dont on considère qu’elles jettent la honte sur la famille lorsqu’elles ne sont pas mariées et ne produisent pas de descendance. Si une femme célibataire épouse un fantôme, elle améliore sa position dans la communauté.
Des trafics de cadavres
Aujourd’hui encore, les familles de défunts se donnent du mal pour trouver un(e) conjoint(e) à leur proche décédé. Il existe même des entremetteurs spécifiques pour ces affaires. Comme pour les mariages entre vivants, ils vont consulter les horoscopes pour s’assurer que les deux âmes sont convenablement assorties.
Mais les traditions ont parfois des pendants sordides : pour qu’un mariage fantôme puisse être établi, il faut trouver une personne vivante qui y consent mais dans certains cas, il faut trouver un mort… Dans certaines régions de Chine, il existe un trafic de dépouilles, un corps pouvant atteindre les 3000 euros.
Depuis 2006, une loi punit très sévèrement le vol de dépouilles mais cela n’a pas complètement annihilé les vols de tombes, les enlèvements et parfois les meurtres dans le but de fournir une épouse fantôme. Certains cimetières ont installé des systèmes de vidéosurveillance et recommandent l’utilisation de cercueils en béton pour éviter les violations de sépultures.