L’image d’Epinal liée à la ceinture de chasteté est celle d’un seigneur médiéval qui, avant de partir en croisade dans des contrées lointaines, ferme la ceinture de chasteté de son épouse, condamnant ainsi à l’échec toute tentative d'infidélité. Mais cet objet était-il vraiment utilisé au Moyen-Age ?
Pas si sûr, si l’on se réfère à l’étude publiée en 2008 par le médiéviste allemand Albrecht Klassen… D’après le chercheur, la ceinture de chasteté est en fait le sous-produit d’une fascination récente pour les instruments de torture du Moyen-Age, mais aussi la représentation d’un complexe d’infériorité typiquement masculin… Clémentine Portier-Kaltenbach retrace l'histoire de cet objet légendaire.
Aucune référence historique au Moyen-Âge
La ceinture de chasteté, ce bikini blindé verrouillé par un grand cadenas, selon les termes d’un certain Reuben, auteur en 1969 de « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe ». L’image d’Epinal liée à la ceinture de chasteté, c’est le seigneur qui part en croisade et qui ferme la ceinture de chasteté de son épouse avant de partir.
Le médiéviste allemand Albrecht Klassen, qui est aussi professeur dans une université américaine, a voulu en savoir plus sur la réalité de cet objet et lui a consacré en 2008 un ouvrage entier. La conclusion de cette étude : jamais il n’y eut de ceinture de chasteté au Moyen-Âge, c'est une idée reçue.
Il s’agit d’un sous-produit de la fascination du XIXe siècle pour les instruments de torture de l’époque médiévale. Il a cherché tout ce qu’il pouvait trouver sur le sujet et est rentré de la bibliothèque complètement bredouille.
Il n’y a quasiment pas d’images et encore moins d’exemplaires de ces objets. On trouve bien un certain nombre de représentations littéraires mais très peu de références historiques d’hommes essayant de mettre une ceinture de chasteté à leur femme.
Selon Klassen, qui fait autorité sur la question, jusqu’au XIIe siècle, l’idée de ceinture de chasteté est toujours allégorique ou satirique. Les rares références aux ceintures de chasteté jusqu’à cette époque, sont toujours exprimées en termes théologiques. La ceinture de chasteté est une métaphore de l’idée de fidélité et de pureté.
Des représentations fantasques et tardives
La première représentation de la ceinture de chasteté, telle qu’on l’imagine, qu’ait pu trouver Klassen remonte à 1405. Il a déniché, dans un livre d’ingénierie militaire, au beau milieu de croquis d’armures et d’instruments de torture, la fameuse ceinture de chasteté : une large ceinture de cuir et lanières passant entre les jambes avec un orifice en son centre pour les besoins de la dame et des dents acérées pour celui qui s’y risquerait en l’absence du seigneur parti en croisade.
Le problème, c’est que cette seule représentation, assez ancienne, provient d’un livre qui n’est pas du tout sérieux. On y trouve toutes sortes d’objets imaginaires : un dispositif qui permet de devenir invisible, un chat en forme de chat et un dispositif de propulsion alimenté par des pets… Personne n’a trouvé un véritable modèle de ceinture de chasteté datant de cette époque.
Les autres représentations sont bien plus tardives, elles datent du XVIe siècle. Là, elle devient un objet très populaire pour les satiristes. Toutes les illustrations sont les mêmes : un mari plus vieux que son épouse s’apprête à partir, ferme la ceinture à clé et tapi dans l’armoire, l’amant vient après lui avec un double de la clé. C’est dire le crédit et l’efficacité que l’on attribue à cet objet…
Klassen explique que cette image était très populaire parce qu’elle représentait les peurs masculines. Il écrit notamment : « La ceinture de chasteté est un complexe d’infériorité sexuelle masculine typique, traduit en blague ».
Une vraie ceinture de chasteté aux Etats-Unis
Toutes les ceintures de chasteté que vous pouvez voir dans les musées sont des objets fabriqués bien après le Moyen-Âge, entre le XVIIIe et le XIXe siècle, comme objet de curiosité ou pour faire des plaisanteries graveleuses. C’est une sorte de réinvention qui fait partie du renouveau gothique. C’est ainsi qu’on voit des ceintures de chasteté apparaître dans des expositions et des musées, en particulier dans l’Angleterre victorienne, qui avait un goût prononcé pour les choses salaces.
La seule vraie ceinture de chasteté a été conçue en 1870 aux Etats-Unis, pour éviter la masturbation masculine. La ceinture de chasteté féminine est une invention du XVIIIe et du XIXe siècles. Tous les autres modèles ont été retirés des musées ; vous n’en verrez presque jamais et celles qui ont été conservées sont assorties de mises en garde, des précautions oratoires précisant que cet objet n’est pas médiéval.
Aujourd’hui, il est toutefois possible de s’en procurer sur internet, remis au goût du jour, pour des fantasmes spécifiques. Comme Anatole France le disait : « De toutes les aberrations sexuelles, la pire est la chasteté ».