Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous emmène dans une cellule du fort de Joux (Doubs), où fut enfermé et où mourut Toussaint Louverture (1743-1803), descendant d’esclaves ayant joué un rôle de premier plan dans la révolution haïtienne et le mouvement d’émancipation des colonies par rapport à la métropole.
Située au sommet d’un éperon rocheux, le fort de Joux était, sous Louis XV, une prison d’Etat tout aussi connue que la prison du Temple ou de la Bastille. Elle a enfermé en son sein des prisonniers très célèbres, comme Mirabeau, qui a laissé son nom à l’une des tours. On y a aussi enfermé des chefs chouans, des prêtres réfractaires, des chefs royalistes, des captifs de guerre de tous les pays d’Europe.
Un autre prisonnier un peu particulier y a fait un court séjour, un mois à peine : l’écrivain allemand Heinrich von Kleist. Il a été enfermé pour sentiments anti-français et c’est après son séjour qu’il a écrit Les fiancées de Saint-Domingue, qui relate l’histoire de Toussaint Louverture. Von Kleist a utilisé le témoignage qu’il avait recueilli auprès de l’un des compatriotes de Toussaint Louverture, qui était lui aussi enfermé au fort de Joux. Sa cellule, située au rez-de-chaussée du donjon, peut aujourd’hui être visitée.
On le laisse croupir dans une cellule
Toussaint Louvertureétait descendant d’esclaves et possédait lui-même des plantations et des esclaves. Il a joué un rôle de tout premier plan lors de la révolution haïtienne et du mouvement d’émancipation des colonies par rapport à la métropole.
Il a d’abord été au service de la France (Napoléon avait d’ailleurs beaucoup d’admiration pour lui) avant de commencer à se battre pour l’indépendance de son pays. Dès ce moment, Napoléon lui a envoyé un corps expéditionnaire commandé par Leclerc.
Il est arrêté le 7 juin 1802 avec sa famille et quelques partisans, dans l’indifférence générale. On le transfère en France sur la frégate La Créole puis jusqu’à Brest. On lui fait traverser la France d’est en ouest puis on le met au secret dans une cellule froide et humide aux murs épais. C’est une cellule très impressionnante. Il y a bien une cheminée mais elle est très étroite et rectangulaire car on avait peur qu’il puisse s’y glisser pour s’échapper.
On le laisse croupir dans cette cellule pour le briser, moralement et physiquement. On lui fait subir toutes sortes de vexations, d’humiliations et de brimades. Toutefois, il n’est pas totalement seul puisqu’il a été arrêté avec quelques compatriotes, dont Jean et Zamor Kina (le père et le fils), qui ont lutté comme lui pour l’indépendance de Saint-Domingue et de la Martinique. Ils ont été incarcérés au fort de Joux entre 1802 et 1804 avant de rejoindre un régiment de pionniers français à Toulon, ce qui leur a valu leur libération.
Toussaint Louverture, lui, meurt le 7 avril 1803 d’une pneumonie, à 60 ans. Il ne verra jamais la proclamation d’indépendance de Haïti le 1er janvier 1804, par son ancien esclave devenu lieutenant, Jean-Jacques Dessalines.
Les souvenirs de Toussaint Louverture
Quels souvenirs reste-t-il de Toussaint Louverture ? Au fort de Joux se trouve un buste à son effigie ainsi qu’une plaque que Michel Martelly (alors président de la République d’Haïti) a fait installer en 2014. Une autre plaque se trouve au Panthéon, avec une inscription gravée en son honneur, commémorant son combat pour l’abolition de l’esclavage.
Depuis, son action est un peu revue par quelques historiens. Ils pointent notamment du doigt que son combat contre l’esclavage n’a pas été dépourvu d’ambiguïté puisqu’il possédait lui-même une plantation et des esclaves. On dit aussi que le régime éphémère qu’il installa à Saint-Domingue était pour le moins autoritaire.
Il demeure tout de même que grâce à Toussaint Louverture, mort au fort de Joux, Haïti fut la première république noire indépendante au monde.