Raphaël Enthoven profite du meeting de François Fillon, à Clermont-Ferrand, pour revenir sur cette expression forgée par Nietzsche.
C'est lors du meeting de Clermont-Ferrand le 7 avril dernier (où il s'était notamment comparé à Vercingétorix) que François Fillon a cité Nietzsche "Tout ce qui ne tue pas me rend plus fort". L'occasion pour vous, Raphaël, de revenir sur la phrase la plus connue du grand philosophe Allemand.
Oui, c'est au tout début du Crépuscule des idoles que Nietzsche rédige cet apophtegme.
Apophtegme ?
Oui, enfin, une maxime, si vous voulez. Et pourquoi vous ne dites pas "maxime" comme tout le monde ? Parce que Maxime, c'est Maxime Switek. Donc, je dis apophtegme. Ce qui veut dire la même chose.
Bon.
Donc, dans le Crépuscule des Idoles, Nietzsche écrit "Appris à l'école de guerre de la vie : ce qui ne me tue pas me rend plus fort".
"L'école de guerre de la vie" ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
C'est de la souffrance qu'il parle ! De la souffrance physique qu'il a subie, sous toutes ses formes, de l'insomnie à la diarrhée, de la diphtérie à la dysenterie, en passant par les hémorroïdes, la constipation et même les flatulences qui lui empoisonnent les narines.
Et si tout ça rend Nietzsche "plus fort", c'est parce qu'il en a guéri ?
Au contraire ! Nietzsche a été malade toute sa vie. En général, on entend "ce qui ne me tue pas me rend plus fort" comme un synonyme de la résilience. Comme une façon de récupérer et de s'endurcir ! De revenir à l'assaut, tel Rocky Balboa, plus fort, mieux armé et plus déterminé que jamais, après s'être remis d'un sale coup. Or, Nietzsche ne dit pas du tout ça.
Mais alors, que veut dire cette phrase ?
Si ce qui ne le tue pas le rend plus fort, c'est que la souffrance est, aux yeux du philosophe, un outil de connaissance.
Un outil de connaissance ? Mais que nous apprend la souffrance ?
La souffrance nous apprend le non-sens de la souffrance. Il n'y a aucun intérêt à souffrir. Ms pour le savoir, il faut avoir souffert pour rien. Il faut avoir éprouvé ds sa chair l'absurdité d'un estomac qui se tord (ou d'un cerveau qui brûle) pour échapper à la tentation si répandue de s'infliger des souffrances en croyant bêtement que ça nous vaudra d'entrer au paradis.
C'est toute la différence entre Nietzsche et le christianisme.
Pour Nietzsche, la douleur est un pain amer qu'il faut dévorer, sous peine de vivre à moitié.
Alors qu'aux yeux des chrétiens (que Nietzsche tient pour des masochistes) la douleur est rédemptrice, et promet une vie meilleure dans cette vie, ou après cette vie...
En fait, Nietzsche prend la souffrance comme l'occasion de développer l'ingéniosité, la vaillance et la curiosité. Tout ce qui a été donné de profondeur à l'homme, de secret, d'esprit, de grandeur, a été acquis par la "culture de la grande souffrance". Car j'ai rare frisson, disait-il, au moment du grand naufrage. En un mot, la douleur n'est pas une mutilation (que la revanche (ou le paradis) viendraient compenser), mais l'épreuve du non-sens, et le talent d'aimer la vie malgré la promesse de l'échec.
Et la morale de l'info ?
La souffrance ne promet que la souffrance. Pas la victoire.