SERIELAND ENTRETIEN - "Un gars, une fille" sur Salto avec Jean Dujardin et Alexandra Lamy est LA série française préférée des français. Et c'est encore vrai aujourd'hui si l'on en croit un récent sondage du magazine "Télécâble Sat Hebdo". L'occasion pour SERIELAND de revenir avec la productrice Isabelle Camus sur la genèse et les coulisses de cette série devenue culte.
17 ans après, on en parle encore. Un gars, une fille disponible sur Salto, est un programme culte. D'ailleurs, la mini-série humoristique de six minutes, diffusée tous les soirs juste avant le journal de 20h, sur France 2, est aujourd'hui encore la série préférée des Français, selon un récent sondage réalisé pour Télécâble Sat Hebdo.
Cette série en 435 épisodes qui met en scène le quotidien d'un couple surnommé Chouchou et Loulou, on la doit à la productrice Isabelle Camus. C'est elle qui a adapté ce format québécois en France. C'est elle aussi qui a révélé au grand public des comédiens méconnus à l'époque : Jean Dujardin, aujourd'hui oscarisé, et Alexandra Lamy. De 1999 à 2003, elle a consacré sa vie à cette pastille quotidienne, de l'écriture au tournage en passant par le banc de montage. Preuve supplémentaire de son investissement, les épisodes étaient pendant deux ans enregistrés chez elle, dans son propre salon, sa cuisine et sa salle de bain.
Dans SERIELAND, le podcast d'Europe 1 Studio par celles et ceux qui aiment les séries et les font, Eva Roque accorde un grand entretien à la productrice. A quoi tient le succès d'Un gars, une fille ? L'adaptation est-elle fidèle à la version québécoise ? Comment explique-t-elle que sa fiction est encore l'une des séries préférées des français ? Comment se déroulait l'écriture de cette pastille quotidienne ? Et les tournages ? Isabelle Camus répond aux questions que vous vous posez encore sur la série, 17 ans après.
(Transcription)
Extrait Un gars, une fille
Isabelle Camus : C'est le pilote d'Un gars, une fille, le premier épisode. En fait, on a fait trois pilotes parce que je voulais vraiment qu'on arrive à la télévision avec trois émissions, de façon à ce qu'ils comprennent un petit peu la logique et la tournure de l'histoire d'Un gars, une fille. Ça se passe à la maison, dans ma chambre, dans mon lit, parce qu'on n'avait pas du tout de sous à l'époque. Ambiance avec trois francs, six sous avec les copains, et les techniciens qui sont venus ...si ça marchait bien, ils étaient engagés et si ça ne marchait pas, ils étaient venus juste pour essayer.
Eva Roque : Bonjour Isabelle Camus.
Isabelle Camus : Bonjour !
Eva Roque : En une phrase, vous venez de nous donner deux secrets, à savoir qu'il y avait plusieurs pilotes qui ont été faits et qu'on était chez vous, dans votre lit. Vous vous souvenez des autres pilotes ou pas ? Est-ce qu'ils ont été diffusés aussi ?
Isabelle Camus : Je crois qu'on en a fait un autre dans le lit. Parce que le lit ce n’était pas cher à produire, il ne bougeait pas. On a aussi fait un déjeuner chez la belle-mère parce que ça, c'était vraiment très symbolique du couple. Et donc, ça se passait dans notre bureau. On a installé une espèce de salle à manger pour faire le décor de la salle à manger de la belle-mère. Et le troisième, je ne sais plus.
Eva Roque : Mais alors, quand vous dites-vous étiez dans votre lit. Quand la chaîne a accepté de diffuser les épisodes, rassurez-moi, on ne tournait plus chez vous ? Vous aviez un vrai décor ?
Isabelle Camus : Si ...On a tourné pendant deux ans chez moi. C'était plus facile. On démarrait cette production avec pas grand-chose et on s'est dit : "Bon, ça marche bien. Le lit fonctionne. On a ça sous la main si jamais il pleut, si jamais on nous plante. "Bref, on s'est dit qu'on aura toujours une sécurité, c'est l'appart donc avec le salon, la salle de bain et la chambre. C'était notre maison, j'habitais avec mon associée Hélène Jacques, avec qui j'ai produit le programme. C'était pratique, mais c'était super fatigant parce que le soir, il fallait tout remettre en place, tout ranger. Moi, je suis hyper maniaque en plus. On se donnait un peu plus de stress. Mais en même temps, c'était sympathique parce que moi, je voulais tellement que ça soit réaliste. Et le fait de tourner à la maison, c'était très réaliste parce que quand Jean tout à coup cherchait quelque chose pour son jeu, il tombait sur une lime à ongles à côté du lit. Ou bien quand la styliste apportait des chemises de nuit qui ne me plaisaient pas pour Alexandra, on piochait dans ma garde-robe. Enfin, voilà, c'était ça pendant deux ans. Après, quand même, on s'est dit qu'on en avait marre. On a loué une maison à Boulogne, on a fait comme si on y habitait parce que quand on ouvrait le frigo il y avait des choses dedans. On ouvrait les placards, il y avait des draps, des serviettes. On était sponsorisé à l'époque par notre partenaire Fly, donc on avait vraiment tout ce qu'il faut pour la maison. On aurait dit une maison habitée, pas du tout un décor de télé.
Eva Roque : On a d'ailleurs tous acheté des meubles ensuite chez Fly. Je m'en souviens très bien et je suis très heureuse qu'on plonge avec nostalgie dans cette période. Petite question est ce que vous aviez pensé à appeler la série Une fille, un gars ? C'était tout de suite Un gars, une fille ?
Isabelle Camus : Non, non, c'était tout de suite Un gars, une fille. Mais ça, ce n'est pas moi, c'est l'auteur québécois qui a écrit cette série qui en a fait, lui, des épisodes de 30 minutes. Parce que ça se passe comme ça en Amérique du Nord, aux États-Unis, au Canada, il y a des coupures pub. Moi j'ai dit non, il faut en faire un six minutes. Chez nous, il faut que ça soit short cut.
Eva Roque : Il y avait deux raisons qui m'ont poussé à vous inviter Isabelle Camus. D'abord, en cette période anxiogène, revoir des épisodes de la série s'apparente à une immense bouffée d'oxygène. Et puis, il y a eu ce sondage publié par TélécableSat qui a mis Un gars, une fille, série française préférée des français de ces trente dernières années. Deux séries étrangères squattent les premières places, Game of Thrones et Casa del Papel. Comment avez-vous réagi quand vous avez vu ce classement ?
Isabelle Camus : Ce serait très prétentieux de dire je ne suis pas étonnée, mais c'est vrai que quelque part, je n'étais pas si étonnée que ça. Mais c'était quand même vraiment un honneur. Passé après Casa del Papel et Game of Thrones, ça prend une dimension encore plus importante. Je suis très contente parce que dans une vie, dans une carrière, faire un programme culte, c'est rare et j'en serai fière toute ma vie, évidemment.
Eva Roque : Est-ce que vous avez douté du succès de la série, vous nous racontiez ses débuts, qui étaient un peu rocambolesques, vous n'aviez pas beaucoup d'argent, ou vous avez compris qu'il y avait quelque chose ?
Isabelle Camus : Je pense que vraiment, c'est le destin. Quand j'ai commencé avec Hélène à produire ce programme, j'étais convaincue. Je pense que quand on est vraiment convaincu, on est convaincant. Toutes les portes s'ouvraient, il y avait pourtant plein d'obstacles puisqu'on nous avait dit non un an avant, les chaînes n'arrivaient pas à comprendre notre vision. Donc, c'est pour ça qu'on a cassé notre tirelire et fait des pilotes. Mais moi, j'étais sûre. On a mis toutes nos économies d'intermittents du spectacle. C'était un peu un coup de poker. Donc non je n'ai pas été étonnée, mais en revanche, ça n'a pas été facile dans le sens où il a fallu quand même s'installer. Il a fallu aussi pousser Michèle Cotta, à l'époque la patronne de France Télévision, à une programmation stratégique. Elle nous avait mis à 19h40, qui est un carrefour de publicité donc on était noyés dans les pubs. Moi, j'insistais. Je voulais absolument que ça soit dans la case de Nounours. Parce que dans mon enfance, il y avait Nounours, juste collé au journal de 20 heures et je sentais qu'il fallait faire un rendez-vous. Au bout de six mois, elle nous a mis avant le journal de 20 heures. Et là, on a décollé.
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Eva Roque : Est-ce que vous vous souvenez des critiques dithyrambiques dans la presse ?
Isabelle Camus : Je me souviens des premières critiques qui n'étaient pas dithyrambiques. Au début, le programme a eu du mal à s'installer. Il était rejeté, justement, par la ménagère de moins de 50 ans. Les gens disaient : "On a assez de galères à la maison comme ça. Si c'est pour se voir etc." Les fameuses études de France Télévisions, n'étaient pas terribles. Ça plaisait aux très jeunes et ça plaisait aux plus âgés. Les très jeunes identifiaient leurs parents et les plus âgés avec beaucoup de recul se disaient que c'était comme ça la vie. Les trentenaires, les ménagères de moins de 50 ans ont mis du temps, mais une fois qu'ils étaient accrochés c'était bon.
Eva Roque : J'ai lu une critique de Philippe Lançon dans Libération. On ne peut pas imaginer que Libération, quand même, aille sur Un gars, une fille. Écoutez bien ce qu'il écrivait : "Soir après soir, on les retrouve, ces deux-là, avec plaisir, comme un miroir déformant et en perpétuelle évolution ou au contraire, comme un repoussoir. On baigne dans leur muflerie en rigolant. C'est du Feydeau minute croquant les nouveaux bourgeois dans une forme pensée pour le petit écran consommable, jetable, oubliable, renouvelable." Il s'est peut-être trompé sur les "oubliables", mais c'était quand même incroyable de voir ces critiques dans Libé. Moi, j'ai halluciné en retrouvant ça.
Isabelle Camus : Ouais, franchement, on n'avait pas le temps de s'en apercevoir parce que, c'était quand même l'usine de faire une quotidienne... On lisait, on était heureux. Mais on se levait tôt, le soir, après le tournage, il y avait le montage. On a partagé ce succès, mais on n'avait pas le temps vraiment de se dire c'est génial, on est les meilleurs. C'est bien après qu'on réalise, mais c'est vrai, c'est génial. C'est magnifique d'avoir un article comme ça dans Libé.
Eva Roque : Alors en revoyant des pans entiers de la série, moi, j'ai été bluffée par la modernité, et par l'audace des dialogues. Je vous propose un extrait. Nous sommes toujours au lit avec Alex et Jean et je répète, on est juste avant le 20 heures.
Extrait Un gars, Une fille
Est-ce que vous pensez qu'on pourrait écrire une saynète comme ça aujourd'hui.
Isabelle Camus : J'ai l'impression que c'est compliqué maintenant. On ne peut plus rire de tout.
Eva Roque : Alors, est-ce qu'à l'époque, quand vous lancez la série, vous aviez vocation à diffuser un message décomplexé sur les rapports hommes-femmes ? Est-ce que vous pensiez à ça ou finalement, vous n'aviez qu'une volonté, c'était de reproduire un peu ce qu'on voit à la maison ?
Isabelle Camus : J'aimais beaucoup ce ton réaliste. Et justement, c'était ce que je voulais, c'est qu'on puisse être un peu cru parfois. D'ailleurs, je me souviens que Ségolène Royal avait fait tout un scandale en disant que c'était honteux, que c'était beaucoup trop cru. Michèle Cotta m'a appelée en disant : "Isabelle, vas-y doucement là, avec les scènes un peu sexe, etc. J'adore ça. Mais bon, doucement parce que, je les ai tous sur le dos." Et elle avait cette audace Michèle Cotta d'installer ça parce que j'ai l'impression que tout le monde est un peu plus frileux aujourd'hui. Et c'est plus la même télé. Mais non, non, au contraire. Moi, je pense qu'il fallait. Il fallait voir Jean se couper les ongles des doigts de pied au bord de la baignoire. Il fallait justement rentrer vraiment dans l'intimité, aller dans le vrai du couple. On pourrait le faire au cinéma, encore.
Eva Roque : Et est-ce que vous vous êtes auto-censurée parfois ? Ou est-ce que vous avez été même censurée par la chaîne ?
Isabelle Camus : Non, jamais, je n'ai pas mémoire de ça. Franchement, je ne crois pas. C'était un laboratoire de toute façon, même le tournage, on avait des textes, mais on avait beaucoup d'improvisation aussi. Donc on essayait plein de trucs. Non, je ne me souviens pas du tout de censure.
Eva Roque : Quand vous revoyez ces épisodes, vous vous dites quoi ? Que les rapports hommes-femmes n'ont finalement pas tant changé que ça, où vous étiez en avance sur une forme de modernité, de couple ou pas ? Comment regardez-vous ça avec le recul ?
Isabelle Camus : Je pense que rien n'a vraiment changé. Franchement, j'ai l'impression que le couple d'il y a 20 ans est encore là aujourd'hui. C'est l'intimité, c'est le quotidien, en fait. Après, les hommes ont peut-être un peu plus changé. Les femmes ont peut-être un peu plus de pouvoir. On ne va pas rentrer là-dedans, mais je parle plutôt du quotidien, de la vie de couple à la maison. Ça n'a pas tellement changé. Je ne crois pas. On s'engueule toujours pour les mêmes choses.
Eva Roque : On est d'accord. Comment ça se passait, les séances d'écriture ? Il paraît que vous aviez près de 200 auteurs qui travaillaient pour vous.
Isabelle Camus : Alors ça, c'est une chose qu'on pourrait plus faire aujourd'hui. Mais on avait une bible de texte que nous avons adaptée des textes canadiens. On a fait une grosse adaptation parce qu’ils n'avaient pas le même profil. Ils étaient plus âgés, elle était un peu "nunuche", alors que je la voulais un peu espiègle, étourdie, mais pas "nunuche". Par contre, lui s’en rapprochait un peu plus. On a fait un gros boulot d'adaptation et parallèlement, on écrivait. En fait, au début, on s'est enfermé avec deux auteurs avec qui on a fait un contrat, puis tout de suite, on a vu que ça n'allait pas. Ils étaient bons mais on tournait un peu en rond. Ce n'était pas possible. Il fallait vraiment tellement fournir de situations de vie qu'on a dit stop. Maintenant, on va faire travailler des auteurs et ça va être au texte, au sketch. Et puis, on a fait appel à plein d'auteurs et tout le monde écrivait, on nous appelait, on nous demandait : "Est-ce que je peux écrire pour Un gars, une fille". Alors moi, je choisissais les thèmes. Je disais : "Je voudrais une situation comme ci, comme ça." Et puis parfois, c'était la standardiste qui écrivait, parfois, c'était moi. Parfois, c'était Jean ou Alex qui improvisaient un sketch qui étaient donc forcément auteurs. On était devenu un laboratoire, on cherchait. Une fois on est allé en Chine, par exemple, on n’était pas parti avec tous les textes, donc on était obligé d'aller chercher de l'inspiration juste avant le tournage.
Eva Roque : Mais quand vous dites on ne pourrait pas faire ça aujourd'hui, c'est parce que financièrement, vous n'auriez pas les moyens ?
Isabelle Camus : Non. Maintenant, la Société des auteurs (SACD) n'accepterait pas. Je ne comprends pas d'ailleurs parce que ça a permis à des gens qui n'étaient pas auteurs de devenir auteurs de cinéma.
Eva Roque : C'est vrai, vous avez des exemples de gens qui ont commencé avec vous ?
Isabelle Camus : Il y a un auteur dont je me rappelle plus le nom qui a travaillé avec Alexandra, et qui maintenant écrit des films. C'est fou. C'est génial. C'est vraiment fantastique. N'importe qui, peut-être une standardiste, peut devenir auteur. Je trouve que c'était beaucoup plus facile. La chance était pour tout le monde.
Eva Roque : Et ça veut dire que vous aviez beaucoup de "déchets" ? Vous, jetiez beaucoup de sketchs écrits. C'est ça ?
Isabelle Camus : Oui, on en jetait beaucoup. Tous les lundis, on se retrouvait Jean, Alexandra, le réalisateur de la semaine, et moi. Et le week-end on partait avec nos devoirs, c'est-à-dire qu'on avait une espèce de bible, plein de textes à lire. Et là, on mettait des notes. Il faut changer ci, changer ça. Et après, on faisait le tour ensemble au bureau de chaque texte. Donc oui on en a beaucoup jeté. On en a beaucoup arrangé aussi. On a beaucoup sauvé. C'était beaucoup, beaucoup de travail.
Eva Roque : On en parle depuis le début, mais c'est vrai que la série, elle repose aussi sur un duo : Alexandra Lamy et Jean Dujardin. C'est Jean Dujardin que vous avez choisi en premier. Vous avez auditionné 200 comédiens. Mais Jean, c'était une évidence pour vous ?
Isabelle Camus : C'était une évidence tout de suite. En fait, j'ai eu du mal à trouver. Je l'avais en tête, ce personnage. Je les avais en tête. Mais je ne sais pas si on peut le dire à la radio, je suis un peu "casse-couilles" il paraît dans le travail. C'est que quand j'ai un truc en tête, je n'en démords pas. Je ne trouvais pas le bon gars. C'était d'ailleurs pareil pour la fille. Parmi les comédiens que j'ai casté, j'en ai appelé certains avec qui j'avais déjà travaillé. J'avais travaillé avec Jean Dujardin et Bruno Salomone, entre autres. Jean m'avait dit : "Oh non, je ne suis pas comédien, moi je suis humoriste". Je lui ai dit de venir, de tenter sa chance. Il est venu. Il était pourtant au chômage, en train de peindre la chambre de son futur bébé. D'ailleurs, je m'en souviens très bien comme si c'était hier. Il est venu, il a passé le casting et là, au bout de 30 secondes, c'était lui. Ce n’était personne d'autre.
Eva Roque : Et vous l'avez convaincu facilement ?
Isabelle Camus : Il s'est amusé tout de suite en faisant le casting, il s'est régalé.
Eva Roque : Alexandra Lamy, elle, c'est elle qui a insisté pour obtenir le rôle.
Isabelle Camus : Oui, c'est vrai. Elle insistait. Elle a passé un casting qu'elle a raté. Et puis, elle a demandé à le repasser, chose qui est rare pour une comédienne. Et puis, c'est rare aussi que les producteurs acceptent. Mais voilà, on appelle ça encore le destin. On a dit : "oui". Et puis là, il y a eu tout de suite la magie entre les deux. Bon, c'était moins évident parce qu'elle n'avait pas encore ce sens du comique qu'elle a acquis au fur et à mesure et qu'elle fait très bien maintenant aujourd'hui.
Eva Roque : Alors, dans la série, il y a ce duo Chouchou et Loulou, et puis il y a une petite galerie de personnages, à commencer par Jeannette, la meilleure amie d'Alex, qui est incarnée par Dany Sénéchal. Scènes de vacances avec Alex, Jean, Jeannette et son nouveau fiancé.
Extrait Un gars, une fille
Est-ce que vous vous souvenez de toutes les scènes ou pas ?
Isabelle Camus : Oui. J'étais quasiment tout le temps sur les tournages.
Eva Roque : Oui, mais vous pouvez être sur les tournages et ne pas vous souvenir des 435 épisodes.
Isabelle Camus : Oui mais après il y a le montage et moi, j'étais là au montage la nuit. Après, il y avait le montage des best-of...
Eva Roque : Vous étiez au bout du rouleau au bout de quatre ans ?
Isabelle Camus : Je pense qu'on avait fait le tour et qu'on avait tous envie de faire d'autres choses, mais on s'est vraiment éclatés. On a vraiment pris cette décision tous ensemble. Moi, j'avais envie de faire d'autres productions et les comédiens aussi avaient besoin de s'envoler. Mais bon, je pense, ça fait partie des meilleurs souvenirs professionnels de nos vies. On s'est tellement éclaté, on était jeune, on se marrait tout le temps non-stop. Et puis on voyageait surtout. On avait cette possibilité, en plus de voyager, de dire : "Où est ce qu'on pourrait aller ? Si on allait au Maroc, si on allait en Chine !". Et on y allait.
Eva Roque : Ce qu'on ne pourrait pas faire aujourd'hui je vous confirme. On parlait de Jeannette, un des personnages de la série. C'est vous qui avez choisi ce prénom de Jeannette ?
Isabelle Camus : Je ne me souviens pas.
Eva Roque : Et le fait de choisir Alex et Jean, c'était dans la bible de départ du format québécois, de prendre le prénom des comédiens ou pas du tout ?
Isabelle Camus : Oui, on n'était pas obligé, mais Guy A. Lepage nous l'avait recommandé. Et c'est vrai qu'il a eu raison parce qu'ils sont tombés amoureux. C'est le mythe Un gars une fille, Guy A. Lepage me disait : "tu verras la plupart du temps...Dans tous les pays où ça a été adapté, les comédiens sont sortis ensemble et ont eu une histoire." Et c'est arrivé !
Eva Roque : D'où vient cette idée de voir ses personnages secondaires, que de dos, que de silhouettes, ça vous permettait d'embaucher des comédiens pas trop chers ? Ou c'était aussi dans la Bible ?
Isabelle Camus : C'était dans le concept et c'est ce qui m'a plu dans le concept. Le focus était sur le couple et c'était intéressant de laisser travailler son imaginaire en voyant des mains, des dos. D'ailleurs, ce n'était pas toujours simple à réaliser. Il y avait des fois où on avait très envie de les avoir à l'image, on avait parfois de très bons comédiens. C'était frustrant aussi pour eux, mais ça leur demandait vraiment un gros travail. C'est un exercice de style parce qu'il y a tout un jeu avec les mains, la voix doit vraiment être tout de suite claire et directe dans l'intonation, dans le ressenti. C'était le style de réalisation d'Un gars, une fille traditionnel.
Eva Roque : Justement, il y en a un qui a réussi, en partie grâce à un gars, une fille, alors même qu'on n'avait jamais vu son visage.
Extrait Un gars, une fille
C’est la voix de Mathieu Madénian. Comment vous castiez tous ces comédiens ? Sur l'accent, sur une main, sur une silhouette ?
Isabelle Camus : On avait un directeur de casting qui convoquait des comédiens, mais on utilisait aussi nos relations puisque Jeannette, c'était une amie à moi, Dany Sénéchal. Et Mathieu, c'était un ami de Frédéric Lerner, mon ex. Et il m'a dit : "J'ai un copain qui rame, tu ne veux pas le caster, il a l'accent du midi". Je me dis que c'est pas mal l'accent. Donc, lui, il est vraiment venu grâce à Frédéric Lerner.
Eva Roque : Frédéric Lerner qui a fait le générique d'Un gars, une fille aussi. C'est un générique qui nous a marqué. Est-ce que dans le format québécois d'ailleurs, le générique est aussi puissant ?
Isabelle Camus : Pas du tout...
Eva Roque : Ça a été quand même une pièce maîtresse aussi de la réussite d'Un gars une fille.
Isabelle Camus : C'est vraiment de la pure création.
Eva Roque : Vous en souvenez-vous quand vous l'avez conçu ?
Isabelle Camus : Oui, oui, je m'en souviens très bien parce que je ne voulais pas du générique musical québécois, qui ne me convenait pas. Je voulais un couple plus moderne, plus jeune, un peu bobo, certains diront. J'avais une idée en tête. Il fallait que ça appelle la ménagère, que ça appelle les enfants. Quelque chose comme une sonnerie quand on est en train de faire la cuisine, faire ses devoirs. Tac. On nous appelle une fois, deux fois, trois fois. Et c'est vrai que ça a été très efficace. Frédéric Lerner a vraiment bien réussi le cahier des charges que je lui ai donné. Il a mis du temps parce qu'on l'a beaucoup retravaillé, je suis un peu perfectionniste. Tant que je n'ai pas le résultat souhaité, je ne lâche rien.
Eva Roque : Je viens de réaliser qu'effectivement, c'était comme une sonnerie de téléphone. On était au rappel et il fallait qu'on vienne devant la télé pour regarder.
Isabelle Camus : D'ailleurs c'est devenu une sonnerie de téléphone pour certains !
Eva Roque : La scène qu'on a entendu dans un taxi, ça ne se déroule pas dans l'appartement. Vous nous disiez il y a quelques instants qu'effectivement, vous avez pu partir en Chine, aux Antilles, etc. Mais j'imagine que c'est le succès de la série qui vous a permis d'avoir les moyens de partir ? Ou tout de suite, ça a été accepté par la chaîne ?
Isabelle Camus : Ils étaient très contents que l'émission bouge. Chaque décor différent donne une variété. La chaîne n'avait pas de pouvoir de décision là-dessus. On faisait ce qu'on voulait, surtout à cette époque-là, on était quand même vraiment beaucoup plus libre. Non, on n'avait pas d'argent pour partir à l'étranger, mais on était malin et on essayait d'avoir des aides, des hôtels, des compagnies aériennes, des offices du tourisme. On faisait un peu ce qu'on voulait. Ils voyageaient aussi d'ailleurs, les Québécois, mais pas autant que nous. On a beaucoup voyagé parce que moi, j'aime bien voyager. Pour toutes les émissions que j'ai faites, j'ai toujours voulu aller à l'extérieur. J'ai un peu la bougeotte.
Eva Roque : Comment avez-vous vécu à titre personnel ces quatre ans ? Ces quatre ans de production aussi intense. Vous avez mis votre vie entre parenthèses pour cette aventure télévisuelle ?
Isabelle Camus : Je crois, oui. J'ai mis un peu ma vie privée entre parenthèses, quoique tout le monde travaillait. Il y avait Frédéric Lerner qui faisait la musique. Ma mère, elle, faisait de la figuration. C'était une famille. Mais c'est vrai que j'ai passé plus de temps avec Jean et Alexandra et l'équipe technique qu'avec ma propre famille. Ça, c'est clair. Mais je me suis amusée. J'avais la tête dans le guidon, comme on dit. Je pensais qu'à ça, je mangeais Un gars, une fille. Je buvais Un gars, une fille, je dormais Un gars, une fille. Mes week-end, c'était Un gars, une fille. Mes nuits, c'était Un gars, une fille. Mais je m'amusais et les réunions, c'étaient pour moi comme si on faisait un jeu de société avec des copains. C'était dur, mais on s'éclatait, on s'amusait, ça nous a apporté beaucoup de joie, beaucoup de rires. Qu'est-ce qu'il y a de plus important dans la vie ? Rire est mon loisir préféré. Quand j'étais petite, on m'avait demandé à l'école : "Quel est votre loisir préféré ?" J'avais mis : "Rire" en école primaire. Quand je ris, ça devient un plaisir, et plus un travail.
Eva Roque : Quand la série s'arrête et quand ce projet s'arrête, dans quel état êtes-vous ?
Isabelle Camus : Très bien car j'ai un autre projet, j'enchaîne tout de suite et j'enchaîne avec Johnny Halliday, donc un mythe. Et j'étais très contente de faire J-60, un autre programme pour France 2, quotidien, mais qui n'avait rien à voir. On vous demande toujours de refaire la même chose. Là, j'avais envie de faire peut-être des programmes courts, mais dans un autre genre. Suivre Johnny 60 jours avant ses 60 ans, c'était très passionnant, très excitant et un vrai challenge.
Eva Roque : Il y a des guests, qui se sont imposés au fil du temps, comme Plastic Bertrand. Comment vous choisissiez ces guests à l'époque, c’étaient les rencontres, les copains des copains ?
Isabelle Camus : Il y en avait beaucoup que je connaissais. C'est vrai, c'est plus facile de décrocher son téléphone. Plastic Bertrand, c'était parce que je crois, l'auteur aussi avait mis un truc comme : " ça plane pour moi". C'était comme ça au gré des envies.
Eva Roque : Mais vous étiez sollicitée. J'imagine qu'avec le succès de la série, certains vous ont téléphoné pour vous dire : "J'aimerais bien faire une figuration...."
Isabelle Camus : Non, pas vraiment. Parce qu'en fait, pour eux Un gars, une fille c'était Jean Dujardin et Alexandra Lamy. Mais en fait, on faisait des émissions de Noël, des spéciaux, comme on dit. Et là, je trouvais ça intéressant de mettre des guests. Mais non, c'est nous qui les sollicitions. Ils étaient très contents. Il y en a beaucoup qui n'étaient pas comédiens, donc ils étaient parfois impressionnés. Ils avaient le trac...
Eva Roque : Est-ce qu'il y a eu des politiques ?
Isabelle Camus : Non !
Eva Roque : Je me demandais si vous aviez été sollicitée pour faire passer certains messages ?
Isabelle Camus : C'est dommage, j'aurais pu demander à Jean-Louis Borloo lorsqu'il a été très bon.
Eva Roque : Pourquoi vous pensez à lui ?
Isabelle Camus : Parce qu'il est sympathique et que je pense qu'il serait très bon. Mais voilà, un politicien comme ça, pas un mec trop tendu.
Eva Roque : Vous racontiez que Ségolène Royal avait critiquée la série. Comment avez- vous accueilli ces critiques à l'époque, vous étiez trop le nez dans le guidon et finalement, vous n'y avez pas prêté attention ? Le fait que Michèle Cotta prenne son téléphone pour vous dire attention, je les ai un peu sur le dos...
Isabelle Camus : Non on avait trouvé ça un petit peu réactionnaire, un peu décevant pour une femme en plus. On aime les femmes étant donné qu'on est comme une production avec beaucoup de femmes, ça ne nous a pas non plus inquiétés parce que Michèle Cotta, c'était une femme, mais avec une personnalité de mecs. Donc on était soutenu.
Eva Roque : Vous parliez de l'importance des femmes dans la production et à l'écran. C'était quelque chose, auquel vous teniez, auquel vous étiez attentive. Qu'il y ait beaucoup de femmes dans cette production ou est-ce le hasard des rencontres ?
Isabelle Camus : Non moi j'aimais bien travailler avec des garçons. On avait quand même quelques garçons, mais c'est vrai qu'en majeure partie, dans les bureaux, c'étaient des femmes. Après, je ne veux pas faire un truc sexiste mais j'avoue que souvent, les nanas, elles ne lâchent pas. Donc, j'aime bien cette ténacité féminine. Mais les garçons travaillent aussi très, que les choses soient claires. Et on avait justement besoin de cette énergie masculine. On a toujours besoin des hommes de toute façon, je pense que les hommes ont besoin des femmes. Mais c'est vrai que les filles sont tenaces.
Eva Roque : La série se termine sur un mariage avec un banquet. Et parmi les seconds rôles, il y a une femme de dos.
Extrait Un gars, une fille
Qui est de dos ?
Isabelle Camus : C'est moi, ça m'est souvent arrivé en vrai. D'abord, j'adore ça. Ça m'amuse beaucoup de le faire. Et puis, en plus, on n'avait pas la possibilité d'emmener beaucoup de comédiens. Et puis, je crois que les comédiens se régalaient aussi à chaque fois. On s'amusait et ça faisait rire de jouer avec moi. Je le faisais souvent, je maîtrisais parfaitement les personnages donc forcément...
Eva Roque : Est-ce que vous avez produit ou travaillé encore avec Jean Dujardin et Alexandra Lamy par la suite ?
Isabelle Camus : Non, plus du tout parce qu'ils se sont envolés. Mais oui, ils ont fait du cinéma. J'étais très contente pour eux. D'ailleurs, ils ont excellé.
Eva Roque : Quand vous voyez Jean Dujardin partir aux Oscars, remporter son Oscar, comment réagissez-vous ? Parce que vous les avez vu débuter ces deux comédiens...
Isabelle Camus : Quand je regardais Jean aux Oscars, je ne regardais pas le gars de Un gars, une fille. Je regardais Jean, le comédien. C'est tellement mérité, je suis tellement contente pour lui, parce que je trouve que c'est un comédien extraordinaire. Il a ça dans les veines et j'ai toujours énormément cru en lui.
Eva Roque : Pardon pour la formule bateau. Mais Un gars, une fille a vraiment changé votre vie ?
Isabelle Camus : Je me suis toujours éclatée dans les émissions que j'ai faites, donc je me suis éclatée à Surprise surprise aussi avec les Québécois. Ça reste de beaux concepts et de très belles années professionnelles. J'ai gagné un peu plus de notoriété et surtout de l'argent dans ma tirelire parce que ça a quand même duré pendant quatre ans. On a vendu beaucoup de DVD, beaucoup de VHS. Donc, en tant que producteur, on avait fait un pari, mais on avait tout misé. Mais ça nous a bien rapporté aussi.
Eva Roque : Vous pensiez souvent aux premiers instants où, justement, vous tourniez dans votre chambre et où c’étaient les économies que vous aviez réunies pour tourner la première scène ?
Isabelle Camus : Oui, on en est d'autant plus fières parce qu'avec Hélène, on était au chômage. J'avais claqué la porte de la production pour laquelle je travaillais, elle aussi en même temps. On s'est retrouvées au chômage et on était comme des petites fourmis à la maison. C'était, l'hiver, il faisait gris. Et puis, on a eu cette idée d'aller chercher le programme Un gars, une fille, de l'adapter. Mais rien n'a été facile par contre. Ça a été quand même un combat parce qu'on n'avait pas de sous. Il fallait demander des droits. On n'était pas une production. Donc, il a fallu vraiment justifier notre intérêt. Écrire, donner la vision à l'auteur, aux producteurs, leur demander de nous donner les droits pour un franc symbolique, en échange de quoi on leur ferait un pilote. Ils ont accepté.
Eva Roque : Si vous deviez retenir une seule scène de ses 435 épisodes... Ce serait laquelle ?
Isabelle Camus : C'est un piège. C'est plus un décor quand on tournait au bureau. Peut-être que c'est là parce qu'on était enfermé dans cette pièce. Notre pièce de réunion avec toutes ces équipes, on avait chaud, avec les projecteurs, etc. C'était vraiment épuisant et il y avait des fous rires. Ou dans la salle de bains. Dans ma salle de bains aussi, parce que c'était minuscule. Jean, dans la baignoire avec Alex, les crèmes antirides, tout ça. On rigolait bien et pourtant, ce n'était pas ce qu'il y a de plus confortable. Mais tout, l'île Maurice, la plage, les Seychelles aussi, il y en a trop. Je ne pourrais pas en garder qu'un seul.
Eva Roque : Moi, j'ai une proposition. Vous en faites un programme court. Je sais qu'on vous demande toujours ça. On vient travailler avec vous avec l'équipe de SERIELAND et on fera des voyages avec vous.
Isabelle Camus : Et on rigole bien ...
Eva Roque : Évidemment ! Merci infiniment Isabelle Camus de nous avoir permis de replonger dans cette aventure télévisuelle d'Un gars, une fille. Une aventure qui se prolonge désormais sur nos écrans via YouTube, Twitter aussi, où vous pouvez retrouver tous les épisodes de cette série devenue culte.