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SAISON 2020 - 2021, modifié à

SERIELAND ENTRETIEN - La saison 2 de "The Mandalorian", dérivée de l'univers Star Wars, vient de sortir sur Disney+. Cinq ans après la chute de l'Empire et l'intrigue du "Retour du Jedi", on suit les aventures d'un mercenaire mandalorien. Dans ce nouvel épisode de SERIELAND, Eva Roque reçoit Patrice Girod, producteur de cinéma et l'un des plus grands spécialistes français de Star Wars créée par George Lucas. Il décrypte la série et dévoile de nombreuses anecdotes sur la saga culte.

La saison 2 de The Mandalorian, vient de sortir sur Disney+ et les fans en manque de galaxies très très lointaines peuvent se rassasier (au moins pour un temps). C'est le cas de Patrice Girod, qui a dévoré la saison 1 et les premiers épisodes de la saison 2. Fan de Star Wars de la première heure, le producteur et fondateur de Lucasfilm magazine en France, a rencontré George Lucas quand il avait 21 ans et a même fait de la figuration dans l'épisode I, "La menace fantôme" ! Il a adoré la série dérivée de l'univers Star Wars. 

L'intrigue débute après entre la chute de l'Empire et l'émergence du Premier Ordre, entre l'épisode VI et l'épisode VII. C'est une sorte de western moderne. On suit les aventures d'un mercenaire, The Mandalorian, dans ses voyages dans les contrées les plus reculées de la galaxie. Sur son chemin, il va croiser un nouveau personnage : bébé Yoda. Il va forcément vous faire craquer... Le créateur, John Favreau, tire ses influences du manga japonais, Baby Kart. Mais aussi de ce qui a inspiré George Lucas dès la création de Star Wars : Flash Gordon, Métal hurlant, etc.

Dans SERIELAND, le podcast d'Europe 1 Studio par celles et ceux qui aiment les séries et les font, Eva Roque accorde un grand entretien au spécialiste de l'univers Star Wars. Peut-on apprécié The Mandalorian si l'on n'est pas spécialement fan de la saga ? Quels sont les clin d'œil faits aux films d'origine ? Comment est fabriqué bébé Yoda techniquement ? Patrice Girod révèle les secrets d'une super-production qui a fait bouger les codes du cinéma.

(Transcription)

Eva Roque : Bonjour Patrice Girod.

Patrice Girod : Bonjour !

Eva Roque : Difficile de résumer votre vie en trois mots. Mais si je dis que vous êtes un des meilleurs spécialistes de l’univers Star Wars, je ne me trompe pas ?

Patrice Girod : Il y a plein de spécialistes. C'est un peu comme un pilote de ligne, moi ma force est que j'ai un certain nombre d'heures de vol. J'ai travaillé littéralement tous les jours avec Lucasfilm pendant 15 ans, et je continue à travailler encore pour eux.

Eva Roque : A quelle occasion avez-vous travaillé pour eux ? 

Patrice Girod : J'ai vu Star Wars en 1977. J'avais 10 ans. Ça m'a passionné. Comme j'explique aux jeunes qui sont fans, il y a Star Wars mais aussi tout ce qu'a fait George Lucas après. Il a fait Indiana Jones, il a fait THX, les premiers jeux vidéo. Je suis devenu cinéphile grâce à lui. Ça a marqué un peu toute ma génération d'ailleurs. Le producteur de The Mandalorian, John Favreau, a pratiquement mon âge. Star Wars, ça a fait bouger les codes du cinéma. C'est un film tellement complexe et fascinant qu'on se demande comment a fait Lucas.On a tous regardé les making-of, les cassettes vidéo, lu les livres. On a découvert le storyboard, le Sound design qui a été créé pour Star Wars. Il n'existait pas avant. A partir de là, on a découvert vraiment la grande palette du cinéma, de Scorsese à Coppola. Et puis moi, je suis rentré là-dedans, je voulais faire du cinéma. Je voulais être producteur, ça me fascinait. Et puis, un jour, j'ai écrit à George Lucas. On m'a rigolé au nez, y compris mon père qui m'a dit : "Ils ne te répondront jamais !" Ces équipes m'ont répondu, ils ont voulu me rencontrer parce que je voulais faire le magazine qu'il venait de lancer aux Etats-Unis, en France. 

Eva Roque : Vous aviez quel âge à l'époque ? 

Patrice Girod : J'avais 21 ans. 

Eva Roque : Vous y êtes allé au culot et ça a marché. 

Patrice Girod : En fait, je ne me mets jamais de limites. Là encore, pour un projet, j'ai écrit à un grand réalisateur. J'essaye, et si je n'ai pas de réponse, je n'ai pas de remords. Et d'ailleurs, ils m'ont avoué qu'ils n'ont jamais eu de telles demandes du monde entier. Aucun fan n'a jamais écrit pour une telle demande. Aux Etats-Unis, ils sont allés voir le gars qui faisait déjà le fan club de Star Trek en lui disant : "Tu ne veux pas faire le fan club Star Wars ?". Je pense qu'il y a une autocensure que se font les gens aussi dans la vie de tous les jours. Moi, je n'ai pas ce filtre. J'y vais et je me dis je verrai les problèmes après.

Eva Roque : Mais vous avez bien raison. Alors, on vous doit plusieurs livres. La réalisation d'immenses expositions comme celle de 2005, par exemple à la Cité des sciences à Paris. Vous avez assisté aux tournages de Star Wars, vous avez rencontré George Lucas. Puis, cerise sur le gâteau, vous avez été figurant sur des épisodes de Star Wars. 

Patrice Girod : Pour l'anecdote, c'est génial parce que je décrochais déjà le Graal de pouvoir faire le magazine de Lucas en France. Et un jour, la personne avec qui je travaillais chez Lucasfilm m'appelle. Ce qui est assez rare parce qu'on communiquait par fax, il n'y avait pas encore de mail. Il me dit : "Patrice ? J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, c'est que tu vas sur le tournage de Star Wars." Ce qui était quand même une super nouvelle parce qu'à l'époque, j'ai juste une licence comme ceux qui font des t-shirts. J'ai donc demandé : "Et la bonne nouvelle ?". Ils m'ont répondu : "La bonne, c'est que tu vas m'envoyer tout de suite tes mensurations que je vais transmettre à l'équipe de production et on va te fabriquer un costume pour que tu sois dans le film." 

Eva Roque : C'est quand même génial !

Patrice Girod : C'était une autre époque. C'était génial. 

 

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Eva Roque : Vous allez revenir sur cette anecdote. On voulait évoquer avec vous la série The Mandalorian dont les deux saisons sont disponibles sur Disney + et qui sont issues de l'univers Star Wars. Et donc, c'est une série avec ce petit personnage absolument craquant. 

Extrait The Mandalorian (bébé Yoda)

Patrice Girod, quand vous découvrez à l'écran ce petit bébé Yoda, qu'est-ce qui se passe dans votre cœur de fan ? 

Patrice Girod : Déjà, c'était une vraie surprise parce qu'ils ont gardé ça de manière secrète, donc bravo, surtout à l'époque des téléphones. Puis ils n'ont pas aussi craqué sur le côté merchandising, en envoyant aux industriels six mois avant les photos. Ils ont tout bloqué. On a enfin retrouvé ce qu'on avait en 1977. C'est la magie de la découverte. C'est-à-dire que tout d'un coup, la magie de la série fonctionne parce qu'en plus, on est attrapé par la nouveauté. Et en plus il y a un côté absolument craquant du petit Yoda, qui a effectivement tout d'un coup embarqué peut-être toute une population qui n'était pas dans sa voie. C'est-à-dire, les femmes. Parce que c'est un univers très masculin avec des chevaliers, des robots, des droïdes, des tanks. 

Eva Roque : Il y a un truc extraordinaire que j'ai appris en travaillant sur cet épisode de SERIELAND, c'est que cette créature, aux expressions si humaines, est une marionnette. Il y a quatre personnes pour la diriger, c'est-à-dire qu'il y en a une pour les yeux, une pour la tête et le corps, une pour la bouche et les oreilles, une autre pour le corps et les bras. C'est absolument incroyable ce travail, parce qu'on ne voit évidemment rien à l'écran. 

Patrice Girod : Alors on ne voit rien. C'était déjà la magie de Yoda quand il est apparu en 80 dans l'Empire contre-attaque, ce n'était qu'une marionnette en latex. C'était vraiment un risque énorme pour l'époque. Et là, ils ont retrouvé ça, c'est merveilleux. Aujourd'hui, ces techniques sont parfois un peu perdues. 

Eva Roque : Le numérique est passé par là ... 

Patrice Girod : Oui il y a beaucoup de métiers qui sont perdus. Il y a beaucoup de micromécanique, il faut avoir les techniciens de l'art. C'est de l'artisanat, tout ça. C'est pas évident de trouver les bonnes personnes dans le monde. Là, ils ont réussi. Après, il y a un peu de retouches numériques sur certains plans, mais ce n'est pas grave. Je dirais que c'est le meilleur des deux mondes et ça fonctionne. Ça fonctionne parce qu'il est tangible, il est réel. C'est une vraie petite créature en latex. Je crois que même pour les acteurs, c'est important parce qu'ils l'ont, ils peuvent le prendre en main. Et il y a un jeu qui se crée. 

Eva Roque : Vous me confirmez que le personnage de Yoda a été d'abord un personnage en latex, une marionnette et, avec le numérique, est devenu un personnage numérique aussi ... 

Patrice Girod : Dans l'Empire contre-attaque et Le retour du Jedi il était en latex. Puis, quand il a fait les nouveaux épisodes, la technologie n'était pas encore là, donc ils avaient fait un latex, mais il n'était pas du tout réussi. Ils ont essayé de le rajeunir et ça ne fonctionnait pas. Et là, tout le monde a été déçu. Et quand ils sont arrivés aux épisodes 2 et 3 des nouveaux épisodes, ils l'ont fait en synthèse. D'ailleurs, ils l'ont même re-changer dans le premier épisode où ils l'ont remplacé. 

Eva Roque : Question un tout petit peu personnelle, quand vous découvrez cette série, The Mandalorian, comment avez-vous réagi ? Si vous deviez nous donner un argument pour qu'on la regarde ? 

Patrice Girod : Dès le premier épisode, j'ai retrouvé la magie qu'il y avait dans le tout premier épisode de Star Wars en 1977. 

Eva Roque : Vous vous êtes revu à l'âge de 10 ans ? 

Patrice Girod : Oui, parce que je me suis dit : "Ah, ça y est, on revient à l'essentiel, la simplicité et la magie." C'est-à-dire que dès le premier épisode, dès que vous voyez des tributs apparaître dans le désert, vous n'avez pas besoin de connaître. Voilà, c'est une tribu étrange, bizarre, je me place dans la peau d'un enfant de 10 ans. Je me dis : "Ah, c'est génial !". Il va rentrer dedans. Ça y est, il va retrouver la magie de Star Wars. Parce que je plains les gens qui n'ont jamais vu Star Wars et qui doivent rentrer au neuvième épisode. C'est proche de l'impossible, on comprend rien ou on passe à côté de la moitié des choses. Donc, c'est des univers quelque part très intimidants. Et là, la force de The Mandalorian, c'est qu'on revient à la base et la simplicité. La force de Star Wars, est que c'est à la fois un film qu'on peut regarder au bout de quarante ans et on voit la complexité du millefeuille. Mais la force, c'est que c'est ultra simple. Moi, à 10 ans, j'ai tout capté par sa simplicité. Et c'est ça la force des grands films, c'est leur simplicité. Dès que ça devient complexe, on décroche. On s'emmerde. Et là pour The Mandalorian, le producteur Favreau a compris les fondamentaux de Star Wars, notamment que c'était un western spatial. 

Eva Roque : Dans ce western, il y a un Mandalorien qui trouve ce bébé Yoda, Mando qui s’appelle en réalité Din Djarin. C'est un chasseur de prime dont l'histoire personnelle est régulièrement rappelée par des flash back et il répète régulièrement qu'il est orphelin.

Extrait The Mandalorian 

C'est étonnant comme le fait d'être orphelin est récurrent dès qu'on parle de héros, de super héros. Comment vous l'expliquez ? 

Patrice Girod : C'est l'identification qui est importante au cinéma. Moi, ce qui m'a marqué en 1977, c'est l'utilisation du cinéma à son maximum. Moi, j'allais voir un film. Je ne savais même pas ce que j'allais voir. C'est mon grand frère qui m'emmenait. J'avais 10 ans. Je me suis assis dans la salle et pendant deux heures, je suis parti dans l'espace. Je suis parti de la terre et je suis devenu Luke Skywalker. C'est l'identification au personnage. Et très souvent la force de ses personnages est qu'ils sont très simples, qu'ils vont faire des choses extraordinaires. A la base, vous êtes comme eux... 

Eva Roque : Avec une cassure, une brisure qui pourrait les faire passer pour des gens faibles...

Patrice Girod : Oui, ou des gens comme nous, on a tous des points faibles. Et puis, tout d'un coup, ce sont les préceptes du voyage du héros de Campbell's, il va passer par le feu. Et il va repasser de l'autre côté du feu. Il affronte les problématiques et il les surpasse. C'est un schéma simple de tous les contes mythologiques qui doit nous guider en tant qu'enfant. Ça m'a aidé, moi, à me dire qu'il faut que je dépasse des problématiques pour me surpasser et réussir, c'est le premier échelon. Et le deuxième échelon : la vie, c'est ça. C'est à ça que servent les contes mythologiques et c'est à ça que sert Star Wars. 

Eva Roque : Mais vous allez vraiment arriver à me convaincre de regarder autrement Star Wars, c'est passionnant, vraiment...

Patrice Girod : Je voulais vous dire que John Favreau a eu l'idée du Mandalorian à la fin du Retour du Jedi quand il est sorti en 1983. Parce qu'il y a un truc qui nous a absolument outré, c'était la mort du personnage de Boba Fett. Parce que dans l'Empire contre-attaque, ce personnage apparaissait. Il était génial et énigmatique avec son casque, c'était un espèce de bras droit de Dark Vador. C'est génial, donc on a attendu le nouveau film avec. 

Eva Roque : Il ne va pas arriver... 

Patrice Girod : Alors il faut savoir une chose. J'ai découvert récemment dans un livre de quelqu'un chez Lucasfilm que Lucas avait prévu que dans le troisième film de l'époque, le grand méchant serait Boba Fett parce qu'il avait prévu une deuxième trilogie derrière où il y avait l'Empereur. Et puis sur l'Empire contre-attaque, il a dit à ses équipes qu'il a changé d'idée, dans le prochain film, ce sera l'Empereur le grand méchant, donc Boba Fett passe à l'as. Donc effectivement, dès le premier acte, le pauvre Boba Fett disparaît d'une manière un peu bête et donc on est tous sortis de la salle en se disant que c'était dommage. Favreau, lui, est sorti et il a écrit Mandalorian quelque part. Il s'est dit que Boba Fett n'était peut-être pas mort. Quand il a vu les derniers Jedi, Favreau était comme beaucoup de gens de notre époque, outré par le film en se disant : "Mais où est-ce qu'ils vont avec Star Wars ?" Et donc, il a demandé un rendez-vous à Kathleen Kennedy de Lucasfilm et lui a pitché. Il lui a dit : "Vous ne pouvez pas continuer ces films qui sont trop compliqués ou vous refaites les films de George, mais un peu différemment. Voilà ce que je vous propose de faire." Et là, bravo à Kathleen Kennedy, elle a dit : "Ok, on va faire une série télé". Une des choses qu'ils n'ont pas évaluée, c'est la complexité de Star Wars et la complexité à le faire. On pourrait se dire que c'est simple comme c'est Walt Disney Company. Ce n'est pas si simple que ça. 

Eva Roque : Il faut un scénario par ailleurs ... 

Patrice Girod : Le problème c'est qu'ils ont voulu refaire les grands Star Wars de 1977 et faire croire aux jeunes qu'ils l'ont créé. Mais pour aller refaire la Mona Lisa, vous avez intérêt à être aussi bon que Léonard de Vinci. Donc ils ont fait un film avec plein d'effets spéciaux, mais il n'y a pas le truc qui fait que c'est génial. Et donc, tout d'un coup, ils n'ont fait qu'une chose, c'est comparer leurs films aux anciens. Ils se sont tirés une balle dans le pied, pour moi. Dans The Mandalorian, l'intérêt est qu'ils vont sur un autre univers en utilisant les codes de George Lucas et c'est ça la force de Favreau. Et quelque part, c'est ça la force de Star Wars. 

Eva Roque : Je vais vous lancer un défi parce que sans connaître l'univers de Star Wars, j'ai compris qu'il y avait le bien et le mal dans cette saga. Il y a aussi le pouvoir, la maîtrise de ce pouvoir. Où se situe le Mandalorian ? 

Patrice Girod : Ça, c'est une des problématiques. Un conte mythologique doit être simple, c'est pour ça que pour George Lucas, c'était le bien contre le mal parce qu'on parle à des enfants. Le problème des films d'aujourd'hui c'est qu'il faut que ça plaise à des enfants et à des adultes. 

Eva Roque : Qui ont souvent perdu leur âme d'enfant ...

Patrice Girod : D'ailleurs, quand les épisodes 1, 2 et 3 sont sortis, nous, on les a moins aimés que les originaux. Mais pour les jeunes qui sont nés avec cela. Ils les préfèrent. 

Eva Roque : Alors le Mandalorian est où sur l'échelle du bien et du mal...

Patrice Girod : Quelque part, c'est un chasseur de primes. C'est pas un gentil vaurien. On voit qu'il est habité d'une humanité parce qu'il sauve une petite créature qui, au départ allait servir de monnaie d'échange. Et puis, finalement, il change d'avis en disant : "Je ne peux pas faire ça."  C'est le méchant au grand cœur quoi. C'est un peu un être seul, un être seul qui a besoin de survivre dans cette galaxie et qui est en décrépitude. Mais au fond de lui, on voit bien qu'il a une âme qui est essentielle. Il est habité d'une humanité, donc on se reconnaît tous en lui. 

Eva Roque : Vous avez raison, sauf qu'on ne voit jamais son visage, à une exception près. Petite entorse dans l'épisode 8 de la première saison. 

Extrait The Mandalorian 

Question totalement anecdotique, mais quand même, il paraît qu'il y a un acteur sous ce costume, Pedro Pascal, dont on voit le visage pendant quelques secondes. Comment pouvez-vous m'assurer que c'est bien lui qui fait tous les épisodes de The Mandalorian ?

Patrice Girod : Déjà c'est quand même une prouesse d'arriver à faire des champs / contrechamps entre un casque et une créature en latex. Et c'est ça pendant des heures et des heures. Et ça fonctionne. C'est là où c'est vraiment balèze parce que vous voyez des casques et de l'autre côté, une créature en latex. Et ça marche. Donc, c'est là où vraiment, bravo. C'était osé d'un point de vue de la production de Disney de faire ça. Donc, ils vont un peu à l'encontre de tout ce qui se fait à Hollywood en ce moment et ils ont pris un risque. Ils s'aperçoivent que ça marche. La séquence, où on retire le casque c'est pour montrer qu'il y a Pedro Pascal. Sinon dans l'idée, il ne faut pas montrer son visage à ce personnage. 

Eva Roque : Comment interprétez-vous cette volonté de masquer les visages et donc, quelque part, l'identité des personnages ? 

Patrice Girod : Vous savez, le fait de ne pas savoir ça crée l'émerveillement. On a tous même été un peu déçus. On a vu Star Wars 4, 5, 6 avec Dark Vador et à la fin du 6, Dark Vador retire son casque et on a vu un vieux monsieur parce que Lucas voulait faire une référence au Magicien d'Oz. Mais quelque part, on était déçu. On s'attendait à voir un gars méchant. Mieux vaut faire travailler l'imaginaire des gens plutôt que de révéler. Pour répondre à votre question il y a une doublure sur le tournage qui est le petit fils de John Wayne, c'est un cascadeur. Je pense que dans beaucoup de plans, il y a quand même Pedro Pascal parce qu'il faut sortir les répliques, c'est quand même un jeu d'acteur. Après, vous savez, dans beaucoup de films, les contrechamp sur les épaules et les cheveux, très souvent, c'est une doublure, ce n'est pas l'acteur principal. 

Eva Roque : Bonne réponse. Il y a le producteur exécutif de la série Dave Filoni qui dit : "Je pense honnêtement que la beauté de ce monde The Mandalorian tient dans le fait qu'il n'est pas nécessaire de connaître quoi que ce soit sur Star Wars pour l'apprécier." C'est ce qu'on dit depuis le début de cet épisode et je dois dire que c'est vrai et notamment, parce que The Mandalorian est un western moderne. On a ce chasseur de primes, en l'occurrence notre héros. On a le désert en décors, souvent des bars qui sont similaires aux saloons qu'on pourrait voir dans un western. Les mains sur la gâchette. Et puis une musique qui est fortement inspirée par celle d'Ennio Morricone. 

Extrait The Mandalorian 

On est vraiment dans le western moderne. On a toutes les caractéristiques... 

Patrice Girod : Star Wars était inspiré de Flash Gordon, des westerns et notamment La forteresse cachée de Kurosawa. De quoi est inspiré The Mandalorian ? De Baby Kart qui est un manga japonais qui a donné une série de six longs métrages au début des années 1970 au Japon. Favreau les a vu et donc c'est l'histoire d'un ce qu'on appelle un rōnin, un homme sans maître, qui est propulsé d'une caste. Il part avec son bébé dans son petit landau et part dans une aventure. Il va chercher sa vengeance. Le personnage du Mandalorian avec le bébé Yoda s'est vraiment inspiré de Baby Kart qui est donc une résonance avec ce que faisait George Lucas et ses travaux. Favreau va s'inspirer de ce qui a inspiré George Lucas pour regénérer du Star Wars. Il retourne aux substances de base. 

Eva Roque : C'était la question que je voulais vous poser. Au fond, est-ce que c'est pas ça la principale force de George Lucas et de ceux qui ont travaillé avec lui comme le producteur de la série, John Favreau, c'est-à-dire créer un monde à partir de références qui sont issues de la culture populaire, de la pop culture qui nous touchent tous. Et il le régurgite dans une œuvre originale. 

Patrice Girod : Alors pour moi, je pense que la force du futur de Star Wars, c'est de comprendre que George a créé un univers cohérent, ultra ludique. Ça marche du tonnerre de Dieu. Alors pourquoi les films japonais ? Plus qu'autre chose finalement parce que Lucas aimait aussi beaucoup les films de Godard et de Truffaut. Mais je pense qu'on retrouve dans la culture japonaise les codes des samouraïs, que Lucas essaye d'insuffler chez les Jedi et dans ces personnages qui apportent une sorte de noblesse et qui les rendent très romanesques. C'est un peu ce que je reproche dans beaucoup de séries d'aujourd'hui, c'est qu'on filme tout comme la réalité. Et quand je regarde tout le cinéma des années 1970 et 1980, James Bond n'était pas le personnage de tous les jours. Capitaine Kirk, c'était un personnage sur un piédestal... 

Eva Roque : Vous avez besoin de faire marcher votre propre imaginaire !

Patrice Girod : Toutes ces choses-là ne nous montrent pas le quotidien parce que ce sont des contes mythologiques, donc ils doivent nous montrer le chemin, ils doivent nous montrer des exemples, des gens qui vont nous pousser à les suivre et à dire : "Je veux devenir ce Mandalorian avec son code d'honneur, moi aussi dans la vie je veux faire ça." Et le problème, c'est que tout ce que je regarde aujourd'hui en séries télé, on nous montre la réalité. Même dans les trucs de science-fiction, ça ne m'intéresse pas. Je ne veux pas que le gars qui est à la tête du vaisseau spatial ressemble à mon boulanger. Ça ne m'intéresse pas, ça ne me fait pas rêver. Moi, ce qui m'intéresse, c'est le conte mythologique, personnellement. 

Eva Roque : Vous avez raison parce que pour rêver, George Lucas a eu un truc extraordinaire. Et Favreau, l'a aussi, c'est de créer cet univers, ce monde incroyable, ce monde imaginaire. Peut-être que vous l'avez totalement intégré, mais je suis vraiment bluffée par cette créativité qui se niche vraiment dans les moindres détails. La série en est l'exemple aussi. Je suis toujours impressionnée, comme dans Game of Thrones d'ailleurs, notamment par l'invention de langues. 

Extrait The Mandalorian 

Patrice Giraud est-ce que vous êtes encore étonné par cet imaginaire sans limites de George Lucas et de ses apôtres ?

Patrice Girod : Oui, parce que c'est fou. Je ne sais pas comment présenter ça, c'est extrêmement dur. Lucas avait un don pour trouver les noms, des planètes, des civilisations, des langues, des droïdes. Il savait aussi reconnaître les bons sons, les bonnes images. Pour tout, c'est lui qui validait. Et la force de Lucas, c'est qu'il a rendu un univers cohérent. Il y a beaucoup de films où on se dit : "Ça, ça ne va pas etc." Les films de Lucas, ça fonctionne. Et la force de Favreau, c'est justement d'arriver à recréer là dedans des choses cohérentes dans l'univers de George Lucas. Et quand ça fonctionne, c'est merveilleux. Et je sais que Favreau est très directif. Je sais qu'il dit : "Retrouvez-moi le son de telle porte dans Le Retour du Jedi." Très souvent, moi, je suis fan. Il y a des petits clins d'œil à tous les fans. C'est une nouvelle histoire, mais il n'oublie pas les origines. Et parce que la porte dans Star Wars doit faire ce bruit là spécifiquement. 

Eva Roque : C'est incroyable ! C'est-à-dire que chaque détail que vous voyez en regardant The Mandalorian, devient ludique. 

Patrice Girod : Exactement et ce qu'il fait aussi, c'est qu'il rassemble les univers qu'a fait George. Il faut savoir que dans la communauté et dans les médias, la trilogie qu'a fait Lucas, les 1, 2, 3 et les nouveaux est très décriée. Voire même, si vous avez travaillé sur ces films là, vous n'allez pas être embauché dans les nouveaux films de Star Wars, ce qui est complètement idiot. Mais au moins, quand on voit The Mandalorian, il réunit tous les univers, ils jouent avec tous les codes qu'a créé Lucas. 

Eva Roque : Pourriez-vous me donner un autre détail ?

Patrice Girod : Je crois que c'est dès le premier épisode, il va frapper à une porte et vous avez l'espèce d'appareil qui sort, qui pose des questions pour identifier l'arrivant. C'est une référence directe à la porte de Jabba The Hutt dans Le Retour du Jedi. Vous avez les droïdes qui sont sur Mos Eisley, qu'on a jamais vu dans Mos Eisley comme ça. Mais là, il les a ramené de l'épisode 1. Je sais qu'il a demandé le plan des Bentha. Il est très directif parce qu'il est lui-même fan et qu'il sait ce qu'il faut ramener. D'ailleurs, il est cuisinier, il fait la même chose qu'un un bon cuisinier, il prend les bons ingrédients. 

Eva Roque : Je ne connaissais pas son passé de cuisinier... 

Patrice Girod : Il a une émission sur Netflix qui est géniale. D'ailleurs, comme je dis souvent, le cinéma et la cuisine se rapprochent. Quand vous écrivez un scénario, il faut du temps. Ce n'est pas par hasard que Kubrick mettait 3, 4, 5 ans à faire un scénario. Faire reposer les choses souvent vous permet d'avoir une autre vision. C'est le drame aujourd'hui à Hollywood et même en France, c'est que tout va trop vite. 

Eva Roque : Elle est aussi marquée par beaucoup de traits d'humour qui, à mon sens, rendent le récit un peu plus léger. Est-ce que vous avez été sensible à cet humour-là ? Est-ce que c'est raccord avec l'univers de George Lucas ? 

Patrice Girod : C'est complètement raccord avec la première trilogie des années 1970. Et justement, c'est ce qui manquait un peu dans les épisodes 1, 2, 3 de Lucas. Mais George ne voulait pas faire absolument les mêmes films. Il voulait faire des films politiques, donc il a fait ce qu'il a envie de faire. Mais effectivement, si on repart à la genèse de ce qui a marché, c'est à la fois de l'action, de l'émerveillement et une petite teinte d'humour. Et d'ailleurs, ce n'est pas de l'humour à gags. Ils ont toujours été très mauvais là dessus, mais l'humour lié par le côté décalé des personnages, c'était la force de R2D2, qui était toujours là au mauvais moment, à faire la réflexion qui faisait rire le public. Mais c'est par le décalage qu'on nous fait rire. Et d'ailleurs bébé Yoda fonctionne par son décalage dans son univers. 

Eva Roque : Il y a de l'humour et aussi des phrases chocs. Plus que des punchlines, ça devient des sortes de proverbes... "Telle est la voie", "Ainsi ai-je parlé", etc. 

Patrice Girod : Oui, parce que en faisant ça, il ancre son univers Favreau. Il crée dans l'univers de George Lucas, l'univers John Favreau. On connaissait Boba Fett, mais rien d'autre sur ce qu'on appelle les Mandalorian. Ça a été développé dans un dessin animé Clone Wars, avec la planète de Mandalore. Mais là, quand il a fait cette série, il a essayé de donner de la richesse à cet univers des Mandalorian. Donc il leur crée des codes. Donc effectivement avec ces phrases. On voit maintenant des running gags sur les réseaux sociaux où des fans disent : "Telle est la voie" sur n'importe quoi. 

Eva Roque : Moi, je suis très contente parce que enfin, je comprends ces running gags. Ce décorum, cette créativité se matérialise aussi par des poursuites et des combats qui sont impressionnants dans la série, avec les vaisseaux, les véhicules, ses décors. Il y a une planète, un décor. Est-ce que vous êtes en mesure de nous dévoiler peut-être un ou deux secrets sur les effets spéciaux qui ont été utilisés sur la série ? 

Patrice Girod : Je vais vous dire une chose, la deuxième saison est très impressionnante. Dans la première, parfois les épisodes étaient un peu courts, ça a été fait en urgence pour le lancement de Disney +. Mais c'était déjà remarquable. La deuxième me bluffe. La deuxième a été lancée en production avant le succès. Avec le succès je me dis que la troisième va être au-delà du monumental. Une des grandes trouvailles c'est la révolution, quelque part technologique de la série. Et là aussi, ça se ramène à Star Wars. Star Wars, quelque part, a toujours repoussé les limites de la technologie du cinéma. Et là, Favreau a mis au point un système qui est génialissime. Il y avait un système dans les années 1980 qui s'appelle Rétrovision, où on projetait derrière derrière les comédiens, ça se faisait même dans les voitures. On projette une image et on vous filme. ça permet d'avoir de la lumière. Mais ça a été très peu utilisé parce qu'il y avait beaucoup de contraintes. Avec ce qu'il a développé en prévisualisation sur je crois, Le livre de la jungle où tout est en synthèse mais lui, il avait besoin pour réaliser d'avoir les décorum qui se mettent en place sur son écran. Ils ont poussé le système jusqu'au bout et ils ont utilisé les moteurs de jeu vidéo des PlayStation 4 et 5 qui permettent d'avoir en temps réel, les décors projetés derrière en 3D. Les décors sont pré-faits sur ordinateur, mais quand vous bougez votre caméra, l'écran va bouger en fonction de la caméra et la focale aussi. 

Eva Roque : Et donc, les acteurs ont joué dans les décors... 

Patrice Girod : Oui, des fois, même quand c'est la Cantina de Star Wars, il y a juste une table et une chaise et derrière le décor est projeté. Souvent les raccords lumière du soleil ou des lunes ne fonctionnent pas très bien avec des fonds bleus. On voit les limites de la technologie. Là avec ça c'est génial ! Tout d'un coup, vous projetez sur un énorme fond avec le plafond. Il y a des LED au plafond. Ils projettent l'image 3D en 8K, je crois. Et là vous avez la lumière de soleil qui projette sur l'acteur et vous avez le raccord. Notamment le Mandalorian, a un casque qui reflète. A un moment, vous voyez dans le casque le reflet du méchant qui saute par-dessus une barrière, ce qui est quand même incroyable. Donc, ça permet pour la première fois dans l'histoire du cinéma, de filmer une série à moindre coût. Vous avez l'impression qu'ils ont tourné à Dubaï, dans le désert. Non, c'est un studio à Los Angeles. 

Eva Roque : Et ça me fait penser à une autre question, vous parliez des jeux vidéo qui ont permis cette technologie-là. Moi, j'ai souvent pensé que tout cet univers de Star Wars était lié aussi à la pop culture qui passe par la bande dessinée et que les jeux vidéo, aujourd'hui, se sont beaucoup inspirés de cet univers de Star Wars. Vous me confirmez qu'il y a un lien totalement étroit entre ce qu'on peut faire aujourd'hui en jeux vidéo et The Mandalorian et les prochains Star Wars ? 

Patrice Girod : George Lucas a fait les premiers jeux vidéo avec sa société qui s'appelait à l'époque Lucasfilm Computer Division. Et après Lucasfilm Games, puis LucasArts. Il a été un des pionniers, il disait que c'est la prochaine étape après le cinéma. Le cinéma, vous êtes passif. Les jeux vidéo, vous deviendrez actif de l'aventure. Il disait ça en 1980. Tout le monde rigolait. Il faut savoir une chose. A partir de 77, il investit 3 millions de dollars par an en recherche et développement. 3 millions, c'est énorme. C'est la seule personne dans l'histoire de l'industrie du cinéma à investir autant. Pour faire quoi ? Pour créer un scan qui permette de mettre les images de la pellicule dans l'ordinateur et inversement, mettre l'image de l'ordinateur sur pellicule. Il aura fallu trois ans de recherche et développement. A partir de là, il a créé les dits droïdes sonores et visuels, c'est-à-dire des tables de montage virtuelles pour le son et pour la vidéo. Une fois qu'il a eu son outil, il a vendu le brevet à Avid. 

Eva Roque : Et ça, c'est un truc fou. C'est une entreprise folle. 

Patrice Girod : Aujourd'hui, si vous avez des IRM dans les hôpitaux, c'est grâce à Star Wars et cette recherche en développement qu'il a fait à l'époque. George n'est pas juste un cinéaste, c'est un visionnaire comme l'a été Walt Disney. C'est pour ça que j'étais ravi que Disney rachète Lucas parce que quelque part, c'est la même chose. Ce ne sont pas des gens qui s'arrêtent au cinéma. Ils ont changé tous les médiums pour arriver à leurs rêves et ce qu'ils avaient envie de faire. Et donc, la technologie est intimement liée à Star Wars et effectivement, il a fait les premiers jeux vidéo. Il y a une anecdote par rapport à internet d'ailleurs qui est racontée à Spielberg sur le tournage d'Indiana Jones et le temple maudit, dont en 83 en Thaïlande. Spielberg est en train de boire un Coca avec une paille. George lui dit : "Tu sais, un jour tout va passer dans le tuyau, tous les films vont passer là dedans." Spielsberg ne comprenait pas. Et Lucas lui parlait d'internet et les plateformes qui sont là aujourd'hui. C'était en 83. Lucas a tout de suite compris le numérique. Et d'ailleurs, ça a été son cheval de bataille jusqu'au tournage numérique, la projection numérique. Il restera dans l'histoire, je pense pour ça avec Star Wars. Et donc les jeux vidéo, c'est aussi une initiative à la base de George et d'ailleurs, c'est ce qui me fascinait chez le personnage à l'époque. 

Eva Roque : C'est une question un peu personnelle. Qu'est-ce que vous ressentez quand vous entendez ça ? 

Extrait du générique de Star Wars

Patrice Girod : Une fois de plus quand je vois le film à l'époque, je n'avais jamais entendu la musique. Je ne connaissais rien du tout. Je n'ai pas vu une image. Je suis rentré là-dedans et cette fanfare, on n'avait jamais entendu ça au cinéma. Williams faisait la musique du film d'Hitchcock, etc. Lucas voulait une musique à la Korngold, comme dans les années 1930. Tout d'un coup, il a ramené dans le cinéma hollywoodien ce grand divertissement, ce gros gâteau au chocolat. Et oui, cette musique est indissociable à Star Wars. Je me rappelle, quand j'ai organisé les conventions Star Wars au Grand Rex, on avait fait une rétrospective en 2007 pour les 30 ans de Star Wars. Premier film qu'on projette, les 3.000 fans ont commencé à chanter son générique de début. On n'en revenait pas. Et là aussi, je peux dire bravo à John Favreau, ils ont réussi à se retirer de John Williams. 

Eva Roque : La musique est incroyable... 

Patrice Girod : Comment réussir à s'éloigner de ça ? Ils ont pris un autre angle, complètement différent, pas du symphonique à l'ancienne. Ils ont essayé de créer un autre univers une fois de plus. On prend un risque, et on va regarder si ça fonctionne. Ils ont pris le risque et ça a fonctionné. Et quand vous prenez le risque et ça fonctionne, vous récoltez tous les lauriers. 

Eva Roque : Depuis le début de cet épisode, on sent votre passion. On sent votre analyse aussi. Vous avez une capacité aussi à avoir un regard critique. Mais alors, je vous imagine en train d'arriver sur le tournage de Star Wars, dont vous parliez au début de cet épisode, en nous disant que vous avez eu la chance de faire de la figuration, vous êtes retombé en enfance tout de suite quand on vous a proposé ça... 

Patrice Girod : Alors oui et non. A l'époque c'est une toute petite famille. J'étais leur seul média en France c'était hyper important, il n'y avait pas d'Internet, j'étais le représentant. Il y avait vraiment une famille, on était hyper soudé. Ce qui nous a vraiment désarçonnés, c'est quand moi, je suis arrivé sur le tournage, on m'a mis mon costume, je ressemblais à Jean Marais dans le Capitan. On arrive, on se retrouve dans des palais italiens de Renaissance. On s'est dit Mais ils sont où les Stormtrooper. Mais comme ça se passait 40 ans avant l'épisode 4, on ne s'attendait pas à cet univers. Mais je tiens à dire que j'ai eu une chance incroyable. Non seulement j'ai pu déjeuner à chaque fois avec George Lucas. Je lui dis : "Bravo". Il pourrait dire à ses assistants, à son producteur, ses attachés de presse : "Vous êtes gentils, vous vous occupez des fans, je n'ai pas que ça à faire." A chaque fois, il a pris le temps de déjeuner avec moi et mes représentants d'autres pays. Surtout, je suis allé deux fois en Angleterre pour les tournages. Je suis aussi allé en Australie pour les épisodes 2 et 3 au studio Fox. A chaque fois, je pouvais rester une semaine derrière George Lucas à le regarder travailler. Alors moi qui suis cinéphile et j'ai eu mes cours de cinéma. Je le voyais travailler avec son directeur photo, avec son assistant réalisateur. Et ça, ça a été un cadeau. Je l'ai vu au quotidien, on a même rigolé avec lui, ça a été une relation incroyable, une aventure incroyable pour moi. 

Eva Roque : Est-ce que vous avez gardé un objet de ce passage sur les plateaux de tournage de Star Wars ? 

Patrice Girod : On tournait la séquence finale de la planète Naboo dans l'épisode 1, où vous voyez toute la ville en liesse. Pendant quatre jours, on a même pris des coups de soleil et on nous a déplacé, on était 100 figurants. On nous a déplacé de mètres carré en mètre carré pour faire la foule complète. Il fallait tout le temps se déplacer, on faisait des petits schémas. À côté de nous, il y avait les enfants de Coppola, les enfants de Spielberg. Le père George, c'est un bon producteur ! Mais tout le monde était ravi. Un jour ils ont tourné la séquence où CryEngine décède et donc on brûle le Jedi. La robe de Qui-Gon Jinn est à moitié brûlée. Ils l'ont jeté derrière dans le gazon. On a tous récupéré un petit bout du tissu. C'est rien du tout, c'est du fétichisme. C'est un petit souvenir que je garde. 

Eva Roque : Si je vous ai posé la question, c'est parce qu'en parlant d'objets, vous signez un livre absolument magnifique avec Arnaud Grunberg aux éditions Hachette. Star Wars : objet du mythe, la saga révélée par ces objets cultes. Tout est dans le titre. C'est bourré de références. Il y a plein d'infos étonnantes. Moi, je suis rentré grâce à ce livre aussi dans l'univers de Star Wars. C'est vraiment formidable. Par exemple, au bout d'un moment, on voit la tête originale de Wioslea, c'est une sorte d'araignée assez incroyable.

Patrice Girod : C'est mon associé et ami grâce à Star Wars depuis 40 ans, Arnaud Grunberg, qui a fait cette collection. Il a sauvegardé plein de choses. Il a eu l'idée pour la première fois dans le cinéma, de faire un livre d'art. On a pris un grand photographe, Benjamin Taguemount, et on a fait cinq mois de shooting, pour que les objets soient bien photographiés, bien éclairés. 

Eva Roque : Vous avez raison parce que les têtes en question qu'on voit, les têtes de créatures, on a l'impression qu'elles sont sorties du Quai-Branly, mais avec des infos. Par exemple, j'apprends sur cette créature horrible : "Pour donner plus de vie à la créature un ballon recouvert de latex s'était introduit dans sa bouche et le figurant portant la tête, le gonflait et le dégonflait pour faire bouger cette langue difforme quand la créature s'exprime". ça ne devait pas être de tout repos de tourner dans Star Wars quand même... 

Patrice Girod : C'est en plus vraiment un personnage créé par George, il voulait un truc avec des yeux, comme ça, dans tous les sens. C'était le cas. Arnaud est un collectionneur, il a commencé à collectionner les jouets Star Wars comme beaucoup en 77. Et puis, un jour, on va ensemble à Londres. On arrive à avoir des billets pour l'avant première d'Indiana Jones, c'est-à-dire La Croisade. On a rencontré Lucas, les équipes et tout, on était tout content. Et le lendemain, on va dans un comic shop. On arrive au sous-sol et il y avait un off du film Aliens de Camerone. Il dit au gars du magasin : "C'est à vendre ?", il répond : "Oui c'est 100 livres". Il l'a acheté, il s'est dit qu'il pouvait collectionner les trucs de cinoche. Le week-end d'après il est retourné en Angleterre. Il est allé dans les grands studios. Il a demandé s'il y avait ce qu'on appelle les feuilles des techniciens. Vous avez tous les téléphones, et donc il a appelé les chefs déco, les maquilleurs. Et c'est comme ça qu'il a appelé Stuart Freeborn, le maquilleur de Star Wars. Il est allé chez lui, il l'emmène au fond du jardin dans un petit cabanon. Et là, ils voient tous les objets de la Cantina de Star Wars. Il allait les jeter. Il les a récupéré. 

Eva Roque : Il est comme vous, il a eu de l'audace et du culot. 

Patrice Girod : A l'époque on le prenait pour un débile ! Il achetait à l'époque le seul R2D2, qui n'est pas dans les collections de Lucasfilms, 10.000 francs. À l'époque, c'était le prix d'une voiture. Aujourd'hui, si on vend aux enchères il est à des millions de dollars, mais il l'a fait par passion. 

Eva Roque : Je comprends bien que vous ne soyez pas fétichiste au point de collectionner des objets. M'enfin, si vous deviez en acquérir un, ce serait lequel ? 

Patrice Girod : Il y a vraiment deux belles choses qui me fascinent, c'est qu'il a la peinture originale des frères Hildebrandt qui a servi à l'affiche du film en Angleterre et surtout le merchandising. Donc, c'est quand même une peinture iconique qu'on a eu la chance d'exposer lors d'une expo aux Arts déco dans un bâtiment du Louvre. Il a aussi la veste de Luc Skywalker, la veste jaune de la remise des médailles. Voilà ce sont des moments importants de cette saga. 

Eva Roque : Est-ce que vous voulez repartir avec l'autre livre que j'ai dans les mains, qui est le second livre que je vous conseille d'offrir à Noël pour tous les fans. Ça s'appelle : Tout l'art de Star Wars : The Mandalorian. En fait, c'est vraiment un livre absolument magnifique sur la série. 

Patrice Girod : Oui, parce que pour une série, il y a un travail de recherche incroyable. 

Eva Roque : Il y a tout sur les premiers croquis, notamment des bébé Yoda pour ceux qui sont fans. Vous allez découvrir tout cet univers là et je pense que c'est aussi une entrée parfaite dans The Mandalorian et dans Star Wars.

Patrice Girod : En fait, ça peut donner l'envie à de futurs artistes de dessiner. Vous avez remarqué qu'à la fin de The Mandalorian, le générique de fin est avec les designs de pré-production de la série. 

Eva Roque : Alors, j'ai juste une dernière question là dessus. Parce que moi qui aime beaucoup la bande dessinée, pour le coup, j'ai cru voir, notamment dans les images des vaisseaux dans la série, des images qui auraient pu être dans des bandes dessinées d'Enki Bilal. Est-ce que ça vous a frappé aussi ou pas du tout ?

Patrice Girod : Lucas a pioché dans tous les univers qu'il a lui même nourri. Donc, effectivement, on retrouve même du Valérian de Mézières dans Star Wars. Mais on peut trouver du Flash Gordon. Oui, il lisait Métal hurlant Lucas donc il y avait du Moebius et du Bilal et du Kaza, et du Druillet avec les Stormtrooper. Il faut savoir que tous les gens qui ont travaillé après sur les BD Star Wars, ont pioché partout. D'ailleurs, Jo Johnson, qui était le concept designer des trois premiers Star Wars avec McQuarrie, m'a dit : "La première fois que j'ai vu George arriver chez ILM, il a fait des tirages A3, des pages de Métal hurlant et il les a punaisé partout." Parce qu'effectivement, Moebius, Druillet, Dionnet,qui ont créé Métal hurlant, ont créé un mouvement qui, pour moi, est le départ de la pop culture. 

"SERIELAND" est un podcast Europe 1 studio

Autrice et présentation : Eva Roque
Réalisation : Christophe Pierrot
Cheffe de projet édito : Adèle Ponticelli
Diffusion et édition : Clémence Olivier, Magali Butault et Tristan Barraux
Graphisme : Karelle Villais
Direction d'Europe 1 Studio : Olivier Lendresse