SERIELAND ENTRETIEN - La série culte "Fais pas ci, fais pas ça" est de retour ce vendredi sur France 2 pour un épisode spécial baptisé "Y aura-t-il Noël à Noël ?". A cette occasion, Eva Roque reçoit le comédien Guillaume de Tonquédec. Dans cette première partie, il revient sur son rôle, celui de Renaud Lepic, père de la famille catho tradi et livre des anecdotes sur la comédie familiale.
"A taaaable", hurle Fabienne Lepic interprétée par Valérie Bonneton, à la fin du générique de chaque épisode de Fais pas ci, fais pas ça. Pendant dix ans, cette série a narré sur France 2 les aventures de deux familles voisines, les Lepic, tendance catho tradi et les Bouley, plutôt bobo de gauche. Le 18 décembre, elle revient le temps d'un épisode spécial, un cadeau de Noël avant l'heure.
A cette occasion, Eva Roque reçoit le comédien Guillaume de Tonquédec. Cet habitué des planches est devenu populaire avec Fais pas ci, fais pas ça. Depuis, il a d'ailleurs été auréolé du César du meilleur acteur dans un second rôle en 2017 grâce à son personnage dans le film Le Prénom.
Dans SERIELAND, le podcast d'Europe 1 Studio par celles et ceux qui aiment les séries et les font, Eva Roque lui accorde un grand entretien. Comment a-t-il découvert le scénario ? Quelle relation garde-t-il avec les autres comédiens ? Pourquoi avoir fait un épisode de Noël ? Dans cette première partie, Guillaume de Tonquédec nous dévoile les coulisses de la série culte.
(Transcription)
Eva Roque : Bonjour Guillaume de Tonquédec !
Guillaume de Tonquédec : Bonjour !
Générique Fais pas ci fais pas ça
Eva Roque : Quel bonheur de vous recevoir. Vous êtes de retour sur nos écrans pour un épisode spécial Noël de Fais pas ci fais pas ça intitulé « Un Noël sans Noël ». Qu’est-ce que vous ressentez quand vous entendez le générique de cette série ?
Guillaume de Tonquédec : On vit avec depuis des années avec. Honnêtement, quand je le regarde, je deviens spectateur. En plus, le générique se conclut par ce fameux "A table !" historique de Valérie Bonneton. Ce qui est drôle est que le fameux "A table !" qui est dans la première saison, c'est que je revendique d'avoir dit à Guillaume Renouil, le producteur : "Tu devrais mettre ce 'A table' en fin de générique parce que c'est tellement drôle que ça devrait marcher". En effet, on a beau le réécouter, à chaque fois j'éclate de rire alors que je l'ai vu plein de fois.
Eva Roque : Est-ce que vous l'entendiez chez vous ce "à table" ?
Guillaume de Tonquédec : En fait, oui, parce que c'est universel. Vous l'avez rappelé, c'est Anne Giafferi qui a créé la série à l'écriture. Pour moi, c'est une très grande auteure, c'est-à dire qu'elle réussit à insuffler de la vie dans son écriture, sans qu'on sache très bien d'où ça vient. Justement, rien n'est caricatural parce que c'est le reflet de la vie. L'une des forces de Fais pas ci, fais pas ça, c'est l'écriture de Anne au départ. Ce fameux "À table", c'est universel. C'est pour ça qu'on éclate de rire parce que ça nous rappelle forcément des souvenirs, soit d'avoir crié nous-mêmes "à table" quand on est devenu parents, soit évidemment d'avoir entendu "à table" quand on était enfant.
Eva Roque : On va y revenir parce qu'on découvre un petit truc quand même dans cet épisode de Noël à propos de ce "à table". Cet épisode spécial débute avec une scène au cours de laquelle Valérie Bonneton, votre femme (Fabienne dans la série), participe à un jeu radiophonique et gagne. Elle va gagner un voyage très loin pour rencontrer sa chanteuse préférée. Un périple qui est prévu au moment de Noël. Nous sommes à la cinquième minute et 48 secondes, vous entrez dans la maison située à Sèvres.
Extrait épisode de Noël Fais pas ci fais pas ça
Le décor est posé. Est-ce qu'il s'agit de la première scène que vous avez tournée pour cet épisode spécial ?
Guillaume de Tonquédec : Ce n'est pas la première scène. C'est une scène que je ne peux pas trop spoiler parce que c'est une scène où on me voit dans un drôle d'état déguisé en homme, un animal un peu visqueux. Par contre, c'est la première scène qu'on a tournée en arrivant dans la Maison Lepic. C'est cette scène d'ouverture. Ce qui est formidable dans l'écriture de la part de Michel Leclerc, c'est qu'il a, en quelques phrases, remis tout l'ADN de la série. Et les rapports de couples sont immédiatement identifiables que ce soit chez les Lepic ou chez les Bouley.
Eva Roque : Qu'est-ce que vous avez ressenti quand vous êtes entré de nouveau dans cette maison de Sèvres ?
Guillaume de Tonquédec : Alors, je vais être très honnête. Nous, on tournait tous les ans, donc c'était un rendez-vous annuel. Pendant neuf saisons sur dix années, comme vous l'avez rappelé, c'était donc une forme d'habitude. Si j'ose dire, quand on se regarde tous les jours dans son miroir, on ne se voit pas vieillir. Je vais être un peu dur avec moi-même. Il y a eu trois années d'interruption, donc quand je suis rentré, je me suis vu dans le miroir et surtout j'ai vu les photos de la création de la série faite par Pascal Chaumeil en 2007. J'ai vu que maintenant, on n'avait pas besoin de me maquiller les cheveux pour les faire paraître plus blancs pour se projeter dans l'avenir. Non, j'ai maintenant quelques cheveux blancs et de plus en plus et j'ai mesuré pour une fois, les années qui passent. Donc, honnêtement, j'ai eu un petit coup de blues. Je pense que l'une des autres clés du succès, c'est que notre public grandi ou vieilli ou mûri avec nous. En fait, on accompagne les gens et les gens nous accompagnent. C'est pour ça que les témoignages du public sont tellement soit enthousiastes et drôles, soit des fois très bouleversants.
Eva Roque : Oui, parce qu'en plus, vous n'avez pas changé de comédiens. Tous les rôles ont été tenus par les mêmes comédiens, même enfants sauf deux, jusqu'au bout, jusqu'à cet épisode de Noël. Vous parliez de ces photos de famille qui sont dans cette maison. Ce sont des photos de famille que vous avez faites au fur et à mesure de la série. Donc, quand vous rentrez dans cette maison, en fait, vous avez l'impression d'être avec une autre famille, celle que vous avez formée pour cette série.
Guillaume de Tonquédec : Oui, on ressent quelque chose. Il y a une amitié. Et puis, c'est vrai aussi que nos enfants de fictions, on prend toujours des leurs nouvelles, on se voit. Moi, quand je joue au théâtre, je les invite. Quand Valérie joue, elle les invite. Si un des enfants tourne dans un film, il nous invite. Yaniss Lespert s'occupe d'une association pour aider les enfants à l'hôpital. Je suis intervenu plusieurs fois dedans. On a un vrai souci de savoir ce qu'ils deviennent et de les épauler, même dans leurs moments privés que je ne raconterai pas à l'antenne. On est vraiment très présents les uns pour les autres.
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Eva Roque : Quand vous vous êtes retrouvés pour cet épisode spécial, vous avez eu ces conversations qu'on a dans la famille quand on retrouve les enfants : "Qu'est-ce que tu as grandi, qu'est-ce que tu deviens ... " C'est ce genre de conversations que vous avez ?
Guillaume de Tonquédec : Oui, mais pour être très honnête, on les avait en coulisses avant parce qu'on ne les a jamais vraiment quittés. Celui que j'avais le moins revu, c'était Timothée Kempen-Hamel qui joue Lucas et lui pour le coup j'ai vu qu'il avait vraiment grandi. Il a beaucoup changé.
Eva Roque : Oui, c'est un des rares qu'on n'arrive quasiment pas à reconnaître tellement il a changé.
Guillaume de Tonquédec : Oui, parce que quand il a commencé, il ne parlait pas. Il était bébé. Je me souviens qu'on devait tourner une scène qui est devenue une scène que j'adore, dans la forêt dans la saison 1, épisode 4. Cet enfant justement fait dans sa couche et Fabienne se débarrasse de la couche en la lançant dans la nature, elle dit : "Ce n'est pas très grave, la nature absorbera cette couche." Sauf que ça a atterri sur le pare-brise d'un homme assez balèze qui vient nous casser la figure. C'est une scène d'anthologie pour moi. On devait tourner cette scène là le premier jour et le fameux Timothée était malade et donc on n'a pas pu tourner cette scène tout de suite. On a tourné que quinze jours plus tard, mais ça nous a plutôt aidés parce qu'en fait, on était un peu timide, ce fameux premier jour de tournage, comme toujours. Et les quinze jours qui ont suivi ont permis de créer cette famille. Donc la scène, quand on l'a enfin tournée, on est déjà plein d'empathie les uns pour les autres, d'amitié, d'admiration aussi pour les comédiens que j'avais autour de moi, donc ça s'est beaucoup mieux passé que si on avait tourné le premier jour.
Eva Roque : Alors je vais vous poser une question, mais j'ai l'impression que je connais déjà la réponse. Vous avez dit oui tout de suite à cet épisode spécial de Noël ?
Guillaume de Tonquédec : Oui, bien sûr. France 2 et le producteur ont dit à juste titre que Fais pas ci, fais pas ça ce sont les rapports parents / enfants. Les parents sont toujours là, mais les enfants grandissant et quittant le nid, devenant de jeunes adultes, on était en train de perdre le fil. La série n'avait pratiquement plus de raison d'être. Donc, ils ont décidé d'arrêter. Et c'est vrai que l'une des premières choses qu'on s'est dite, c'est : "Comment et sous quelle forme on pourrait se retrouver ?" Un film ? Moi, j'ai évoqué pourquoi pas une pièce de théâtre. C'est très compliqué, parce qu'il faudrait se réunir tous pendant très longtemps. Ou alors, pourquoi pas un épisode spécial ? Mais on s'est bien dit tous, avec le producteur Guillaume Renouil, qu'on ne le ferait pas si ce n'était pas indispensable. S'il n'y avait pas un auteur qui avait quelque chose à raconter, on ne l'aurait pas fait. On ne voulait pas décevoir le public.
Eva Roque : Vous ne décevrez pas. Ça, j'en suis certaine parce qu'il y a vraiment de l'à propos et on va l'illustrer avec quelques extraits qui vont suivre. Mais avant de revenir sur cet épisode jubilatoire. Petit retour en arrière, quand même. Guillaume de Tonquédec pour SERIELAND. Rappelez vous, c'était le 8 septembre 2007.
Extrait Fais pas ci fais pas ça Saison 1 épisode 1
Je n'avais pas remarqué à quel point votre voix s'est un peu transformée, vous êtes plus dans les graves qu'en 2007. Est-ce que vous l'avez entendu ou pas ?
Guillaume de Tonquédec : Oui, j'entends. C'est peut-être parce que je suis un peu enroué ou très ému de parler de cette série avec vous. A chaque fois ça me bouleverse de parler de cette série, parce que je l'adore. Il y a tellement de choses attachées à cette série et aux gens qui la font que c'est toujours particulier.
Eva Roque : Est-ce que vous vous souvenez du jour où vous avez découvert le scénario ?
Guillaume de Tonquédec : Très bien. On était en tournée avec Isabelle Gélinas dans une pièce qui s'appelle Le Jardin écrite par Brigitte Buc. On a reçu la proposition en même temps. Pascal Chaumeil, était venu voir la pièce grâce à Cécile Rebbouah, qui joue Corinne dans la série. Cécile avait tourné avec Pascal dans Avocats et associés. Elle l'avait invité à venir. Il est venu. Il avait déjà l'idée d'Isabelle pour l'un des personnages. Et là, il m'a découvert comme comédien. Et du coup, il m'a proposé de venir à un rendez-vous. Il a toujours dit : "Tu as eu le rôle parce que t'es arrivé bien coiffé." Ce n'est pas totalement faux. Comme aujourd'hui, d'ailleurs j'ai toujours une petite mallette et tout, c'était totalement le personnage. Il n'y avait rien à jouer en fait, je suis un acteur flemmard. Il suffit de me mettre devant, je dis les mots, et puis c'est bon. Donc on a reçu cette proposition ensemble parce que Pascal nous avait vu au théâtre. Je me souviens, on était dans un hôtel à Monaco, et on s'apprêtait à jouer le soir cette pièce. Isabelle a lu avant moi et elle m'a appelé dans ma chambre d'hôtel. Elle m'a dit : "T'as lu ce que j'ai lu ou pas ?" Je lui ai dit : "Non. Je viens d'arriver." Moi, je sortais du déjeuner, donc je l'ai lu et on a eu un coup de foudre immédiat pour l'écriture, parce que la vie est incluse dans l'écriture, ce qui est rarissime à réussir.
Eva Roque : A aucun moment, vous n'avez craint le côté caricatural qu'on pourrait avoir si on pitchait aussi facilement l'histoire de deux familles, une catho tradi, face à des bobos de gauche...
Guillaume de Tonquédec : Non parce que, encore une fois, dans l'écriture, c'est tellement fort et c'est tellement la vie. Dès qu'on a lu les premières scènes et les premières répliques, on était sûr que c'était bien. Par contre, on ne pouvait pas savoir que ça deviendrait le succès que c'est devenu. Personne ne pouvait le deviner. Par contre, on était sûr que c'était très bien écrit et qu'on voulait absolument le faire. Pour vous raconter une anecdote, à un moment mon personnage se retrouve en pyjama. Le soir, il va se coucher. Sa femme l'ennuie parce qu'il faut recouvrir les livres scolaires. Ça tombe vraiment pas bien à ce moment-là. Il s'énerve énormément sur le papier transparent. Je me souviens que Pascal attendait dans la pièce qu'on fasse cette scène pour le casting. Très vite fait je me suis changé, je me suis mis en pyjama réellement pour des essais, ce qu'on ne fait jamais en général. Je suis rentré en pyjama et j'ai joué la scène tout à fait normalement tellement j'avais envie de le convaincre de faire cette série.
Eva Roque : Est-ce que dans le scénario que vous recevez, vous vous appelez déjà Renaud Lepic ?
Guillaume de Tonquédec : Oui !
Eva Roque : Vous avez déjà quatre enfants ?
Guillaume de Tonquédec : Oui !
Eva Roque : Et c'était sûr que c'était pour vous Renaud Lepic ?
Guillaume de Tonquédec : Absolument.
Eva Roque : Votre femme devait être Isabelle Gélinas au départ ?
Guillaume de Tonquédec : Isabelle a passé les essais avec moi, donc on a répété les textes en tournée tous les deux. Et on s'est pointé en sortant de Monaco. On est arrivé et on est allé directement au casting tous les deux. Et puis après, c'est Anne Giafferi qui a dit qu'elle aimerait échanger les femmes puisque Valérie Bonneton a passé pour faire Mme Bouley. Elle adorait le personnage d'ailleurs, et Isabelle adorait le personnage de Fabienne. Mais Anne a dit : "J'avoue qu'il y a une comédienne à qui j'ai pensé en écrivant c'est Valérie Bonneton pour le personnage de Fabienne. J'aimerais l'entendre dans Fabienne." Et c'est devenu le couple qu'on forme. Mais avec Bruno, Isabelle et Valérie, on a eu vraiment très peur parce que on a adorait vraiment ce concept. C'est rare que ça vous arrive dans la vie, vous vous dites : "Mais il faut que je le fasse. Je veux le faire." On a tous des propositions de travail, etc. Mais tout d'un coup, on se dit que c'est extraordinaire, il faut le faire. Donc, quand ils ont proposé d'intervertir nos femmes, si j'ose dire, on était tous très inquiets. On s'est dit que ça remet tout en question et en fait, pas du tout. Mais on l'a su après.
Eva Roque : Oui, parce que quand vous dites que vous voulez le faire, vous auriez pu ne pas le faire parce que vous travaillez. Vous êtes comédiens de théâtre, vous avez beaucoup de travail ce n'était pas indispensable à votre vie d'arriver dans une série.
Guillaume de Tonquédec : Je me souviens avoir travaillé avec Pierre Mondy, que j'aimais beaucoup, et Pierre me disait : "Un jour il y aura une occasion, il ne faudra pas la laisser passer. Tu verras dans ton parcours de comédien, il faut avoir la santé, de l'audace et de la mémoire." C'était son prof qui lui avait appris cette petite dicton. Je n'ai jamais oublié cette phrase et je me suis dis : "Tiens, c'est peut-être le moment d'avoir de l'audace, c'est-à-dire qu'il faut tout faire pour réussir ce casting. Il faut que je le fasse. J'ai vraiment envie." Surtout qu'il faut replacer les choses dans leur contexte. Moi, je viens, comme vous l'avez dit, du théâtre et au théâtre, c'est mécanique, vous n'êtes connu que par très peu de gens. Vous pouvez faire des très belles carrières au théâtre, ce qui était mon cas et le cas de Valérie aussi et ne rencontrez pas forcément la popularité. Isabelle et Bruno étaient plus connus que nous à l'époque. Et tout d'un coup, on est devenu populaire grâce à la série. Des fois, les gens me disent : "Mais vous n'en avez pas marre qu'on vous appelle Renaud dans la vie ou que les gens vous parlent souvent de cette série ?" Je leur dis que j'espère qu'on en parlera même quand je vais mourir, qu'on parlera de ce personnage parce que je lui dois ma popularité et que ce n'est pas un vain mot ni un gros mot. C'est une chose extraordinaire, un coup de baguette magique quand ça arrive dans la vie d'un comédien ou d'une comédienne.
Eva Roque : A quel moment vous comprenez que cette aventure va durer plus d'une seule saison et que ça va être une bonne partie de votre vie ?
Guillaume de Tonquédec : Alors, il faut rappeler que la première saison, c'était des épisodes de 40 minutes le samedi après-midi à 19 heures. France 2 avait un jeu à l'époque. Ils ont dit : "On va faire de la fiction à l'heure où personne n'en fait, on veut essayer d'occuper cette case et d'augmenter nos points d'audience." Ils devaient être à peu près entre 9 et 12 points d'audience. Je vous parle de choses très techniques. Quand ils ont mis cette série, on est tombé à 7 point. On a fait un très mauvais score public. Par contre, sur le public qui avait vu, il y avait des gens très satisfaits, et les critiques étaient excellentes tout de suite. Mais logiquement, on aurait dû disparaître si on était resté sur ces histoires de points d'audimat. On faisait moins bien que le jeu. Il faut comprendre pourquoi, le samedi soir à 19 heures, en général, on regarde des choses où on peut préparer son repas ou ses bouteilles de vin parce qu'on va recevoir des copains, soit se préparer à sortir, soit regarder le film qu'on va aller voir ou le théâtre où on va. On ne regarde pas une série à 19h.
Eva Roque : On appelle ça la télé debout, c'est-à-dire que vous pouvez rester debout et changer de place.
Guillaume de Tonquédec : Totalement. Il faut s'asseoir et suivre pour une série. Hommage à France 2 parce qu'ils y ont cru, mais en plus, ils ont dit : "On vous passe en prime time, c'est-à-dire à 20h50, et vous allez faire une saison entière de 8 épisodes." Et quand la saison entière de 8 épisodes, donc la seconde écrite à nouveau par Anne Giafferi, a très bien marché et s'est mise à marcher de mieux en mieux, on s'est dit : "Là, il y a peut être quelque chose". Quant à la troisième saison, Anne avait arrêté et de nouveaux auteurs sont arrivés. Ça n'a pas été facile de retrouver comme ça cet ADN de la série. Mais ça a continué à marcher donc on s'est dit qu'il se passe vraiment quelque chose. Mais il faut savoir aussi pour reparler de contrat, d'argent et de choses comme ça, on n'avait pas des contrats de récurrence. Le mot est affreux, c'est à dire qu'on n'était pas du tout obligé de revenir. De même que la production n'était pas du tout obligée de nous reprendre.
Eva Roque : Ils auraient donc pu changer le scénario, etc.
Guillaume de Tonquédec : Voilà ou Renaud Lepic, on le verrait plus joué par tel autre comédien. Donc, au revoir, monsieur. C'était tout à fait possible.
Eva Roque : Est-ce que ça a été évoqué une seule fois ?
Guillaume de Tonquédec : Jamais parce qu'il se trouve que les quatre comédiens ont suffisamment marqué les rôles et le public. De toute façon on aurait fait bloc nous quatre. Si il y en a un ou une que vous virez, on part tous. Pour être très honnête quand Anne Giafferi encore une fois, merveilleuse auteure, est partie, ils ont eu beaucoup de mal à trouver des auteurs à la hauteur. On avait eu des choses un peu caricaturales proposées, etc. On avait dit : "On ne le fait pas." On préfère ne pas le faire que de trahir le souvenir de ces deux premières saisons. Il y a un moment où tout était arrêté. Et puis des auteurs, notamment Chloé Marçais, sont arrivés et ont réussi à retrouver un peu la patte d'Anne tout en marquant avec leur personnalité. C'est comme ça que ça a pu redémarrer. Donc, il y a des histoires de famille à l'intérieur de la famille.
Eva Roque : Est-ce que c'est à ce moment là que vous intervenez de façon un peu plus régulière dans le scénario ? Parce que je sais que vous avez travaillé avec les scénaristes au fur et à mesure de la série.
Guillaume de Tonquédec : Les choses se sont faites comme ça. Anne et Pascal Chaumeil, qui a réalisé les premiers épisodes et rassemblé l'ensemble du casting avec l'accord et à la demande de la production, Guillaume Renouil et Thierry Bizot, on a toujours fait des séances de lecture assez poussées sur les deux premières saisons. On a gardé le même principe sur toutes les saisons. Ce qui fait que quand on arrive sur le plateau, on sait exactement ce qu'on va jouer, même s'il y a encore des modifications jusqu'au dernier moment. Mais c'est vrai que autant chez Anne il n'y a eu quasiment aucune modification tellement c'était fluide, intelligent, sensible, pas caricatural. Autant après, ça a été difficile de retrouver ce qu'on appelle la Bible, c'est-à-dire l'état d'esprit, la description des personnages et l'objet de la série. Et là c'est vrai qu'on a beaucoup mis la main à la pâte notamment Valérie et moi, on a adoré écrire, proposer des situations, des dialogues sur les arches qui étaient déjà proposées par les auteurs. On est pas mal intervenu. Ce qui n'était pas toujours facile d'ailleurs, mais c'était en accord avec les auteurs et la production. C'était un moment de friction très honnêtement compliqué. Mais moi, j'en parle d'autant plus volontiers que ce n'est pas un secret, que Guillaume Renouil, le producteur, en parle aussi. Si on a passé toutes ces épreuves, ça donne la qualité de cette série sur les années. C'est une immense chance de ne pas avoir été récurrent du point de vue contractuel parce qu'on était tous libres. Autant de se faire virer et autant de dire : "Ben nous, on part", si on n'est pas satisfait. Mais évidemment, on n'avait qu'une envie, c'était de le faire et on l'a fait.
Eva Roque : Cet épisode spécial met en scène ce moment de Noël. Vous aviez déjà vécu des Noël dans les saisons précédentes, notamment dans la saison 3. Vous étiez alors dans votre entreprise, les robinets Binet. Et ce n'était pas franchement l'éclate...
Extrait Fais pas ci, fais pas ça Saison 3
Vous vous souvenez de cette scène ?
Guillaume de Tonquédec : Très bien, parce que c'est tellement drôle quand on lit ça, c'est un tel cadeau de la vie franchement, d'avoir des scènes comme ça à jouer. On lit ça, on jubile d'avance et au contraire, on a un petit trac parce qu'on se dit qu'il ne faut pas la louper. Il y a des scènes, ce sont des rendez-vous, il ne faut pas les rater. Quelle chance !
Eva Roque : Tout est dans la voix. Si vous vous sonnez un tout petit peu plus faux, ça tombe par terre. Le comique ne fonctionne plus du tout.
Guillaume de Tonquédec : Quand on lit, ce qui est dit est très beau et très positif. Mais c'est lui qui traverse un moment de sa vie très compliqué et est complètement miné. Il dit des mots très touchants et pleins de joie, mais avec des larmes dans les yeux. C'est merveilleux à faire.
Eva Roque : Vous avez souvent raconté que Anne Giafferi, la créatrice de la série avec Thierry Bizot, avait mis beaucoup de son propre père dans ce personnage et que ça vous donnez une responsabilité à l'interpréter...
Guillaume de Tonquédec : Anne, me l'a avoué très tard. On avait quasiment fini la deuxième saison, c'est-à-dire qu'elle avait quasiment fini son travail de scénariste sur la série. Un jour, elle me l'a dit par hasard dans un moment un peu privé. Je me suis permis de raconter ça j'espère qu'elle ne m'en voudra pas, mais elle m'a dit : "Tu sais, en fait, j'ai mis beaucoup de mon père dans ce personnage." Ça m'a beaucoup bouleversé. J'ai compris pourquoi c'était si juste son écriture et pourquoi aussi elle allait arrêter parce qu'elle m'a dit : "Je suis rincée, vidée. Ces deux saisons, ce sont deux années de ma vie H24 et je suis essorée é". Je n'ai plus l'envie, je n'ai plus d'idées. Ce n'était pas un problème d'argent puisque son mari est le producteur Thierry Bizot. Le problème ne se situait pas du tout là. C'est juste qu'elle avait épuisé toute son humanité pour ses personnages et c'était très bouleversant. Et c'est pour ça que c'était si bien à l'écriture. D'ailleurs, on parlait de modifications. La seule chose que j'ai demandé c'est : "Est-ce que ces personnages-là, dans l'intimité, ne pourraient pas avoir un petit surnom ?". Elle m'a donné une réponse extrêmement précise, elle m'a dit "Tu l'appelleras 'Bijou'". Ce qui est merveilleux. "Mais uniquement dans les moments où tu es très émue". J'ai trouvé cette réponse absolument géniale. C'est-à-dire qu'il ne l'appelle pas "bijou" à tour de bras. C'est quand il a besoin de lui expliquer quelque chose un peu difficile. C'était très beau de donner un surnom et que ce soit, soit l'un, soit l'autre. Et que ce soit dans des moments d'émotion je trouve que c'est extraordinaire pour la direction d'acteur. Et donc, même quand Anne est partie, j'ai bien veillé à ce que ce "bijou" ne soit pas utilisé à toutes les sauces et soit mis que dans ces moments d'émotion.
Eva Roque : Mais je suis extrêmement surprise par la précision de ce que vous racontez, à quel point Anne Giafferi avait travaillé je dirais la musique, en fait. On a l'impression que c'est une partition ce que vous êtes en train de nous raconter. Chaque mot doit être au bon endroit. Et c'est la force de la comédie généralement, mais il faut savoir le faire.
Guillaume de Tonquédec : Partition, c'est exactement ça. On a vu dans l'écriture de Anne que si on déplaçait par exemple un adjectif, si on le mettait à un autre endroit que celui prévu par l'écriture, c'était moins bien. Ou si on rajoutait un ou deux mots ou des petites béquilles, où on rajoute quelques mots avant de commencer à parler, et de se lancer dans la phrase c'était moins bien. Ca prouve bien que l'écriture était très précise, très pensée, très travaillée et qu'il suffisait de suivre la ligne et que si on réussissait, on serait juste et ce serait drôle et émouvant.
Eva Roque : Donc ça veut dire pas d'improvisation.
Guillaume de Tonquédec : Il y en a peu sur la première saison, un petit peu, mais pas beaucoup, parce que c'était très précis on s'était entendu, surtout pendant ces lectures. Et il y en a eu un peu plus dans les saisons suivantes. Mais tout était quand même très travaillé en amont avec les auteurs.
Eva Roque : On parlait des mots magiques, le mot "bijou". Et puis, il y a le mot "fouzitou". Ce plat que fait Fabienne votre femme dans la série, c'est une sorte de plat où on met un peu tous les restes de la semaine. Ça aussi, c'est Anne Giafferi ?
Guillaume de Tonquédec : Oui, c'est Anne. Est-ce que c'est un truc de famille, je ne sais pas. Mais c'est tellement malin dans l'invention même. Parce que ça raconte tellement de choses sur le personnage de Fabienne d'avoir inventé ce mot, le "fourzitou". Il y a une autre scène aussi qui est à hurler de rire, qui est extrêmement simple. C'est qu'à un moment, elle en a marre de faire tout le temps la cuisine, qu'on la prenne pour la boniche, à commencer par son mari, et les enfants à suivre. Un moment, ils sont à table. C'est un peu tendu et le mari dit : "Il y a un gâteau pour le dessert ?" elle est excédée, elle dit :"Tu en as fait un ?". Je lui dis que non. Elle répond : "Ben, il n'y en a pas." Sous entendu : "Retroussez vos manches et aidez-moi un peu ou dîtes-moi au moins merci." C'est tellement juste...
Eva Roque : En quoi il vous ressemble Renaud Lepic ?
Guillaume de Tonquédec : Je pense que moi, j'ai apporté mes valises aussi. C'est-à-dire que le personnage m'a tellement touché. Je le connais tellement, ce personnage, j'en ai tellement autour de moi dans ma famille, dans mes amis de l'Ouest parisien, Versailles etc. J'adore les Versaillais, attention, pas de méprise, mais justement c'est un peu mon fond de commerce. Et c'était tellement juste. Je rajouterais le mot bienveillant. Parce que il peut y avoir des moments excessifs et un peu d'inquiétude, etc. Mais c'est toujours bienveillant et c'est toujours dans le but que ça aille bien parce que tout simplement, les deux parents s'aiment et surtout, ils sont fous amoureux de leurs enfants. Les enfants ont beau leur faire traverser les pires choses, notamment remettre en cause leurs principes, ce qui est un moteur de comédie extraordinaire, surtout chez les Lepic, bien sûr. Quand il y a de l'amour on peut remiser un peu ces principes et essayer d'écouter le monde autour de soi, à commencer par ses enfants. Par exemple, c'était très malin que les Lepic, qui ont certainement défilé contre le mariage pour tous, se retrouvent avec une fille qui leur dise : "Papa, maman, je suis amoureux de Sylvie". Donc d'une fille, elle est homosexuelle. D'autant plus que, Valérie Bonneton, Fabienne, était élue à la mairie, donc elle peut se retrouver en position de marier sa propre fille, un couple homosexuel. Or, ils ont pris des décisions contre ça. Et quand ça arrive dans votre chair, avec vos enfants. Qu'est-ce que vous faites de vos principes ? Excellente question.
"SERIELAND" est un podcast Europe 1 studio
Autrice et présentation : Eva Roque
Réalisation : Christophe Pierrot
Cheffe de projet édito : Adèle Ponticelli
Diffusion et édition : Clémence Olivier, Magali Butault, Tristan Barraux et Salomé Journo
Graphisme : Karelle Villais
Direction d'Europe 1 Studio : Olivier Lendresse