Chaque jour, Didier François traite d’un sujet international.
Didier François remplace Vincent Hervouet ce vendredi 23 mars 2018.
C’est une mise en garde sévère et plutôt inhabituelle lancée hier soir par le Conseil européen qui "condamne fermement les actions illégales de la Turquie" et "lui rappelle son obligation de respecter le droit international et les bonnes relations de voisinage".
Mais parce qu’il y a une véritable inquiétude des Européens qui sont sidérés par cette dérive de la Turquie qui a commencé il y a presque deux ans, suite au coup d’état raté de juillet 2016, et qui depuis n’a fait que s’aggraver dans tous les domaines. Répression massive contre l’opposition intérieure. On est sur des chiffres absolument ahurissants avec quelques 50.000 arrestations et plus de 150.000 personnes limogées de leur travail dans la fonction publique comme dans le privé. Interventions militaires dans toute la région, on l’a vu cette semaine en Syrie à Afrin où l’armée turque, qui est quand même membre de l’Otan, a aidé des milices islamistes à écraser les Kurdes qui sont nos alliés dans la lutte contre les terroristes de Daesh. Mais une deuxième opération vient juste d’être lancée sur la frontière irakienne cette fois, toujours contre les Kurdes, qui sont une des obsessions du président Erdogan. Et comme rien ni personne ne semble pouvoir ou vouloir l’arrêter. Il a également montré ses muscles en Méditerranée, au large de l’île de Chypre, que la Turquie occupe pour moitié depuis 1974 et où la marine turque a très récemment rudement arraisonné un navire grec mais également un bâtiment italien ce qui est plus nouveau et donc inquiétant.
Comment s’explique cette crispation et cet activisme tous azimuts de la Turquie ?
L’une des clés de lecture c’est que pour générer du soutien, de l’adhésion dans la population après une purge monumentale et pas seulement chez les militaires, 42.000 enseignants ont été limogés dans l’Éducation nationale comme dans le secteur privé, alors qu’on se demande franchement comment des professeurs auraient pu participer à un coup d’État. 3.500 juges et procureurs placés en garde à vue et sans vouloir faire de corporatisme, 700 journalistes sous procédure judiciaire. Voilà donc, pour remobiliser son opinion publique, le président Erdogan a radicalisé son discours qui est passé d’islamo-conservateur à islamo-nationaliste avec une référence permanente à la grandeur de l’Empire ottoman et des opérations militaires très symboliques qui visent à attiser la ferveur populaire.
Ce qui peut mener à quelques dérapages ?
On en a eu un cette semaine, au moment de la prise d’Afrin, quand un gouverneur d’une province importante a brandit lors d’un discours, un sabre à double pointe en appelant l’armée turque à poursuivre son offensive jusqu’à Mossoul et à Jérusalem. Ce qui renvoyait à un discours du président lui-même, quelques jours plus tôt, où il exhortait une petite fille en uniforme et en pleurs à mourir en martyr. C’est quand même une étrange version de l’école des fans.
Face à de telles provocations, pourquoi les Européens ne réagissent-ils pas plus fermement ?
Mais parce que le président Erdogan dispose d’une arme de dissuasion politique très puissante qu’il a déjà utilisé en 2016 et qui consiste à relâcher le contrôle de ses frontières pour laisser passer les réfugiés syriens en direction de l’Europe. L’Union européenne lui a déjà versé trois milliards d'euros en 2016 et 2017 pour qu’il garde bien fermé ce robinet de migration. Elle doit renouveler cette aide pour 2018 et 2019, la réunion doit avoir lieu la semaine prochaine en Bulgarie. Avec sa déclaration de ce jeudi, l’Europe essaye de ne pas trop lui donner un chèque en blanc mais elle reste en fait totalement paralysée.