Son visage s’affichait depuis mercredi dans tous les médias. Chérif Kouachi, alias "Abou Issen", est soupçonné d’être, avec son frère Saïd, l’un des auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo. Agé de 32 ans, Chérif Kouachi n’était pas inconnu des services de police et s’est même retrouvé à deux reprises devant la justice pour son engagement salafiste. Mais le profil de cet homme a longtemps intrigué : ce jeune à l’adolescence difficile a longtemps été considéré comme un pied nickelé du djihadisme. Mais celui qui fut longtemps qualifié d’amateur était plus probablement une véritable bombe à retardement, programmé pour un destin tragique et sanglant.
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Une enfance mouvementée entre l’Est parisien et Rennes. Né en novembre 1982 de parents immigrés venus d’Algérie, Chérif Kouachi et ses quatre frères et sœurs grandissent dans le Xe arrondissement de Paris. Une enfance perturbée dès l’âge de 12 ans par le décès de ses parents. Chérif Kouachi et son frère Saïd sont alors placé dans un foyer à Treignac, en Corrèze, où ils passent six ans.
"Durant ces six années, ces jeunes ont réellement fait part de motivation par rapport à leur scolarité", se souvient Patrick Fournier, le chef du service éducatif du centre des Monédières. "Un petit peu moins Chérif pendant sa dernière année de scolarité, il était un peu dans l’illusion et avait pour seul objectif de faire une carrière de footballeur professionnels, tandis que Saïd, l’ainé, était introverti, un peu plus travailleur. Pour le reste, ce sont des gamins qui ont participé à toutes les activités proposées, jamais rebelles, jamais opposants", ajoute-t-il. Puis Chérif rejoint Rennes, où il passe un brevet d’éducateur sportif et commence à travailler.
De la petite délinquance à la tentation djihadiste. Rapidement, il regagne Paris avec son frère Saïd, lui aussi soupçonné d’être impliqué dans l’attentat contre Charlie Hebdo, et s’installe dans le XIXe arrondissement parisien. Hébergé par un Français fraîchement converti, selon le quotidien Libération, il décroche alors un boulot de livreur chez El Primo Pizza, dans la commune limitrophe des Lilas. Chérif mène alors la vie de nombreux jeunes qui se cherchent, zonant avec des amis du collège qu’il a retrouvés, passant ses journées à fumer des joints et à boire quand il ne sombre dans les petits larcins. Le jeune délinquant se rêve même une carrière de rappeur mais sa vie ne va pas tarder à changer.
20 mars 2003. Alors que les Etats-Unis déclarent la guerre à l’Irak, Chérif Kouachi, qui a alors 21 ans, entame un virage religieux. Il fréquente depuis peu la mosquée Adda’wa, au 39 rue de Tanger, dans le quartier Stalingrad, mais ne s’arrête pas là. Le sulfureux Farid Benyettou fréquente en effet cette mosquée, démolie depuis, et profite de la fin de l’office pour prêcher auprès des plus jeunes, dont fait partie Chérif Kouachi. Ce qu’on appellera plus tard la filière des Buttes-Chaumont est en train de se constituer.
De la guerre d’Irak à la filière des Buttes-Chaumont. Au contact de "l'émir" Farid Benyettou (ci-contre), Chérif Kouachi et son frère commencent à prendre des cours de religion très spéciaux, et pour cause : le prédicateur Farid Benyettou les incite rapidement à rallier Al-Qaïda en Irak pour combattre l’invasion américaine sous les ordres d’Abou Moussab al Zarkaoui.
Abreuvés des images de guerre qui sont diffusées quotidiennement, chapeautés par un homme qui se revendique comme salafiste, les jeunes commencent alors à préparer de manière tragi-comique leur voyage : ils font quelques jogging dans le parc des Buttes-Chaumont et apprennent le fonctionnement d’une Kalashnikov… sur une feuille de papier, devant une bouche de métro. Cet amateurisme n’empêchera pas une dizaine de jeunes Parisiens de s’envoler pour la Syrie, alors porte d’entrée pour rejoindre les mouvements djihadistes en Irak. Chérif Kouachi devait les rejoindre mais son périple tourne court : il est interpellé en janvier 2005, à la veille de son départ. Quant à ses comparses, trois trouvent la mort en Irak, plusieurs autres sont arrêtées en chemin, notamment dans des instituts coraniques en Syrie.
Pied nickelé du djihad ou vrai militant ? Jugé en mars 2008 dans le cadre du procès "des filières irakiennes du 19eme arrondissement", Chérif Kouachi écope de 3 ans de prison, dont 18 mois ferme. Et présente le profil d’un jeune en déshérence, influençable, qui aurait même commencé à douter : "Plus le départ approchait, plus je voulais revenir en arrière. Mais si je me dégonflais, je risquais de passer pour un lâche", explique-t-il alors à la présidente du tribunal.
Lui et son frère, "ce sont deux enfants qui ont été abandonnés très jeunes, qui ont passé leur enfance en foyer et qui a l’âge de 21, 22 ans, n’avaient aucune perspective ni sociale, ni professionnelle. Je pense qu’a cette époque la, ils ont trouvé l’impression d’intégrer une famille, d’avoir un but dans la vie. Mais lorsque j’ai retrouvé monsieur Kouachi au sortir de sa garde à vue, la première chose qu’il m’a dite, c’est qu’il était soulagé d’avoir été arrêté parce qu’il ne voulait pas partir mais qu’il avait peur, s’il se dérobait à ses engagements, d’être considéré comme un lâche", a témoigné son avocat de l’époque, Vincent Olivier, jeudi sur Europe 1.
Dans un reportage de Pièce à Conviction, diffusé en 2005 sur France 3, Chérif Kouachi présente alors le visage d’un jeune paumé qui s’est laissé embrigader :
Le groupe se voit donc rapidement qualifier de "pieds nickelés" du djihad mais sera tout de même condamné pour avoir projeté de commettre des attentats en France. Et le profil de Chérif Kouachi intrigue. Car si son avocat dresse le portrait d’un jeune paumé, l’un de ses futurs codétenus tiendra en 2010 un tout autre discours : "Chérif m'a parlé de casser des magasins de juifs, de les attraper dans la rue pour les frapper, il ne parlait que de cela et de faire quelque chose ici en France avant de partir", rapporte L’Express.
Élément aggravant, lors de sa détention provisoire en attendant d'être jugé pour son implication dans la filière du 19eme arrondissement, Chérif Kouachi ne fréquente pas n'importe qui à la prison de Fleury-Mérogis. Incarcéré de novembre 2005 à octobre 2006, il fait la connaissance de Djamal Beghal, figure de l'islam radical français qui purge une peine de dix ans pour la préparation d'attentats. Il rencontre aussi Amedy Coulibaly, accusé d'être le tireur de Montrouge et l'auteur de la prise d'otages dans un supermarché casher cours de Vincennes à Paris.
Encore sous haute surveillance à sa sortie de prison. En raison de cette ambivalence, il ne quittera jamais les radars des services antiterroristes français. Chérif Kouachi reprend néanmoins ce qui ressemble à une vie normale à sa sortie de prison, travaillant à la poissonnerie du supermarché Leclerc de Conflans-Sainte-Honorine. "A l’époque, Chérif Kouachi me paraissait être resocialisé et s’être orienté dans une voie qui était exclusive de tout acte de terrorisme", estime son ancien avocat.
"Il avait repris un travail, il avait trouvé une épouse et ne trainait plus dans les milieux qui l’avaient conduit à envisager son départ vers la Syrie", a poursuivi Vincent Olivier, jeudi sur Europe 1 :
Mais le doute subsiste : il a gardé des contacts avec ses anciens comparses, dont l’un, Boubaker al-Hakim, est depuis devenu un cadre de l’organisation Etat islamique. Son nom est même cité dans le projet de tentative de faire évader de prison l'islamiste Smaïn Aït Ali Belkacem. Un homme au profil très dangereux : ancien membre du Groupe islamique armé algérien (GIA), ce dernier a été condamné en 2002 à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir commis l'attentat à la station RER Musée d'Orsay en octobre 1995 à Paris.
Mis en examen dans cette affaire en 2010, il bénéficie toutefois d'un non-lieu et se montre alors très discret. Jusqu’à ce que la carte d’identité de son frère soit retrouvée dans la voiture des auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo. Un frère dont on apprendra par la suite qu'il serait parti quelques mois au Yémen en 2011 pour s'y entraîner au maniement des armes dans un camp d'Al-Qaïda, selon un responsable américain cité par le New York Times. Les deux hommes ont terminé leur parcours chaotique dans une imprimerie de Dammartin-en-Goële, abattus par le GIGN.
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>> Un numéro vert a été mis en place par la police judiciaire de Paris pour recueillir les témoignages des personnes susceptibles d'avoir croisé la route des suspects. Voici le numéro de l'appel à témoins : 08 05 02 17 17