A travers un homme, c'est un peu le procès des liaisons dangereuses entre "indics" et "flics" qui va se jouer à partir de lundi, devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Jusqu'au 24 mai, l'ex-adjoint à la direction de la police judiciaire de Lyon, Michel Neyret, y comparaîtra pour corruption. Cet ancien grand flic, aux cheveux poivre et sel et au teint hâlé, est soupçonné d'avoir renseigné ses "tontons" en échange de divers avantages, et d'avoir détourné des saisies de stupéfiants pour rémunérer ses informateurs. A ses côtés, huit personnes vont être jugées : sa femme, Nicole, trois anciens policiers dont deux commissaires, trois membres présumés du milieu lyonnais, dont Gilles Benichou, et un avocat lyonnais.
Au départ, une simple affaire de stups. Le point de départ de l'affaire ? Tout commence par une enquête de la PJ parisienne, en novembre 2010. Les policiers remontent alors un réseau international de cocaïne et saisissent 100 kg de poudre blanche, dans un appartement de Neuilly-sur-Seine. Mais les suspects parviennent à échapper à la brigade des "Stups". L'un d'eux est une figure du milieu : Yannick Dacheville. Persuadés qu'ils ont été rancardés par une "taupe", les policiers placent alors les trafiquants sous écoute.
Mais au cours de l'enquête, ces écoutes téléphoniques surprennent les policiers : un homme réputé proche du milieu lyonnais, un certain Gilles Benichou, recherche des renseignements sur ce dont dispose la justice contre Dacheville. Et en obtient. À leur plus grande incrédulité, les enquêteurs finissent par apprendre le nom de l'informateur de Benichou, en l'interrogeant : Michel Neyret. L'homme est alors l'un des flics les plus puissants de France, mais aussi l'un des plus respectés. Le 29 septembre 2011, le numéro 2 de la PJ lyonnaise est cueilli par la "police des polices" à son domicile, avant d'être mis en examen pour corruption le 3 octobre.
Des renseignements transmis aux indics. Selon une source proche du dossier, l'enquête judiciaire démontre que "Neyret rendait des services divers" à ce Gilles Benichou, frère d'un "indic", ainsi qu'à d'autres membres présumés de la pègre lyonnaise. Le commissaire a consulté les fiches de figures du milieu, comme Cyril Astruc alias Alex Kahn, personnage central de l'escroquerie à la taxe carbone, ou encore Stéphane Alzraa. Le n°2 de la PJ lyonnaise est soupçonné d'avoir informé ces deux-là "du contenu de dossiers judiciaires traités par son service et par d'autres services de police", selon une source proche du dossier. Mais les enquêteurs pensent aussi qu'il s'est "procuré et a essayé de se procurer de la résine de cannabis ayant fait l'objet de saisies", afin de la remettre à plusieurs informateurs en vue de leur rétribution.
Cash, hôtels luxueux... Michel Neyret est aussi soupçonné d'avoir bénéficié de divers avantages, comme des cadeaux ou des voyages, de la part de ses "tontons". Ses ex-confrères relèvent qu'il a très peu utilisé sa carte de crédit, très peu retiré d'espèces durant cette période. Son épouse Nicole, a, elle, expliqué que des membres présumés du milieu donnaient "de-ci de-là des sommes de 1.000 euros à son mari", ce que Michel Neyret a contesté. Il y a aussi ces voyages, dans des hôtels luxueux à Marrakech, Ajaccio ou Cannes ; ces centaines d'euros de bons-cadeaux, cette montre de prix ou encore ces achats de vêtements, évoqués au téléphone entre membres du milieu.
La chute du "grand flic". Avant sa chute, l'homme était pourtant un policier au sommet : plus de trente ans d'une brillante carrière, dont vingt passés à "l'antigang", la BRI (brigade de recherche et d'intervention), une Légion d'honneur reçue en 2004… Michel Neyret incarnait alors un modèle pour tous ses pairs, fort d'une une véritable prestance et d'excellents résultats. Une réputation qui vole en éclat le jour de sa mise en examen, en septembre 2011. Le super flic est incarcéré huit mois en détention provisoire à La Santé, quartier VIP. Il sort fin mai 2012. Quatre mois plus tard, le 7 septembre 2012, Michel Neyret est révoqué de la police.
La confusion des genres. A quelques jours de son procès, l'ex-commissaire a lâché dans les colonnes de L'Express, le 29 avril : "Oui, j'ai donné des renseignements à mes indics, pour qu'ils aient confiance en moi. Oui, je suis parfois intervenu en faveur de leurs proches". Il assume, sans flancher. Ses informateurs, il les soigne. Il faut bien les mettre en confiance. Comme si les belles affaires ne s'attrapaient qu'au prix de certaines pratiques, flirtant au-delà de la légalité.