Perquisitions nocturnes, fouille des bagages, usage assoupli des armes par les forces de l'ordre. L'Assemblée entame mardi l'examen d'un projet de réforme pénale, défendu par l'exécutif comme nécessaire après les attentats, mais critiqué par certains au Parlement et, au-delà, comme attentatoire aux libertés. Le texte, préparé de longue date par l'ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira, et musclé après le 13 novembre, entend "renforcer de façon pérenne les outils et moyens mis à la disposition des autorités administratives et judiciaires", au-delà du cadre de l'état d'urgence. Ce projet de loi vise à préparer la sortie de ce régime d'exception en cours depuis la mi-novembre.
Usage des armes des forces de l'ordre : le principe d'une "irresponsabilité pénale"
A côté de la légitime défense, un nouveau régime d'irresponsabilité pénale bénéficiera aux policiers, gendarmes, douaniers ou militaires. Ce texte, qui instaure le principe d'une "irresponsabilité pénale", s’appliquera aux fonctionnaires qui ont fait un usage de leur arme en cas "d'absolue nécessité" contre quelqu'un qui vient de commettre ou tenter de commettre un meurtre et qui s'apprête à recommencer.
Retour de djihad : assignations à résidence ou contrôles administratifs
Le texte renforce le contrôle administratif des personnes qui ont accompli des déplacements à l'étranger "sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes" dans des conditions "susceptibles de les conduire à porter atteinte à la sécurité publique".
Ces personnes, contre lesquelles il n'y a pas d'éléments suffisants pour justifier une mise en examen, pourraient ainsi être assignées à résidence. La décision sera prise par le ministère de l'Intérieur après information du parquet. Toute décision d’assignation à résidence sera toutefois limitée à une durée limitée à un mois non renouvelable. Une contrainte qui pourrait être suspendue si la personne se soumet à une action de réinsertion et d'acquisition des "valeurs de citoyenneté".
Fouilles, rétention et perquisitions de nuit : des possibilités élargies
La réforme élargit la possibilité pour les policiers et gendarmes de fouiller bagages et véhicules, sous l'autorité du préfet et non plus du procureur, "aux abords des installations, d'établissements ou d'ouvrages sensibles". En résumé, le texte donne la possibilité pour les officiers de police judiciaire de procéder également à l'inspection visuelle et à la fouille de bagages en plus des contrôles d'identité et de la visite des véhicules.
Elle permet aussi aux forces de l'ordre, lors d'un contrôle d'identité, de retenir une personne "lorsqu'il y a des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste, le temps nécessaire à l'examen de sa situation". Cette retenue ne pourra excéder quatre heures.
Les perquisitions de nuit, jusqu'alors réservées aux juges, pourront désormais être ordonnées dans les enquêtes préliminaires du parquet pour "prévenir un risque d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique".
Interceptions : de nouvelles mesures d'investigation
Le texte donne au parquet et aux juges d'instruction l'accès à de nouvelles mesures d'investigation en matière de communication électronique. Les magistrats auront donc aussi accès à de nouvelles techniques comme les "’Imsi-catcher’, qui interceptent les communications dans un périmètre donné en imitant le fonctionnement d'un relais téléphonique mobile".
L'administration pénitentiaire pourra également avoir recours aux techniques utilisées par les services de renseignement, comme les micros et les caméras.
Témoins, financement et biens culturels
Le projet de loi entend mieux protéger les témoins, en cas de risques graves de représailles sur leur vie ou leur intégrité physique. Actuellement, il n’existe aucun statut particulier pour protéger les personnes qui apportent leur témoignage, notamment dans le cadre du terrorisme. Une situation dénoncée très récemment par une jeune femme qui a permis de retrouver Abdelhamid Abaaoud, l'un des organisateurs des attentats du 13 novembre, et qui affirme se sentir abandonnée par l’Etat. Le projet de loi doit permettre de régler ce problème en prévoyant le recours au huis clos lors d'une audience, voire l'anonymisation du témoin et son identification par un numéro.
La lutte contre le financement du terrorisme sera également facilitée par un encadrement et une traçabilité des cartes prépayées. Tracfin, l'organisme antiblanchiment du ministère de l'Économie, aura la possibilité de signaler aux banques des opérations et des personnes à risque, et une extension du champ du gel des avoirs. Une incrimination nouvelle visant à réprimer le trafic des biens culturels sera créée pour éviter que des groupes terroristes syriens ou libyens puissent "recycler sur notre sol le fruit du pillage du patrimoine de l'humanité".
500 amendements déposés
A ce projet de loi s’ajoutent 500 amendements déposés par l’ensemble de la classe politique. Le gouvernement souhaite, pour sa part, compléter ses 35 articles afin que les associations de victimes d'attentats puissent se constituer partie civile plus facilement, ou pour interdire la géolocalisation des parlementaires, magistrats, avocats ou journalistes. Le vote solennel de ce texte à l'Assemblée est prévu le 8 mars, puis le Sénat devrait l'examiner à compter du 29 mars, en vue d'une adoption définitive rapide.