Trois jours après l'attaque avortée du Thalys 9364 par un homme armé (entre autres) d'une Kalachnikov, la question de la sécurité du transport ferroviaire est désormais sérieusement posée. Alain Vidalies, le secrétaire d'Etat aux Transports, a annoncé lundi sur Europe 1 un renforcement des "moyens humains, militaires et policiers" avec un "contrôle aléatoire des bagages avec du personnel spécialisé", créant au passage une polémique sur le risque de discriminations relatives au contrôle au faciès. "Je préfère qu'on discrimine pour être efficace plutôt que de rester spectateurs", a ainsi balayé le secrétaire d'Etat. En France, Les gares et les trains sont-ils suffisamment protégés face à une menace terroriste sans commune mesure ? De nombreux experts préconisent une évolution de la politique de sécurité en la matière. Décryptage.
• Faut-il adapter le modèle de la sécurité dans l'aérien ? Contrairement à l'aérien, "dans le transport ferroviaire, il n’y a eu aucune évolution" en termes de mesures de sûreté, note dans L'Express, Bertrand Monnet professeur titulaire de la chaire "management des risques criminels" à l’EDHEC business school, ajoutant que la SNCF doit revoir "intégralement son dispositif de sécurité et son offre". Portiques, contrôles des bagages aux rayons X : peut-on adapter aux gares ce qui se fait dans tous les aéroports du monde ? Cela existe déjà Gare du Nord, à Paris, pour les seuls départs de trains vers le Royaume-Uni, l'Eurostar. Une expérience qui semble cependant difficile à généraliser.
"Les flux en jeu ne sont pas les mêmes dans le ferroviaire. Tout frein au flux dans les infrastructures que nous avons aujourd'hui, va faire chuter totalement le chiffre d'affaire de la SNCF. Si on veut faire la même chose que dans les aéroports, il faut d'abord reconstruire les gares en totalité. En raison du coût, ce n'est tout simplement pas réaliste", estime Christian Sommade, délégué général du Haut comité français pour la défense civile (HCFDC).
Une position partagée par la SNCF elle-même. "Étendre le système des aéroports aux gares, aujourd’hui, on ne peut pas dire que c’est réaliste", estime le président de la compagnie, Guillaume Pepy, justifiant cette analyse par le nombre trop important de voyageurs dans les gares, vingt fois plus que dans les aéroports : la France compte 3.000 gares et 5 millions de Français prennent chaque jours environ 15.000 trains. "En Europe, en dehors du tunnel sous la Manche, il n'y a que l'Espagne qui a mis cela en place en réponse à l'attentat de la gare d'Atocha ( le 11 mars 2004, à Madrid). Mais il n'y a pas de généralisation d'un tel système ailleurs dans le monde, même aux Etats-Unis, un pays pourtant en pointe sur ces sujets-là", ajoute Christian Sommade.
• Quelles mesures de sécurité à court terme ? Depuis les attentats de janvier, 7.000 militaires français sont affectés à la surveillance des lieux sensibles et donc des gares. Ce dispositif, l'opération "Sentinelle", vise à renforcer le plan Vigipirate déjà relevé à son plus haut niveau en Île-de-France. Sur le terrain, cela se matérialise par des patrouilles et des contrôles d'identité plus fréquents. Comme l'a annoncé Alain Vidalies, ce dispositif doit encore être renforcé avec notamment des "contrôles aléatoires des bagages". Un numéro national "de signalement des situations anormales" vient s'ajouter à ce déploiement d'hommes : le 3117, opérationnel dans ce cadre à partir du 1er septembre.
Sécurité : Vidalies "préfère qu'on discrimine...par Europe1fr
• Des "train marshals" dans les wagons ? Christian Sommade cite l'exemple des sky marshals américains, ces membres des forces de l'ordre, en civil, embarqués dans les avions de lignes. Une mesure qui, cette fois, peut s'appliquer au ferroviaire. "Pour moi la solution passe par l'humain, avec des train marshals. Ils sont dans la foule, en quidam, mais sont armés, entraînés et aptes à répondre à une situation", précise le délégué général du HCFDC. Une solution, en attendant que la technique évolue : "la véritable problématique est de savoir si nous disposerons un jour de la technologie qui permettra de détecter, sans réduire les flux, les personnes en possession d'armes ou d'explosif. C'est le véritable enjeu du développement technologique de la recherche en matière de sécurité pour les cinq à dix ans qui viennent. Des projets sont en cours dans ce domaine", ajoute Christian Sommade. Ce dernier, note cependant un retard avec la Grande-Bretagne où "la plupart des trains" sont placés sous vidéosurveillance.
• Doit-on toucher à Schengen ? L'espace Schengen garantit aujourd'hui la libre circulation des biens et des personnes dans 26 états européens. Le terrorisme a-t-il eu raison de cet accord, un des fondements de l'Europe contemporaine ? Le Premier ministre belge Charles Michel a demandé une réunion des ministres européens des Transports et de l’Intérieur afin d'étudier une modification de ces règles. "Il s’agit sans aucun doute d’un bienfait pour le développement économique et la liberté de circulation pour ceux qui ont de bonnes intentions, mais cette liberté est aussi utilisée dans le but de nuire… (…) Le but n’est pas de supprimer les libertés, mais de faire face à une menace", a justifié le chef du gouvernement fédéral belge sur le plateau de RTL Info.
En France aussi, quand le principe même des accords n'est pas contesté, on prône des ajustements. Frederic Gallois, ancien commandant du GIGN, aujourd'hui à la tête d'une société de sécurité privée internationale, estime, dans une interview au Figaro, qu'il faut "mettre en place des points de contrôle aux frontières" pour les trains européens y compris dans l'espace de libre circulation. De son côté, Christian Sommade juge que la problématique de la sécurité aux frontières se pose, au même titre que celles du renseignement et du suivi des individus signalés. Mais le délégué général du Haut comité français pour la défense civile pose une autre question : "y a-t-il des lignes plus menacées que d'autres ? C'est très compliqué à établir. Le terroriste trouvera toujours une cible plus 'molle': si on durcit les contrôles à Paris, Lyon ou Marseille, il ira frapper sur Rennes". Et de conclure : "c'est un challenge très difficile. Et la réponse ne peut pas être de mettre un policier derrière chaque personne à toute heure du jour et de la nuit, dans chaque lieu public".