Le commandant de la compagnie de CRS accusée de violences sur des "gilets jaunes" dans un Burger King parisien le 1er décembre 2018 et son supérieur commissaire de police ont été placés sous le statut de témoins assistés dans cette procédure. Le 31 mars 2022, Gilbert S., 57 ans, s'est désigné dans un courrier à la juge comme responsable de l'intervention dans ce Burger King proche des Champs-Elysées, et a aussi ciblé Patrice R., 54 ans, commissaire et ce jour-là courroie de transmission des ordres de la préfecture de police.
Plusieurs manifestants frappés, dont un journaliste
Une douzaine de CRS étaient entrés et avaient frappé plusieurs manifestants et au moins un journaliste, certains allongés au sol, à l'aide de matraques. La scène avait été filmée par plusieurs journalistes. "Si des personnels doivent être mis en examen et renvoyés devant un tribunal, alors je mérite à l'évidence le même sort, tout comme les autres autorités présentes devant cet établissement et qui ont validé, au moins tacitement par leur inaction, le mode opératoire utilisé", a-t-il écrit, selon des éléments de l'enquête dont l'AFP a eu connaissance jeudi.
Dans ce dossier symbolique des manifestations des "gilets jaunes" et proche de sa fin, neuf CRS ont été mis en examen depuis juin 2020 pour des violences aggravées sur les manifestants, dont le dernier, Frédéric P., le 26 janvier. Depuis le début de l'enquête, la compagnie basée à Chalon-sur-Saône présente son intervention comme indissociable du chaos de l'acte 3 des "gilets jaunes", avec à Paris des violences, d'importantes dégradations à l'Arc de Triomphe, l'éborgnement d'un manifestant par un tir de lanceur de balles de défense (LBD), et au Puy-en-Velay l'incendie de la préfecture.
Emploi de procédés "pas réglementaires"
La juge d'instruction parisienne a accepté la requête du commandant de la CRS 43 en le convoquant, ainsi que Patrice R., pour des mises en examen pour "abstention volontaire d'empêcher des violences aggravées". Une journée durant, Gilbert S. a raconté en octobre un interminable face-à-face avec "l'insurrection" et la peur de "passer de vie à trépas".
Il a reconnu l'emploi par ses troupes dans l'après-midi de procédés "pas réglementaires" pour se défendre, annoncés par radio à sa hiérarchie : "tirs tendus de lacrymogène, lancés en cloche de grenade de désencerclement", etc. Sa seule compagnie "a utilisé 1.950 grenades lacrymogènes ce jour-là", soit "80% de ce qu'on a tiré de 1990 à 2018", comptabilise-t-il. D'après Gilbert S., l'intervention au Burger King n'est qu'un épisode de cette journée "la plus dure de sa carrière". Dans le restaurant, ses troupes sont "très rudes", pensant déloger des "pilleurs". Elles "ont perdu leur discernement", concède-t-il.
Pourquoi ne pas avoir stoppé l'intervention ?
Qui aurait dû stopper l'intervention ? Lui et le commissaire, estime Gilbert S., qui se sent "responsable". "La hiérarchie a peut-être à endosser une part de responsabilité. Si j'avais été lucide, (les CRS) n'intervenaient pas", cède-t-il encore, alors que selon un de ses subordonnés, le capitaine Jérôme P., il a donné l'ordre d'intervenir. En interrogatoire en décembre, le commissaire Patrice R. évoque lui aussi la peur de mourir et un climat de "guerre", mais conteste "clairement" avoir ordonné de déloger les manifestants.
Pourquoi n'a-t-il pas stoppé l'intervention ? Sur le moment, les violences identifiées par la justice lui apparaissent "quand même dans le raisonnable, vu ce qu'on a vu dans la journée". "Oui", les CRS "y vont un peu fort", mais "ça va vite", il "y a l'effet tunnel", et "plusieurs autorités" sont "imbriquées", défend-il. Gilbert S. et Patrice R. sont ressortis témoins assistés des interrogatoires : en cas de procès, ils ne comparaîtraient pas.
Au vu de ce récent développement, Nathan Arthaud, victime de 27 coups de matraque par six policiers, est "inquiet sur cette fin de procédure judiciaire et ce d'autant plus qu'aucune sanction administrative significative n'est intervenue", a commenté son conseil, Me Moad Nefati. "L'autorité judiciaire a encore du mal à poursuivre les autorités administratives qui ont pourtant donné des ordres manifestement illégaux. Il faut briser ce plafond de verre dans les dossiers de violences policières", a demandé Me Arié Alimi, avocat de deux manifestants. Me Laurent-Franck Liénard, avocat des CRS, n'a pas souhaité réagir.