Publicité
Publicité

Légionnaire mort dans le désert : "On nous a ordonné de ne pas lui donner d’eau"

Noémie Schulz et Chloé Pilorget-Rezzouk - Mis à jour le . 3 min
© AFP

Des légionnaires comparaissent devant la cour d’assises de Paris pour avoir laissé mourir leur camarade lors d’un entraînement en 2008. Lundi, deux versions différentes se sont opposées : celle des accusés et celle d’autres légionnaires.

A la barre, se tient un homme dont un seul mot aurait suffi pour que tout s’arrête. Un soldat, qui, obnubilé par sa mission, a cru bien faire en ne disant pas "stop" ce jour-là, ce 5 mai 2008 où un jeune légionnaire est mort d’épuisement lors d’un entraînement en plein désert, à Djibouti.

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

"Une faute de commandement". Lundi, l'ex-lieutenant M. B., qui comparaît avec l'ex-caporal roumain Petru-Sabin Suciu, pour "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner", a reconnu une "faute de commandement" devant la cour d’assises de Paris. Le crime pour lequel ils sont jugés est passible de 20 ans de réclusion criminelle.

Remplir sa mission, à tout prix. Si l’on en croit l’ex-chef de section, ce qu’il s’est passé lors de cet entraînement ayant viré au drame est un terrible quiproquo. La victime, jeune recrue de 25 ans, était connue pour sa nonchalance, sa mauvaise volonté. Malus Talas était ce qu’on appelle un "bananier" dans la Légion. Un soldat qui, lorsqu’il était puni, se plaignait, gémissait, refusait d’obéir. 

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

Autant d’éléments qui font que ce jour-là, dans cette vallée encaissée sous un soleil de plomb, personne ne prend le Slovaque au sérieux lorsqu’il commence à se plaindre, notamment de douleurs au genou. Le jeune lieutenant B., lui, est en Afrique depuis quelques mois seulement. La mission qu’on lui confie ce jour-là est très difficile, il veut donc la remplir à tout prix.

Des coups "pour le faire avancer". Alors à la barre, M. B. admet avoir laissé ses hommes frapper Talas. "Martinez et Suciu lui donnent des coups de pied aux fesses, le secouent par la musette. Ils ne lui font pas mal, ne cherchent pas à l'humilier, mais ils en ont ras-le-bol", explique-t-il devant la cour. Le sergent Omar Andrès Martinez, un Chilien, est l’un des deux autres légionnaires impliqués dans cette affaire, avec le caporal mexicain Wigberto Hernandez Canceco. Tous deux ont pris la fuite et font donc l’objet d’un mandat d’arrêt international, depuis fin 2008.

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

B. lui même reconnaît avoir frappé Talas, une fois. "Ce n’était pas des coups pour lui faire mal, mais pour le faire avancer", se justifie l’ancien lieutenant du 2e régiment étranger de parachutistes (REP), le plus prestigieux de la Légion. 

Coup de bluff et coup de pression. "Maintenant quand j’y pense, c’est horrible de se dire qu’on l’a forcé, qu’on l’a poussé, alors qu’il était épuisé, mais on n’en avait pas la moindre idée", avoue-il, concédant une "erreur d’appréciation", mais pas de la cruauté. Pourtant, ce 5 mai 2008, à bout de force, déshydraté, Matus Talas, s’écroule au sol, victime d’un coup de chaleur.

La suite après cette publicité

Devant les jurés, l'ex-lieutenant reconnaît aussi avoir vidé la gourde de Talas, avant de lui confisquer sa deuxième bouteille. En plein désert, le chef fait mine d’abandonner son soldat, lui lançant : "Maintenant, tu vas crever ici." Un coup de bluff pour lui faire peur. "Je me dégoûte moi-même, mais le but c’était qu’on arrive tous ensemble", livre B..

Exposé en plein soleil... Le problème toutefois, c’est que les témoignages suivants font douter de cette sincérité affichée par B. et Suciu, tous deux sur la même ligne de défense. Deux légionnaires ont en effet donné une toute autre version des faits. L’ex-binôme de la victime raconte par exemple cette punition en plein soleil, alors que tous les autres soldats sont à l’ombre. Puis, il révèle le plus accablant : "On nous a ordonné de ne pas lui donner d’eau". A un moment, la victime lui aurait dit : "Je ne sais pas ce qui m’arrive, je deviens fou".

Privé d’eau, "c’est presque le condamner". "En saison chaude, c’est pas du tout raisonnable de priver quelqu’un d’eau, c’est presque le condamner. Je ne sais pas dans quel but c’était, mais généralement le but ne se finit pas bien", poursuit le deuxième légionnaire interrogé par la cour d'assises de Paris. 

Mardi, d’autres témoins sont attendus à la barre. Des témoignages qui permettront peut-être d’y voir plus clair sur cette obscure journée dans le désert de Djibouti.

Cet article vous a plu ? Vous aimerez aussi...
Recevoir la newsletter Faits-divers
Plus d'articles à découvrir