Ils ont fait le voyage en groupe. Mais leurs proches n’ont rien vu venir. Le 15 décembre 2013, une douzaine de jeunes du quartier sensible de la Meinau quitte Strasbourg, direction la Syrie. Foued Mohamed-Aggad, l’homme identifié mercredi comme le troisième kamikaze du Bataclan, fait partie de cette équipée fanatique, aux côtés de son frère. Quelques semaines après son arrivée dans les rangs de l’Etat islamique, il perd deux de ses proches dans les combats, Yacine et Mourad, deux frères de la Meinau. Peu de temps après, les membres restants choisissent de revenir en France, à Strasbourg. Sauf Foued Mohamed-Aggad, qui choisit de rester en Syrie, et de différer son retour sur le sol français, pour y "mourir en martyr". Son projet macabre s’est concrétisé près de deux ans plus tard, lorsqu’il s’est fait sauter après l’assaut du Bataclan, qui a fait 90 morts, le 13 novembre dernier.
"On ne les a pas vus se radicaliser". "Comme nombre de candidats au djihad, le groupe d’une douzaine d’individus est originaire d’un quartier populaire, la zone urbaine sensible (ZUS) de la Meinau, à Strasbourg. Et comme les jeunes de ce quartier, leur adolescence était faite de sorties en boîte, de rap et de filles, rapporte Rue 89. Ces jeunes Français, d'origine maghrébine ou turque, ne sont pas, ou sont peu connus des services de police. Beaucoup d'entre eux avaient un emploi, des engagements associatifs. Certains étaient même mariés et pères de famille.
Avant leur radicalisation, les jeunes individus pratiquaient un islam plus culturel que pratiquant. Ils faisaient le ramadan et se rendaient de temps à autre à la mosquée de la Meinau, rapporte encore Rue 89. Rien de plus. "C’étaient des jeunes du quartier, sans histoires. On ne les a pas vus se radicaliser", avait confié Saliou Faye, l’imam de la Meinau, lors des interpellations de sept "revenants", en mai 2014.
Recrutés par Mourad Farès. Selon leurs anciens camarades de classe, c’est sur Internet que le groupe s’est radicalisé, notamment sous l’influence de Mourad Farès. L'homme, âgé de 31 ans et originaire de Thonon-les-Bains, est soupçonné d'être un "sergent recruteur" du djihad en Syrie. Il a été interpellé en août 2014, à la frontière turque, avant d’être mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste pour des délits commis en France et en Syrie, financement de terrorisme et direction d'un groupe terroriste.
C’est lui qui aurait coaché les candidats au djihad strasbourgeois dans leur périple vers la Syrie. Comme c'est souvent le cas des individus happés par l'aventure de la "guerre sainte", le projet du groupe reposait sur un mensonge bien ficelé à faire avaler aux proches, pour éviter le moindre soupçon. En décembre 2013, la douzaine d’individus prétexte des vacances à Dubaï, via un vol partant de Francfort, en Allemagne. L’un d’entre eux se désiste au dernier moment. Son père vient le chercher à l'aéroport. Car en réalité, les jeunes Strasbourgeois quittent leur quartier à 30% de chômage, pour rejoindre le chaos syrien.
Deux meurent en Syrie. Ils arrivent d’abord à Antalya, au sud de la Turquie, une zone stratégique pour les occidentaux désireux de traverser la frontière syrienne. En contact, via Internet, avec des membres de l’Etat islamique, les autres rejoignent des djihadistes dans un camp d’entraînement, avec pour destination finale la Syrie, où Mourad Farès les attend.
L’heure du désenchantement et du retour. Quelques semaines après leur arrivée sur les terres du groupe terroriste commence le désenchantement. D’abord réunis près d’Alep, les Strasbourgeois sont rapatriés vers Raqqa, la capitale syrienne de l’Etat islamique, puis vers une troisième ville, dans l’est du pays, indique Le Monde. Yassine et Mourad, deux frères, meurent à un check-point.
Le 8 février 2014, une marche est organisée par les habitants de la Meinau, pour dénoncer les départs. Une banderole en tête de cortège indique : "Touchez pas à nos jeunes". Mohamed Benazzouz, porte-parole du collectif d’associations à l’origine du rassemblement dénonce : "si nous sommes là aujourd’hui, c’est parce que des enfants ont été trompés, des familles ont été brisées, toute une ville a été traumatisée."
La mort de Yacine et Mourad aurait décidé les autres à rentrer en France, de manière échelonnée, à partir de février 2014. A leur retour, des rumeurs circulent dans le quartier sur la volte-face du groupe, qui se cache dans la cité. Les services de renseignements sont sur le coup. Ils craignent que les revenants montent une cellule de recrutement à Strasbourg. Le 13 mai 2014, sept individus sont interpellés au petit matin, par les forces du Raid et du GIGN.
Le frère incarcéré. Selon leurs déclarations aux enquêteurs, le voyage avait un but humanitaire mais ils sont tombés de haut face aux horreurs. Un argument qui n'a jamais convaincu puisqu'ils étaient partis par petits groupes dans un souci de discrétion, et que des photos de certains posant avec armes et treillis et des textes menaçants envers la France avaient été retrouvés dans leurs ordinateurs. En octobre, le parquet a demandé le renvoi en correctionnelle des sept Strasbourgeois, dont le frère de Foued Mohamed-Aggad, interpellés pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
A la même époque, Foued Mohamed-Aggad, seul à être resté en Syrie, entreprenait son retour. La suite est désormais connue de tous. Le 13 novembre, il pénètre au Bataclan et tue, avec deux autres terroristes, 90 personnes, avant de faire sauter sa ceinture explosive.