Le 8 janvier 2015, ils sont appelés sur un banal accident de la circulation. Ils ne savent pas encore qu'ils vont être témoins de l'attaque de Montrouge perpétrée par Amedy Coulibaly, et qu'ils tenteront d'empêcher. Ces deux agents de la mairie de Montrouge, chefs d'équipe propreté, ainsi qu'un troisième de leur camarade, policier municipal, ont été décorés jeudi à la préfecture de Nanterre, dix mois après les attentats de janvier. Ils ont reçu des mains du préfet des Hauts-de-Seine la médaille de la sécurité intérieure et la médaille d'acte de courage et de dévouement.
Un matin comme les autres. A l'occasion de cette cérémonie, les deux agents de voirie ont raconté cette attaque commise au lendemain de l'attentat des frères Kouachi contre Charlie Hebdo. Mathis, 41 ans, qui a réclamé ce prénom d'emprunt pour conserver l'anonymat, est appelé avec son coéquipier Eric Urban, 47 ans, sur ce qui se présente d'abord comme un banal accident, "comme c'est le cas, à chaque fois". Sur place, la policière municipale Clarissa Jean-Philippe, qui sera mortellement touchée par Amedy Coulibaly, intervient également.
"J'ai croisé un taré le 8 janvier". A un moment, Mathis voit un homme qui "fait un pas en arrière, sort un fusil d'assaut", puis tire un premier coup de feu. Cet homme, c'est Amedy Coulibaly. "J'ai croisé un taré le 8 janvier. Coulibaly, c'est un taré", estime Mathis, selon qui l'agresseur était "shooté", désinhibé face à la violence.
Son co-équipier Eric se retourne et "prend directement une balle", tout comme Clarissa Jean-Philippe. Eric est grièvement blessé au visage : "J'étais paralysé pendant une ou deux secondes. Mais on comprend que, si on réagit pas, on va mourir. Je me suis dit : il ne faut pas que je tombe par terre", se souvient-il. Mathis, lui, croit d'abord l'arme factice, "alors je tape dessus, en me disant 'C'est une blague à la con', mais j'ai vu la tête d'Eric déformée par la balle et Clarissa qui gémissait".
"J'ai arraché sa cagoule, j'ai tenté de le frapper". Le terroriste retourne alors sa Kalachnikov sur le petit groupe. "Le seul moyen de survivre, c'est de lui sauter dessus comme une sangsue", rapporte Mathis. "Ca a duré longtemps. J'ai arraché sa cagoule, j'ai tenté de le frapper". Dans la lutte, Amedy Coulibaly laisse échapper une seule phrase : "Tu veux jouer, tu vas crever".
"Il a fait 'Clic'." Alors qu'Eric, ensanglanté, a réussi à s'éloigner, Mathis se retrouve "à genoux", mais parvient à saisir d'une main le canon de l'arme du terroriste. Amedy Coulibaly tente alors de mettre son autre main dans la poche, mais l'agent municipal l'en empêche en lui attrapant le bout de la manche. Le tireur le frappe avec le canon du fusil et sort un pistolet Tokarev avec lequel il tente de tirer.
"Pour moi, j'étais mort. Il a fait 'Clic'. Je n'ai pas compris pourquoi j'étais vivant", se souvient le quadragénaire qui apprendra plus tard que le Tokarev du terroriste s'était enrayé, lui laissant la vie sauve. Amedy Coulibaly range alors "son gun", "sa Kalach", puis repart en footing, se rappelle Mathis. Le lendemain, l'homme prenait en otages les clients de l'Hyper Casher, un supermarché casher, et tuait quatre personnes de confession juive, avant d'être abattu par la police.
"Zappés". Si Eric et Mathis, vont "bien", s'ils ont été récompensés ce jeudi pour leur bravoure et leur dévouement, ils demeurent toutefois amers envers la mairie de Montrouge, dont ils estiment avoir été "zappés". "Aucun soutien, rien, même pas une poignée de main. J'ai vécu le néant pendant dix mois", déplore Mathis, tandis qu'Eric, lui, doit encore subir des soins consécutifs à ses blessures et a "l'impression d'être tombé dans une oubliette".