C’est un phénomène inquiétant depuis quelques jours en Egypte. Les journalistes sont de plus en plus pris pour cible par les manifestants, le plus souvent par l’armée ou les partisans du président Moubarak. Jeudi, des fidèles du chef de l’Etat égyptien ont ainsi fait irruption dans des hôtels du Caire où ils traquent les reporters, selon la chaîne de télévision Al Arabia. Et les exemples de reporters au mieux menacés, au pire enlevés, voire portés disparus, sont légion.
Arte était ainsi sans nouvelles jeudi en début d'après-midi de l'un de ses envoyés spéciaux au Caire, arrêté un peu plus tôt par l'armée égyptienne. Par ailleurs, trois journalistes de BFM TV ont été tabassés pendant un quart d’heure, avant d’être secourus par l’armée, qui les a relâchés après neuf heures passées dans une caserne. Même mésaventure ou presque pour trois reporters de France 24, qui restaient détenus à la mi-journée. Une équipe de France 2 a aussi été molestée à un barrage à son retour de Suez, l’un des membres ayant été touché à la tête par un sabre. Des journalistes du Figaro, du Monde, de Libération, de M6, de TF1 ont également subi des violences. Et la liste n’est pas exhaustive.
Interrogés pendant 15 heures
Les membres de l'équipe de TF1 arrêtés jeudi matin au Caire avant d'être libérés "au milieu de la nuit" de jeudi à vendredi "vont bien physiquement" après avoir vécu "quinze heures d'interrogatoires", a indiqué Catherine Nayl, directrice de l'information de la chaîne. "Ils ont été relâchés au milieu de la nuit dans un hôtel où se trouvaient d'autres journalistes", a-t-elle indiqué à l'AFP. "On circulait en voiture. Des hommes en civils, armés de longs couteaux et de bombes de gaz lacrymogènes, nous ont arrêtés sans aucune raison particulière. Ils avaient manifestement l'ordre d'arrêter des journalistes", a raconté Pierre Grange, un des trois reporters, joint au téléphone au Caire.
"On a d'abord été interrogés pendant une heure par un militaire dans un hôtel désaffecté. Ca ne s'est pas trop mal passé. Mais ensuite, on a été conduits dans un camp militaire et, là, c'est parti pour 15 heures de pression psychologique", a-t-il poursuivi. "On avait les yeux bandés. Ils nous faisaient sans cesse asseoir ou marcher en nous posant tout un tas de questions pour savoir si on était des espions. On n'a pas eu le droit de boire, de manger, d'aller aux toilettes ou de parler entre nous", a continué Pierre Grange, tout en précisant que plusieurs dizaines d'autres personnes, journalistes étrangers ou manifestants anti-Moubarak, étaient présentes au camp.
Portédisparu
Les journalistes français ne sont pas les seuls à avoir été pris pour cible. Des reporters grecs, turcs russes, canadiens, anglais, ont signalés avoir été frappés. Plus inquiétant, un journaliste belge, correspondant au quotidien Le Soir, est porté disparu après avoir été molesté et arrêté par des inconnus alors qu'il couvrait une manifestation dans la capitale égyptienne. Le Washington Post a par ailleurs indiqué que deux de ses reporters avaient été arrêtés au Caire parmi "deux douzaines d’autres journalistes".
Pour Reporters sans frontières, qui dénonce "une chasse aux journalistes sans précédent", la menace vient du camp du président Moubarak. "On cherche à leur faire peur, à les intimider pour que leur rédaction prenne l’initiative de les rapatrier", affirme à Europe 1 un porte-parole de l’association. "Ces agressions apparaissent comme autant d'actes de vengeance contre la presse internationale qui a relayé les manifestations demandant la démission du président Moubarak", écrit dans un communiqué Jean-François Julliard, secrétaire général de RSF.
"Campagne concertée"
Les Etats-Unis sont sur la même ligne. Le département d'Etat a dénoncé jeudi une "campagne concertée visant à intimider les journalistes étrangers au Caire et à perturber leur travail de reportage", a affirmé le porte-parole de la diplomatie américaine, Philip Crowley, sur son compte Twitter. De son côté, la France a appelé "instamment", via le ministère des Affaires étrangères, les autorités égyptiennes à faire cesser "les agissements inacceptables" dont sont victimes les médias étrangers, en particulier français, et "d'assurer leur sécurité."
Enfin, selon une journaliste du quotidien britannique Guardian, Harriet Sherwood, la télévision publique prend toute sa part au climat de peur, en laissant entendre que sous le costume de reporters occidentaux étaient en fait des espions à la solde des Etats-Unis et d’Israël.