Le pseudonyme qu’il s’est choisi signifie "Celui qui ne parle pas". En décidant d’offrir le prix Nobel de littérature à l’écrivain chinois Mo Yan, 57 ans, le Comité Nobel a récompensé un auteur réputé proche du pouvoir, critiqué par certains de ses pairs malgré la qualité de son œuvre. Cette décision ravit en tout cas Pékin et de nombreux Chinois, qui n’ont pas manqué de réagir en masse.
Longtemps soldat dans l’Armée populaire de libération, Mo Yan respecte un régime qui lui a permis de s’extirper, grâce à l’armée, de sa condition de paysan pauvre et illettré. Les autorités le lui rendent d’ailleurs bien. Le Quotidien du Peuple, l’organe de presse officiel du Parti communiste chinois, a aussitôt salué sa récompense et adressé ses "félicitations" à Mo Yan. "Il est le premier auteur chinois à remporter le prix Nobel de littérature", salue un internaute sur le site du quotidien officiel.
Des prix Nobel qui ont fâché Pékin
Mo Yan n’est cependant pas vraiment le premier Nobel de littérature chinois : en 2000, Pékin avait peu goûté l’attribution du prix à Gao Xingjian, un écrivain né en Chine, dissident naturalisé français. Quant au prix Nobel de la Paix attribué en 2010 à l’intellectuel Liu Xiaobo, toujours en prison pour "subversion", il avait carrément provoqué la fureur du régime chinois.
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Mo Yan ne s’est d’ailleurs pas illustré par son soutien à Liu Xiaobo et au combat pour les droits de l’Homme dans son pays. L’artiste dissident Ai Weiwei s’est montré pour le moins acerbe à l’égard de son compatriote, jugeant que le Comité Nobel avait commis une erreur en récompensant un auteur qui porte "la tache du gouvernement". "Mo Yan a déclaré qu’il n’avait rien à dire au sujet de Liu Xiaobo [le dissident chinois prix Nobel de la Paix en 2010]. Je pense que les organisateurs du Nobel se sont retirés de la réalité en lui décernant ce prix", a-t-il commenté.
"Même rengaine que le régime"
L’avocat Teng Biao, estime quant à lui que Mo Yan "chante la même rengaine que le régime non démocratique". Avant l’annonce de Stockholm, il jugeait même qu’il serait "inapproprié" de lui décerner le Nobel.
Mais les choses sont peut-être un peu plus complexes : Mo Yan "est un homme libre, libre dans sa tête et dans son écriture, qui mérite amplement cette reconnaissance internationale", estime Pierre Haski sur Rue89. Certains de ses livres, notamment Beaux seins, belles fesses, ont été censurés.
L’auteur aborde aussi des sujets délicats dans ses romans. Grenouille, traduit en France en 2011, évoque ainsi la politique de l’enfant unique. Dans Le Clan du Sorgho, il se penche sur l’invasion japonaise de 1939, une page douloureuse de l’histoire chinoise, et dans Le Pays de l’alcool, il se livre, sous couvert de la farce, à une critique acérée des responsables du Parti communiste, note L’Express.
Le Twitter chinois s’enflamme
La nouvelle de son prix a en tout cas déchaîné Weibo, le Twitter chinois. En moins de deux heures, plus de trois millions de commentaires avaient été postés sur le réseau social, indique Lemonde.fr. Les sentiments sont mitigés : certains se réjouissent de cet "honneur" qui revient aussi à la langue chinoise et aux Chinois.
D’autres se montrent plus amers, expliquant avoir été déconnectés du site des Nobel en voulant consulter la page consacrée à Liu Xiaobo. Certains vont même plus loin et proposent, "la prochaine fois", de donner "le prix Nobel de littérature à un écrivain nord-coréen".