"Pas de ruse, Bouteflika !" Dans les rues d'Alger, des centaines d'étudiants ont manifesté pour la troisième semaine consécutive, mardi matin. Le contexte a pourtant changé : confronté à une contestation inédite depuis son élection à la tête du pays il y a vingt ans, le chef de l'Etat a finalement annoncé renoncer à briguer un cinquième mandat, lundi soir. Mais son message, publié par l'agence officielle Algérie Presse Service, évoque un calendrier flou, loin de dissiper les inquiétudes de la population. Décryptage.
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Quand seront organisées les prochaines élections ?
Divisé en deux parties, le communiqué d'Abdelaziz Bouteflika pose donc d'abord qu'il n'y aura "pas de cinquième mandat". Mais "il n'y aura pas d'élection présidentielle le 18 avril prochain", ajoute le document, évoquant la nécessité "d'apaiser les appréhensions qui ont été manifestées". Concrètement, quel calendrier ? Le chef de l'Etat annonce la mise en place d'une "conférence nationale inclusive et indépendante", "équitablement représentative de la société algérienne comme des sensibilités qui la parcourent" et qui "devra s'efforcer de compléter son mandat avant la fin de l'année 2019". Cette conférence "fixera souverainement la date de l'élection présidentielle", ajoute Abdelaziz Bouteflika. Celle-ci pourrait donc théoriquement avoir lieu en 2020.
Cette décision est-elle inédite ?
D'abord accueillie par un concert ininterrompu de klaxons dans le centre d'Alger, la joie a progressivement laissé la place au doute, lundi soir, les Algériens craignant qu'une décision en apparence inédite ne change, de fait, pas la situation politique de leur pays avant plusieurs années. "En 2009, Abdelaziz Bouteflika a déjà amendé la Constitution pour mieux 'passer le relais' à une nouvelle génération, et en 2014, après son AVC, c'était pour mieux 'organiser la transition'", rappelle l'éditorialiste international d'Europe 1 Vincent Hervouët.
Invité d'Europe 1 mardi matin, le spécialiste du monde arabo-musulman Mohamed Sifaoui a pointé que le message du président algérien faisait cette fois encore référence à un nouveau projet de Constitution, confié, cette fois, à la conférence nationale inclusive et indépendante. "On peut imaginer l'élaboration et la rédaction de ce document fin 2020. Il faudra ensuite le faire approuver soit par référendum, soit par les deux Assemblées."
Que va devenir Abdelaziz Bouteflika ?
Le président algérien entend rester au pouvoir jusqu'à la tenue des élections, et donc au-delà de son mandat, qui devait s'achever le 28 avril. "Bouteflika dit renoncer (...), mais il continuera d'être président. Il se donne un délai très long : il va en fait entrer dans un cinquième mandat sans élection", analyse Mohamed Sifaoui. Très diminué, le président a chargé son nouveau Premier ministre Noureddine Bedoui de former un gouvernement. "C'est un adroit tour de passe-passe qui a été mis en scène", estime Vincent Hervouët. "Les Algériens ont compris qu'il (Abdelaziz Bouteflika, ndlr) renonçait à rester coûte que coûte au pouvoir, et bien c'est exactement le contraire. Il compte se maintenir jusqu'à l'élection de son successeur."
Les manifestations vont-elles se poursuivre ?
À l'image du titre de l'influent quotidien El Watan - "Il annule la présidentielle mais reste au pouvoir : la dernière ruse de Bouteflika" -, le communiqué du président n'a donc pas apporté pleine satisfaction aux manifestants rassemblés depuis plusieurs semaines dans tout le pays. "L'allongement du quatrième mandat est une agression contre la Constitution par les forces non constitutionnelles", a réagi l'ancien Premier ministre d'Abdelaziz Bouteflika Ali Benflis. "je suis certain que cette situation explosive, qui reste calme et pacifique, ne s'arrêtera pas", a-t-il ajouté auprès de Franceinfo.
"L'Algérie, c'est une moyenne d'âge de 27 ans", rappelle Mohamed Sifaoui. "La société a trouvé le mode opératoire, c'est de dire : 'on va manifester pacifiquement, on ne va rien casser, on va même nettoyer après les manifestations.' C'est une jeunesse, ce ne sont pas les barbus des années 1980, tous crocs dehors, réclamant l'instauration de la charia." Interrogée par Le Monde, la chercheuse Amel Boubekeur renchérit en qualifiant le renoncement d'Abdelaziz Bouteflika "d'inflexion" du régime, "au regard de son attitude d'il y a un mois". "Le pouvoir a finalement été obligé de reconnaître l'existence de cette demande de participation politique indépendante", juge-t-elle. "Mais cela va déterminer les manifestants à continuer leur mouvement pour entrer dans une vraie négociation. C'est maintenant que ça commence."