L'Union européenne a infligé mercredi une amende record de 4,34 milliards d'euros à Google pour avoir abusé de la position dominante de son système d'exploitation pour smartphone, Android, afin d'asseoir l'hégémonie de son service de recherche en ligne. Le géant américain a déjà annoncé son intention de faire appel.
"Des pratiques illégales" pour conforter sa suprématie
Cette sanction financière pulvérise le précédent record, déjà détenu par Google. "Google a utilisé des pratiques illégales pour cimenter sa position dominante dans la recherche sur internet", a accusé la Commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, lors d'une conférence de presse à Bruxelles. "Le moteur de recherche de Google est son produit phare. Chaque année, Google génère plus de 95 milliards de dollars de revenus grâce aux publicités montrées et cliquées par les utilisateurs de Google Search et une grande partie de ses revenus sont dus à la montée en puissance des appareils mobiles comme les smartphones et les tablettes", a ajouté la commissaire danoise.
L'entreprise avait été déjà condamnée par la Commission européenne, le 27 juin 2017, à payer une amende record de 2,42 milliards d'euros pour avoir abusé de sa position dominante dans la recherche en ligne en favorisant son comparateur de prix "Google Shopping", au détriment de services concurrents. Le montant de l'amende est décidé au dernier moment et peut atteindre théoriquement, selon les règles de la concurrence européenne, jusqu'à 10% du chiffre d'affaires global de l'entreprise qui s'élevait pour Alphabet, maison mère de Google, à 110,9 milliards de dollars en 2017 (94,7 milliards d'euros).
Les plus grosses amendes infligées par l'Union européenne pour abus de position dominante
Le géant de l'Internet n'en n'est pas à sa première condamnation par Bruxelles, même si l'amende infligée mercredi dépasse de loin les précédentes peines.
1- 2,42 milliards pour Google en 2017. La firme de Mountain View était alors condamnée pour avoir abusé à partir de 2008 de sa position archidominante dans la recherche sur internet afin de favoriser son service de comparaison de prix "Google Shopping" au détriment de ses concurrents. Google a fait appel.
2 - 1,06 milliard pour Intel en 2009. Le fabricant de puces informatiques était accusé d'avoir mis en œuvre entre 2002 et 2007 une stratégie destinée à exclure du marché son seul concurrent sérieux, AMD. L'abus consistait notamment en des rabais accordés aux fabricants d'ordinateurs pour qu'ils achètent auprès d'Intel la quasi-totalité de leurs processeurs. La justice européenne a décidé en septembre 2017 de réexaminer le cas
3 - 997 millions pour Qualcomm en 2018. Le fournisseur informatique américain a été condamné en janvier 2018 pour avoir versé "plusieurs milliards" de dollars à son client Apple entre 2011 et 2016, afin qu'il ne s'approvisionne pas auprès de ses rivaux.
4 - 497 millions pour Microsoft en 2004. Le groupe informatique a écopé d'une lourde amende pour avoir refusé de fournir une documentation technique complète à ses concurrents afin qu'ils puissent concevoir des logiciels pleinement compatibles avec le système d'exploitation Windows. Il lui était également reproché de lier la vente de Windows avec son lecteur multimédia Windows Media Player, afin d'évincer la concurrence.
Ce classement ne prend pas en compte les amendes prononcées contre des entreprises qui avaient pris des engagements auprès de l'UE pour mettre un terme à un abus de position dominante et qui ne les ont pas tenus, ou qui n'ont pas respecté les demandes de Bruxelles. C'est le cas par exemple de Microsoft, condamné à 899 millions d'euros d'amende - réduit ensuite à 860 millions - en 2008 et à 561 millions d'euros d'amende en 2013.
Les fabricants contraints de pré-installer Google Search sur leurs appareils
Le dossier antitrust Android - système d'exploitation utilisé pour 80% des appareils en Europe et dans le monde, qui est l'équivalent de l'iOS pour l'iPhone d'Apple - est dans le collimateur de la Commission européenne depuis plusieurs années. Dans son communiqué, la Commission européenne a détaillé ses griefs contre Google. Premièrement le groupe californien a exigé des fabricants qu'ils préinstallent l'application Google Search et son navigateur (Chrome) comme condition à l'octroi de la licence pour sa boutique d'applications en ligne (Play Store).
Deuxièmement, il a payé certains grands fabricants et certains grands opérateurs de réseaux mobiles pour qu'ils préinstallent en exclusivité l'application Google Search sur leurs appareils.
Et troisièmement, il a empêché les fabricants souhaitant préinstaller les applications Google de vendre ne serait-ce qu'un seul appareil mobile intelligent fonctionnant sur d'autres versions d'Android non approuvées par Google.
Un ultimatum de 90 jours avant une nouvelle amende
La Commission européenne a également sommé l'entreprise américaine "de mettre fin à ses pratiques illégales dans les 90 jours, sous peine de se voir infliger des astreintes allant jusqu'à 5% du chiffre d'affaires journalier moyen mondial d'Alphabet", la société mère de Google. L'entreprise américaine a déjà indiqué par communiqué qu'elle allait "faire appel" de sa condamnation. "Android a créé plus de choix pour tout le monde, pas moins [...]. Nous allons faire appel de la décision de la Commission", a affirmé un porte-parole de Google.
Cette nouvelle sanction contre le géant américain arrive dans un contexte particulièrement tendu entre l'UE et les Etats-Unis, avec lesquels les sujets de friction ne manquent pas comme sur l'Otan ou le commerce. Mercredi prochain, dans une semaine jour pour jour, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, doit d'ailleurs se rendre à Washington pour tenter de désamorcer le conflit commercial qui oppose l'UE au président américain Donald Trump, prêt à taxer les importations de voitures européennes dans son pays.
La Commission européenne a déjà ouvert un nouveau front contre Google, au sujet de ses pratiques publicitaires. Elle lui reproche depuis le 14 juillet 2016 d'avoir abusé de sa position dominante avec sa régie publicitaire AdSense (80% du marché en Europe) en limitant artificiellement la possibilité pour les sites web tiers d'afficher les publicités contextuelles émanant de concurrents. Là aussi, une amende pourrait se profiler.