Y-a-t-il un problème avec le Boeing 737 MAX ? Le nom du modèle de moyen-courrier est au cœur de toutes les interrogations, lundi, au lendemain du crash d'un vol Ethiopian Airlines reliant Addis Abeba à Nairobi, avec 157 passagers à son bord. Les circonstances du drame, sans survivant, rappellent celles du vol de la compagnie aérienne Lion Air, survenu fin octobre au large de l'Indonésie : un accident survenu quelques minutes après le décollage de cette version modernisée du best-seller 737. En attendant davantage d'investigations - les deux boîtes noires de l'appareil ont été retrouvées sur le lieu du crash -, Ethiopian Airlines a annoncé sa décision d'immobiliser ses six autres 737 MAX 8. Dans la foulée, la Chine et l'Indonésie ont demandé à leurs compagnies d'en faire de même, tout comme la Corée du Sud pour les deux appareils de la compagnie locale low-cost Eastar Jet.
Quels sont les points communs entre les deux crashs ?
"C'est un peu tôt pour affirmer des choses, mais on est en droit de réfléchir", estime auprès d'Europe 1 Bertrand Vilmer, ancien pilote d'essai et directeur du cabinet d'aéronautique ICARE. Le vol ET 302, qui avait décollé dimanche à 8h38 d'Addis Abeba, a disparu des radars six minutes plus tard. Le Boeing, livré courant 2018 à la compagnie et qui avait fait l'objet d'une maintenance le 4 février, a été pulvérisé lors de l'impact. Il a creusé un impressionnant cratère en heurtant le sol, labourant la terre sur des dizaines de mètres.
Pour Bertrand Vilmer, "il existe quatre analogies" entre ce scénario et celui du vol Lion Air. "C'est exactement le même type d'appareil, l'un est sorti de l'usine en novembre, l'autre en août, ils sont tous neufs", souligne-t-il d'abord; "Dans les deux cas, le pilote a demandé à faire demi-tour, ce qui n'est quand même pas commun", poursuit le spécialiste, qui ajoute deux éléments constitutifs des deux crashs : "un départ en piqué" et "une chute verticale sur la fin".
Que sait-on du 737 MAX 8 ?
"Le premier vol du Boeing 737 date de 1968, il a 51 ans et a donc beaucoup évolué", explique Bertrand Vilmer. "L'appareil de 2019 n'a pas grand chose à voir avec celui de 1968." Sur le plan de la concurrence, le 737 rivalise avec l'A320 d'Airbus. "Lorsqu'est sorti l'A320neo (un appareil permettant notamment de réduire la consommation de carburant, en 2010, ndlr), Boeing, pour rattraper son retard, a accéléré la démarche de production et de certification, avec notamment le 737 MAX, qui a un moteur beaucoup plus gros, et dont l'emplacement a été modifié sur l'aile."
Le 737 MAX est entré en service en mai 2017 et plus de 350 exemplaires volent actuellement. Assemblé à l'usine Boeing de Renton, dans l'Etat de Washington, il est la locomotive des ventes et des bénéfices du constructeur aéronautique américain. La plupart d'entre eux continuent d'être exploités, lundi : la compagnie à bas coût Norwegian, qui compte 18 de ces avions, les fait par exemple toujours voler. Idem pour la compagnie islandaise Icelandair, qui en possède trois. "Jusqu'à présent, il n'y a pas de raison de craindre ces machines", a affirmé son directeur général des opérations Jens Thordarson, lundi, jugeant "prématuré" d'établir un lien entre les accidents des Boeing d'Ethiopian et de Lion Air.
D'où pourrait venir une éventuelle défaillance ?
"En modifiant l'emplacement du moteur sur l'aile, Boeing a modifié l'aérodynamique de l'appareil", avance Bertrand Vilmer. "Ils se sont rendus compte que l'appareil était instable en basse vitesse, et pour corriger cela, ils ont mis un 'patch' sur le logiciel de commande électrique des vols." C'est ce fameux "patch" qui est aujourd'hui dans l’œil du cyclone. "Cette technologie était censée être totalement transparente pour les pilotes, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu de formation supplémentaire", a pointé Xavier Tytelman, consultant aéronautique et en sécurité aérienne, interrogé par Europe 1 lundi matin. "C'était même un argument de vente : 'vous pouvez passer de l'ancien Boeing 737 au nouveau, sans même avoir besoin de faire un simulateur de vol ou une évolution particulière'. Mais là, il y a un système nouveau qui ne fonctionne peut-être pas correctement, et les pilotes n'ont pas été informés de ce système ni de la manière de l'arrêter." Une éventuelle défaillance du logiciel de commande serait d'autant plus dangereuse au décollage, alors que le pilote ne dispose que de quelques minutes pour "corriger" manuellement un problème technique.
Selon Le Monde, le National Transportation Safety Board (NTSB) - le pendant français du Bureau enquêtes et analyses (BEA) - doit envoyer des enquêteurs sur les lieux du crash de dimanche, pour mener les investigations au côté des autorités éthiopiennes. Sur le plan économique, les résultats de ces expertises s'annoncent cruciales pour Boeing : Pékin a d'ores et déjà annoncé que la remise en service de ses 76 appareils - un cinquième des livraisons mondiales - était conditionnée par la confirmation "des mesures pour garantir avec efficacité la sécurité des vols", venant à la fois du constructeur et des autorités américaines.