Après avoir révoqué le droit fédéral à l'avortement le 24 juin dernier, la Cour suprême des États-Unis pourrait remettre en question le droit au mariage homosexuel. C'est en tout cas ce que laisse penser une récente opinion rédigée par un des juges de la Cour suprême, Clarence Thomas. Ce dernier a affirmé sa volonté de "reconsidérer" certains arrêts, dont Obergefell v. Hodges qui garantit le droit au mariage homosexuel dans tous les États-Unis. Interrogée par Europe 1, Marie-Christine Bonzom, politologue, journaliste et spécialiste des États-Unis, revient sur la probabilité qu'une telle démarche aboutisse, et sur les enjeux politiques qu'elle implique.
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Le mariage homosexuel menacé "sur le papier"
Dans son texte, Clarence Thomas a déclaré que les arrêts Obergefell, Griswold et Lawrence v. Texas étaient "erronés" et que la Cour avait pour devoir de "corriger l'erreur" établie dans les précédents arrêts. À l'image de la révocation du droit à l'avortement, abroger l'arrêt Obergefell v. Hodges laisserait alors chaque état libre de décider de sa propre législation sur le mariage homosexuel.
Pour Marie-Christine Bonzom, même si un tel risque "existe sur le papier", l'opinion rédigée par Clarence Thomas "n'appartient qu'à lui, et n'engage que lui". "La Cour a spécifiquement souligné par la voix de Samuel Alito (juge républicain de la Cour suprême) qu'il ne fallait pas voir dans cet arrêt une remise en cause à venir d'autres droits, tel que le mariage homosexuel", explique-t-elle. "En ce qui concerne l'avortement, les politiciens américains avaient fait preuve d'une grande couardise dans ce dossier, puisqu'ils avaient toujours laissé à la Cour suprême le soin de se prononcer. Le Congrès n'a jamais 'codifié' le droit à l'avortement (à l'inverse du mariage)".
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Un projet de loi pour protéger le mariage pour tous
La possibilité d'une révocation de l'arrêt Obergefell v. Hodges est néanmoins prise au sérieux par l'ensemble de la classe politique américaine, puisqu'une proposition de loi visant à protéger le mariage pour tous a été voté mardi par la chambre des représentants. La loi Respect for Marriage Act abrogerait une précédente loi votée en 1996 : le Defense of Marriage Act (DOMA), qui définissait le mariage comme une union entre un homme et une femme. Le texte de loi qui circulait depuis 2009 est "ressorti de sa boîte" avec la déclaration de Clarence Thomas, un des plus conservateurs des juges, explique Marie-Christine Bonzom.
Soutenue par l'ensemble des 220 élus démocrates et 47 élus républicains, le Respect for Marriage Act a donc été transmis au Sénat, malgré l'opposition de 157 élus républicains. Pour Marie-Christine Bonzom, le vote des élus républicains est représentatif du "revirement" de la classe politique américaine sur la question du mariage homosexuel. "On est dans un climat politique très différent. On voit à quel point la classe politique américaine a évolué sur le dossier du mariage homosexuel. Il y a 26 ans, les démocrates et les républicains prenaient ensemble une décision totalement inverse en votant le DOMA."
"Faisable, mais loin d'être facile"
Les chances pour que le projet de loi aboutisse au Sénat semblent néanmoins limitées. Sur 50 élus républicains, il faudrait que 10 votent avec les démocrates en faveur de la loi. Pour l'instant, seule la sénatrice Susan Collins s'est prononcée favorable au Respect for Marriage Act. L'enjeu est donc de trouver 9 voix supplémentaires chez les sénateurs républicains. Une démarche "faisable, mais loin d'être facile", estime Marie-Christine Bonzom.
Une chose est sûre, une telle prise de position s'annonce délicate, notamment à l'approche des élections de mi-mandat. Là où la droite religieuse y reste fondamentalement opposée, une majorité des Américains soutient le mariage entre personnes de même sexe (71%), y compris dans les rangs républicains. "Ils [les sénateurs] essaieront de prendre le moins de risques pour assurer leur réélection. Il leur faudra peser le pour et le contre et surtout se rapporter à l'humeur de l'électorat dans leur circonscription" explique Marie-Christine Bonzom.
Un mois après le tremblement de terre qu'a été la révocation du droit à l'avortement, tous les yeux sont donc rivés sur leur vote. Reste maintenant à voir quelles mesures supplémentaires le Congrès va apporter, ou non, en réponse aux décisions de la Cour suprême.