Carlos Ghosn dit avoir "attendu ce jour avec impatience." Et il n'était pas le seul. Sa conférence de presse organisée mercredi à Beyrouth était l'une des prises de parole les plus attendues de ce début d'année. L'ex patron de Renault-Nissan s'exprimait devant les journalistes du monde entier, neuf jours après sa rocambolesque évasion du Japon, où il était en résidence surveillée.
L'ancien PDG de Renault-Nissan reste au Japon sous le coup de quatre chefs d’inculpation pour des malversations financières. Le parquet de Tokyo a d'ailleurs immédiatement réagi mercredi, à la fin de sa conférence de presse, évoquant des critiques "unilatérales" et "inacceptable" à l'encontre de la justice nippone. Europe 1 vous résume ce qu'il faut retenir de cette conférence de presse.
"Laver mon honneur"
"J'ai attendu ce jour avec impatience depuis 400 jours, depuis que j'ai été brutalement enlevé de mon monde". La conférence a commencé vers 14h. En costume et rasé de près, Carlos Ghosn a commencé par affirmer avoir été "arraché" à sa famille et à ses proches. Se qualifiant de "présumé coupable", il a assuré n'avoir "pas eu d'autre choix" que de fuir le Japon. "Quand j'ai demandé à mes avocats [...], ils ont dit qu'ils craignaient que cinq ans s'écoulent peut-être au Japon avant que je n'obtienne un verdict", a-t-il ajouté. "Au Japon, ils savaient tout sur ma relation avec ma femme alors ils m’ont empêché de la voir et m’ont mis a terre", a-t-il plaidé. Et de conclure : "Donc seule chose à faire : il fallait que je parte."
Carlos Ghosn a dit se présenter devant la presse pour "laver son honneur". "Je ne suis pas au-dessus des lois mais je suis heureux de faire éclater la vérité", a-t-il martelé. L'ancien PDG de Renault Nissan a assuré que les accusations portées contre lui sont "fausses". "J'espère que vous allez découvrir la vérité et comment elle a été déformée. Je ne suis pas là pour me présenter en victime, mais pour évoquer un système qui viole les principes d'humanité les plus fondamentaux", a-t-il taclé.
"Je ne peux pas parler de ma fuite"
Carlos Ghosn avait commencé en remerciant les journalistes, particulièrement "la presse française qui nous a rejoints". "Aujourd'hui, je suis fier d'être libanais. Le Liban est le seul pays qui a été à mes côtés", a-t-il ajouté. Arrivé il y a deux semaines après avoir fui le Japon, il s'est dit "prêt à rester longtemps" dans ce pays.
Carlos Ghosn avait prévenu l'assemblée d'emblée. "Je ne suis pas là pour raconter comment j'ai fui le Japon", a-t-il déclaré, passant directement à un autre sujet. Interrogé ensuite par un journaliste lors de la séance de questions-réponses, il a justifié cette position : "Je ne peux pas parler de ma fuite, car si je le fais je vais exposer beaucoup de personnes à des problèmes."
Les curieux n'obtiendront pas un détail de la part de l'homme d'affaire... pour le moment du moins. "Un jour, peut-être, vous connaîtrez la réalité. Dans 20 ans, je pourrai peut-être confirmer ou infirmer ces informations !", s'est-il exclamé.
"J’ai perdu espoir d’avoir un procès équitable"
Carlos Ghosn est également revenu sur les raisons qui l'ont poussé à fuir le Japon en décembre. "Je me suis rendu compte qu’il fallait que je parte quand j’ai perdu espoir d’avoir un procès équitable et quand j’ai vu que ce procès était toujours remis à plus tard", a-t-il expliqué.
L'ancien patron de Renault, offensif, a ensuite plaidé son innocence. "Les charges contre moi sont sans fondements", a-t-il assuré, avant de soulever plusieurs questions : "Pourquoi les procureurs ont-ils fait fuiter des informations fausses et dissimulé des informations disculpatoires ? Pourquoi souhaitaient-ils m'empêcher de parler pour présenter ma version des faits ? Pourquoi m'ont-ils interdit tout contact avec mon épouse ?"
"Collusion" entre Nissan et le procureur japonais
Carlos Ghosn a ensuite accusé "une poignée d'individus sans scrupule", assurant que l'affaire est liée aux performances économiques de Nissan, la branche japonaise de l'alliance qu'il dirigeait, "qui ont commencé à baisser au début de 2017". Il a également pointé du doigt... la loi Florange, votée en 2014 (et doublant les droits de vote de l'État français au sein du conseil d'administration de Renault-Nissan) et qui aurait énervée les Japonais.
Au sujet de son arrestation, il dénonce une "collusion" entre Nissan et le procureur japonais et parle même d'un "coup monté". "Certains de mes amis japonais ont pensé que la seule manière de se débarrasser de Renault était de se débarrasser de moi. [...] J'ai été arrêté pour n'avoir pas déclaré une rémunération qui ne m'avait pas été payée et qui n'avait même pas été décidée !", a-t-il développé.
Carlos Ghosn a assuré cependant qu'il considérait que le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, n'était "pas impliqué" dans son arrestation. "Je ne crois pas que [les responsables de] haut niveau étaient impliqués", a-t-il dit aux journalistes.
Soirée à Versailles : "Nous étions mécènes"
Carlos Ghosn est par ailleurs revenu sur la polémique qui avait suivi la publication d'une vidéo montrant une soirée organisée au château de Versailles en mars 2014. Financée par Renault-Nissan pour, officiellement, remercier les partenaires de l'alliance qui s'apprêtait à fêter ses 15 ans, elle avait eu lieu le jour des 60 ans de l'ex patron, et aurait coûté à l'entreprise plus de 600.000 euros.
"Nous étions mécènes", a justifié Carlos Ghosn, expliquant que Renault-Nissan avait financé la rénovation du "salon de la paix", déboursant pour ce faire environ 1 million d'euros. "La responsable du château m'a ensuite assuré qu'en tant que bienfaiteur, je serais le bienvenu à l'avenir pour y organiser un événement", a avancé l'ancien patron de Renault-Nissan. D'après lui, la location de la pièce a coûté "0 euros", et seuls les 15.000 euros de frais de service auraient été déduits des dons de l'entreprise au château.
Une enquête avait été ouverte en mars 2019 par le parquet de Nanterre visant à faire la lumière sur le financement de cette soiré, ainsi que sur celui de son mariage, en 2016, organisé au même endroit.
"Une petite cellule" avec "la lumière jour et nuit"
L'ancien magnat de l'automobile est également revenu sur ses 130 jours passés en prison. Il évoque "30 minutes par jour pour la promenade, deux douches par semaine et l'impossibilité de parler à quelqu'un qui parle français ou anglais". Carlos Ghosn parle aussi d'"une petite cellule" avec "la lumière jour et nuit". "J'étais l'otage d'un pays que j'avais servi pendant 17 ans", a-t-il déploré.
Prêt à se présenter "à la justice française" s'il est convoqué
"Il est évident qu'à partir du moment où la justice française demande à me parler, je me présenterai à la justice française, je n'ai rien à me reprocher. Au contraire, c'est ce que je demande", a-t-il enfin indiqué. "Ce que je ne demande pas, c'est qu'on m'accuse sans m'interroger - ce qui a été fait largement", a-t-il conclu.