Le président sortant du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, a été largement réélu dimanche, selon des sondages, à la tête du plus grand pays d'Asie centrale, qui a vécu une année noire entre émeutes sanglantes et impitoyable lutte des clans. Selon trois sondages réalisés à la sortie des urnes, Kassym-Jomart Tokaïev a obtenu entre 82,2% et 85,52% des voix dans cette ex-république soviétique où 69,43% des 12 millions d'électeurs ont voté, d'après les premières estimations de la Commission électorale.
Le dauphin de Kassym-Jomart Tokaïev est le vote "contre tous", crédité d'entre 3,40% et 5,2% des voix d'après ces sondages.
Le chaos en janvier 2022
"Le peuple m'a clairement exprimé sa confiance et nous devons la justifier", s'est félicité Kassym-Jomart Tokaïev. Riche en ressources naturelles et situé au carrefour d'importantes routes commerciales, le Kazakhstan a plongé dans le chaos en janvier lorsque des manifestations contre la vie chère ont dégénéré en émeutes, avant d'être brutalement réprimées. Bilan : 238 morts.
Le pays reste traumatisé par cette crise et, signe que les tensions persistent, les autorités ont annoncé jeudi avoir arrêté sept partisans d'un opposant en exil accusés de fomenter un "coup d'Etat". Ce scrutin anticipé était pour Kassym-Jomart Tokaïev, 69 ans, un moyen de consolider son pouvoir. Ce diplomate de formation s'est mué cette année en dirigeant implacable, faisant tirer sur les émeutiers en janvier, arrêtant des proches de son prédécesseur et mentor Noursoultan Nazarbaïev, puis tenant tête au président russe Vladimir Poutine.
Une campagne "équitable et ouverte"
Cette élection s'inscrit dans la longue tradition des scrutins joués d'avance au Kazakhstan, à l'image des précédentes présidentielles : 71% des voix pour Kassym-Jomart Tokaïev en 2019 et 98% en 2015 pour Noursoultan Nazarbaïev. Malgré ce score écrasant et l'absence de concurrence, Kassym-Jomart Tokaïev a estimé que cette campagne avait été "équitable et ouverte".
À Astana et Almaty, les deux plus grandes villes du pays, l'AFP a vu plusieurs votants se prendre en photo devant les bureaux de vote, nombre d'électeurs invoquant l'"obligation" de montrer lundi la photo à leur employeur. Une quinzaine de personnes ont manifesté à Almaty pour réclamer des élections libres et ont toutes été arrêtées par la police, a constaté l'AFP.
Des opposants tels des faire-valoir
Malgré les affiches appelant les électeurs à "faire leur choix" pour les sept prochaines années, les cinq opposants de Kassym-Jomart Tokaïev faisaient office de faire-valoir. Arrivé au pouvoir en 2019 après la démission surprise de l'omnipotent Nazarbaïev, Kassym-Jomart Tokaïev a officiellement entrepris de couper le cordon à la faveur de la crise de janvier, après avoir longtemps été considéré comme l'homme de main de son prédécesseur. "Le principal est qu'il n'y ait pas de monopole au pouvoir", avait déclaré Kassym-Jomart Tokaïev après avoir voté.
Mais Noursoultan Nazarbaïev, à la tête du Kazakhstan pendant trois décennies, a été le premier à le féliciter pour sa réélection, "preuve incontestable de la foi inébranlable du peuple dans (ses) réformes (...) et louant son attitude "lors des heures critiques" pour le pays, en référence à janvier.
Le président candidat avait fait campagne en portant son projet visant à créer un "Nouveau Kazakhstan", plus démocratique et moins inégalitaire. Mais les difficultés économiques persistent, tout comme les réflexes autoritaires. Et selon le Fonds monétaire international, les tensions sociales, à l'origine des manifestations de janvier, pourraient réapparaître.
Un sentiment de déjà-vu
Depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine, Kassym-Jomart Tokaïev s'efforce de resserrer les liens avec la Chine, mais aussi avec l'Europe, en contrepoids à l'influence russe. Ces derniers mois, il a reçu la visite des chefs d'Etat russe, turc et chinois, ainsi que de hauts responsables européens, et même du pape François. Et les promesses d'ouverture démocratique et de réformes économiques trouvent un écho dans l'électorat. Comme Amina Aïtjanova, professeure de 46 ans, qui estime que le président Tokaïev a "extrêmement bien géré la situation" après les évènements de janvier.
Mais cette élection censée ouvrir l'ère du "Nouveau Kazakhstan" a donné un sentiment de déjà-vu, avec un paysage politique déserté, une opposition de façade et les pressions des autorités. De quoi laisser nombre de Kazakhs désabusés, comme Alia Bokechova, étudiante de 19 ans à Astana. "C'est une perte de temps, on sait déjà qui va gagner", dit-elle à l'AFP. Avant le scrutin, les observateurs électoraux internationaux de l'OSCE ont regretté que leurs recommandations "relatives aux libertés fondamentales et aux conditions d'éligibilité et d'inscription des candidats" soient "restées sans suite".