Aung San Suu Kyi a été condamnée ce lundi à 4 ans de prison pour incitation aux troubles publics et violation des règles sanitaires liées au Covid, première peine prononcée contre l'ex-icône de la démocratie poursuivie par la junte pour de nombreux autres chefs d'accusations et qui risque de finir ses jours en prison. La prix Nobel de la paix, 76 ans, est assignée à résidence depuis le coup d'Etat du 1er février qui a mis un terme brutal à la transition démocratique en cours en Birmanie depuis 2010.
De multiples chefs d'inculpation
Jugée depuis juin, elle est inculpée pour une multitude d'infractions : importation illégale de talkies-walkies, sédition, corruption, fraude électorale... De nombreux observateurs dénoncent un procès politique dans le but de neutraliser la gagnante des élections de 2015 et de 2020.
Lundi, l'ex-cheffe du gouvernement civil, renversée par l'armée en février, "a été condamnée à deux ans de prison en vertu de la section 505(b) et à deux ans de prison en vertu de la loi sur les catastrophes naturelles", a déclaré par téléphone à l'AFP un porte-parole de la junte Zaw Min Tun. L'ancien président Win Myint a été condamné à la même peine, a-t-il dit, ajoutant qu'ils ne seraient pas conduits en prison pour le moment. "Ils devront faire face à d'autres accusations depuis les lieux où ils séjournent actuellement" dans la capitale Naypyidaw, a-t-il ajouté, sans donner plus de détails.
Aung San Suu Kyi risque des dizaines d'années de prison
La condamnation pour incitation est liée à des déclarations publiées par le parti d'Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), peu après le coup d'État, condamnant la prise de pouvoir par les généraux. Le chef d'inculpation relatif au Covid est lié quant à lui aux élections de l'année dernière, que la LND a remportées haut la main, mais les détails ne sont pas connus, la junte ayant imposé le silence sur les procédures judiciaires.
Elle risque des dizaines d'années de prison si elle est reconnue coupable de tous les chefs d'accusation. Les journalistes n'ont pas le droit d'assister aux débats du tribunal spécial dans la capitale construite par les militaires, et les avocats de Suu Kyi se sont récemment vu interdire de parler aux médias.
Les ONG dénoncent des "accusations bidon"
Selon une ONG locale de défense des droits, plus de 1.300 personnes ont été tuées et plus de 10.000 arrêtées dans le cadre de la répression de la dissidence depuis le coup d'État. La junte birmane cherche à "asphyxier les libertés" en emprisonnant l'ex-cheffe du gouvernement civil Aung San Suu Kyi, a estimé Amnesty International dans un communiqué.
"Les lourdes peines infligées à Aung San Suu Kyi sur la base de ces accusations bidon sont le dernier exemple en date de la détermination de l'armée à éliminer toute opposition et à asphyxier les libertés en Birmanie", a déclaré Ming Yu Hah, directeur régional adjoint d'Amnesty International chargé des campagnes. "La décision farfelue et corrompue du tribunal s'inscrit dans un schéma dévastateur de sanctions arbitraires qui a vu plus de 1.300 personnes tuées et des milliers d'autres arrêtées depuis le coup d'État militaire de février."
Ces condamnations "relèvent de la vengeance et d'une démonstration de pouvoir de la part des militaires", a dit à l'AFP Richard Horsey, expert sur la Birmanie à l'International Crisis Group. "Il serait toutefois surprenant qu'elle soit envoyée en prison. Il est plus probable qu'elle purge cette peine et les suivantes à son domicile ou dans une "maison d'hôtes" fournie par le régime" a-t-il ajouté.
La répression se poursuit
Les généraux ont justifié leur putsch en assurant avoir découvert plus de 11 millions d'irrégularités lors des élections de novembre 2020, remportées massivement par la LND. Les observateurs internationaux ont qualifié à l'époque ce scrutin de "globalement libre et équitable".
La pression internationale exercée sur la junte pour qu'elle rétablisse rapidement la démocratie n'a pas fait dévier les généraux de leur route, et les affrontements sanglants avec les manifestants anti-coup d'État se poursuivent dans tout le pays. Dimanche, des soldats ont blessé au moins trois personnes après avoir foncé avec une voiture sur des manifestants pacifiques dans le centre de Rangoun, selon des témoins oculaires. Les médias d'État ont indiqué qu'une personne avait été grièvement blessée et que onze autres avaient été arrêtées pour avoir manifesté "sans demander la permission".